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ces liqueurs jusqu’au gris-de-maure, & même jusqu’au noir : mais il est beaucoup mieux pour le gris-de-maure, & les autres nuances extrémement foncées, d’y avoir donné précédemment un pié de bleu plus ou moins fort, suivant que cela se peut, & cela pour les raisons qui ont été données ci-devant.

La seconde maniere de faire les gris, me paroît préférable à celle-là, parce que le suc de la galle est mieux incorporé dans la laine, & qu’on est sûr de n’y employer que la quantité de couperose qui est absolument nécessaire. Il résulte même des expériences qui ont été faites, que les gris sont plus beaux, & que la laine a plus de brillant. Ce qui détermine à donner la préférence à cette seconde méthode, c’est qu’elle est aussi facile que la premiere, & qu’outre cela elle altere beaucoup moins la qualité de la laine.

On fait bouillir pendant deux heures dans une chaudiere la quantité de noix de galle qu’on juge à propos, après l’avoir enfermé dans un sac de toile claire. On met ensuite la laine ou étoffe dans le bain, on l’y fait bouillir pendant une heure, la remuant & la palliant : après quoi on la leve. Alors on ajoute à ce même bain un peu de couperose dissoute dans une portion du bain, & on y passe les laines ou étoffes qui doivent être les plus claires. Lorsqu’elles sont teintes, on remet dans la chaudiere encore un peu de dissolution de couperose, & on continue de la sorte comme dans la premiere opération, jusqu’aux nuances les plus brunes.

Il est à-propos d’observer qu’outre la stipticité de la noix de galle, par laquelle elle a la propriété de précipiter le fer de la couperose, & de faire de l’encre, elle contient aussi une portion de gomme ; cette gomme entrant dans les pores ferrugineux, sert à les mastiquer : mais comme cette gomme est assez aisément dissoluble, ce mastic n’a pas la ténacité de celui qui est fait avec un sel difficile à dissoudre ; aussi les brunitures n’ont-elles pas en teinture la solidité des autres couleurs de bon teint appliquées sur un sujet préparé par le bouillon de tartre & d’alun ; & c’est pour cette raison que les gris simples n’ont pas été soumis aux épreuves des débouillis.

On croit avoir donné la meilleure maniere de faire toutes les couleurs primitives des teinturiers ; ou du moins de celles qu’ils sont convenus d’appeller de ce nom, parce que de leur mélange & de leurs combinaisons, dérivent toutes les autres couleurs. On va maintenant les parcourir, assemblées deux-à-deux, en suivant le même ordre dans lequel elles ont été décrites simples. Lorsqu’on aura donné la maniere de faire les couleurs qui résultent de ce premier degré de combinaison, on en joindra trois ensemble ; & en continuant toujours de la sorte, on aura rendu compte, pour ainsi dire, de toutes les couleurs apperçues dans la nature, & que l’art a cherché à imiter.

Des couleurs que donne le mélange de bleu & de rouge. On a dit en parlant du rouge, qu’il y en avoit quatre différentes especes dans le bon teint. On va voir maintenant ce qui arrive, lorsque ces différens rouges sont appliqués sur une étoffe qui a été précédemment teinte en bleu. Une étoffe bleue bouillie avec l’alun & le tartre, teinte avec le kermès, il en résultera ce qu’on appelle la couleur du roi, la couleur du prince, la pensée, le violet & le pourpre, & plusieurs autres couleurs semblables.

Du mélange du bleu & du cramoisi se forme le colombin, le pourpre, l’amaranthe, la pensée & le violet & plusieurs autres couleurs plus ou moins foncées.

Du bleu & du rouge de garence se tirent aussi la couleur de roi & la couleur de prince, mais beaucoup moins belles que quand on emploie le kermès, le mi-

nime, le tanné, l’amaranthe obscur, le rose seche,

toujours moins vives.

Du mélange du bleu & du jaune. Il ne vient qu’une seule couleur du mélange du bleu & du jaune : c’est le verd. Mais il y en a une infinité de nuances, dont les principales sont le verd jaune, verd naissant, verd gai, verd d’herbe, verd de laurier, verd molequin, verd brun, verd de mer, verd céladon, verd de perroquet, verd de chou ; on peut ajouter le verd d’ailes de canard, & le verd céladon sans bleu. Toutes ces nuances, & celles qui sont plus ou moins foncées se font de la même maniere & avec la même facilité. Le bleu plus ou moins foncé fait la diversité des couleurs. On fait bouillir l’étoffe avec alun & tartre, comme pour mettre en jaune à l’ordinaire une étoffe blanche, & on la teint ensuite avec la gaude, la sarrete, la genestrole, le bois jaune ou le fénugrec. Toutes ces matieres sont également bonnes pour la solidité ; mais comme elles donnent des jaunes un peu différens, les verds qui résultent de leur mélange le sont aussi. La gaude & la sarrette sont les deux plantes qui donnent les plus beaux verds.

On peut mettre en jaune les étoffes destinées à être faites en verd, & les passer ensuite sur la cuve du bleu ; mais les verds auxquels la couleur bleue aura été donnée la derniere, saliront le linge beaucoup plus que les autres, parce que si le bleu a été donné le premier, tout ce qui peut l’en détacher a été enlevé par le bouillon d’alun.

Le verd céladon, couleur particuliere, & du goût du peuple du Levant, se peut faire à la rigueur en bon teint, c’est-à-dire, en donnant à l’étoffe un pié de bleu. Mais cette nuance de bleu doit être si foible, que ce n’est, pour ainsi dire, qu’un bleu blanc, lequel est très-difficile à faire égal & uni. Quand on a été assez heureux pour saisir cette nuance, on lui donne mieux la teinte de jaune qui lui convient avec la virga aurea qu’avec la gaude. On permet quelquefois aux teinturiers du Languedoc de teindre des céladons avec du verd-de-gris, quoiqu’alors cette couleur soit de la classe du petit teint. Les Hollandois font très-bien cette couleur.

Du bleu & du fauve. On fait très-peu d’usage des couleurs qui pourroient résulter du mélange du bleu & du fauve. Ce sont des gris verdâtres ou des especes d’olives, qui ne peuvent convenir que pour la fabrique des tapisseries.

A l’égard du bleu & du noir, il ne s’en tire aucune nuance.

Des mélanges du rouge & du jaune. On tire de l’écarlate de graine ou du kermès & du jaune, l’aurore, le couleur de souci, l’orangé & plusieurs autres couleurs plus ou moins foncées. On tire de l’écarlate des Gobelins & du jaune les couleurs de langouste, & de fleurs de grenade ; mais elles ne sont pas d’une grande solidité. On en tire aussi les couleurs de souci, orange, jaune d’or, & autres nuances semblables, qu’on voit assez devoir être produites par le mélange du jaune & du rouge.

Du mélange du rouge & du fauve. On ne se sert pour les couleurs qui résultent de ce mélange, que des rouges de garence, parce que cet ingrédient produit un aussi bel effet dans ces sortes de couleurs que le kermès ou la cochenille, & que ces mêmes couleurs ne peuvent devenir éclatantes à cause du fauve qui les ternit. Ce mélange produit les couleurs de canelle, de tabac, de chataigne, musc, poil d’ours & autres semblables, qui, pour ainsi dire, sont sans nombre, & qui se font sans aucune difficulté, en variant le pié ou fond de garance depuis le plus brun jusqu’au plus clair, & les tenant plus ou moins long-tems sur le bain de racine.

Du mélange du rouge & du noir. Ce mélange sert à faire tous les rouges bruns, de quelque espece qu’ils