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mede universel, la pierre philosophale. Il auroit pu jouir à Bâle de la considération des hommes & du repos, les deux plus grands biens de la vie ; mais il connoissoit l’ignorance & les autres vices de ses collegues, & il s’en expliquoit sans ménagement. Ses cures les ulcéroient ; ses découvertes les humilioient ; son désintéressement leur reprochoit sans cesse leur avarice ; ils ne purent supporter un homme d’un mérite si affligeant ; ils chercherent l’occasion de le mortifier. L’imprudent & vain Paracelse la leur offrit ; il entreprit la guérison d’un chanoine de Bâle ; il en vint à bout ; les magistrats reglerent son honoraire à un prix dont la modicité choqua Paracelse ; il s’en plaignit avec amertume ; il se compromit par l’indiscrétion de sa plainte, & il fut obligé de sortir de Bâle & de se réfugier en Alsace, où il trouva des hommes qui furent honorer & récompenser ses talens. Oporinus son disciple, & le conducteur de son laboratoire, préparoit les médicamens, Paracelse les administroit ; mais cet homme avoit pris du goût pour la vie errante & vagabonde. Il quitta l’Alsace, il revint en Suisse, il disparut pendant onze ans. Il disoit qu’il ne convenoit point à un homme né pour soulager le genre humain, de se fixer à un point de la terre, ni à celui qui savoit lire dans le livre de la nature, d’en avoir toujours le même feuillet ouvert sous les yeux. Il parcourut l’Autriche, la Suisse, la Baviere, guérissant les corps, & infectant les ames d’un système particulier de théologie qu’il s’étoit fait. Il mourut à Salsbourg en 1541.

Ce fut un homme d’un mérite & d’une vanité prodigieuse ; il souffroit avec impatience qu’on le comparât à Luther, & qu’on le mît au nombre des disciples de cet hérésiarque. Qu’il fasse son affaire, disoit-il, & qu’il me laisse faire la mienne ; si je me mêlois de réforme, je m’en tirerois mieux que lui : on ne nous associe que pour nous perdre. On lui attribue la connoissance de transmuer les métaux ; il est le fondateur de la pharmacie chimique ; il exerça la médecine avec le plus grand succès ; il a bien mérité du genre humain, par les préparations dont il a enrichi l’art de guérir les maladies. Ses ennemis l’accuserent de plagiat ; il les défia de montrer dans quelqu’auteur que ce fût, le moindre vestige de la plus petite de ses découvertes, & ils resterent muets : on lui reprocha la barbarie de ses termes & son obscurité, & ce fut avec raison. Ce ne fut pas non plus un homme pieux : l’habitude de fréquenter le bas peuple, le rendit crapuleux ; les chagrins, la débauche, & les veilles, lui dérangerent la tête : il passa pour sorcier, ce qui signifie aujourd’hui que ses contemporains étoient des imbécilles. Il se brouilla avec les Théologiens ; le moyen de penser d’après soi, & de ne se pas brouiller avec eux ? Il a beaucoup écrit ; la plûpart de ceux qui le jugent, soit en bien, soit en mal, n’ont pas lu une ligne de ses ouvrages : il a laissé un grand nombre de disciples mal instruits, téméraires ; ils ont nui à la réputation de leur maître, par la maladresse qu’ils ont montrée dans l’application de ses remedes.

Il eut pour disciple, pour secrétaire, & pour ami, Oporinus. Adam de Bodestan professa le premier publiquement sa doctrine. Jacques Gohory la fit connoître à Paris. Gerard Dornée expliqua sa méthode & ses procedés chimiques. Michel Toxite s’appliqua à définir ses mots obscurs. Oswald Crollius reduisit le paracelsisme en système. Henri Kunrath, & Joseph-François Burrhus laisserent là ce qu’il y avoit de vrai & d’important, pour se précipiter dans le théosophisme.

Voici les principaux axiomes de la doctrine de Paracelse, autant qu’il est possible de les recueillir d’après un auteur aussi obscur & aussi décousu.

La vraie philosophie & la médecine ne s’apprennent ni des anciens, ni par la créature, elles vien-

nent de Dieu ; il est le seul auteur des arcanes ; c’est

lui qui a signé chaque être de ses propriétés.

Le médecin naît par la lumiere de la nature & de la grace, de l’homme interne & invisible, de l’ange qui est en nous, par la lumiere de la nature qui fait à son égard la fonction de maître qui l’instruit, c’est l’exercice qui le perfectionne & le confirme ; il a été produit par l’institution de Dieu & de la nature.

Ce ne sont pas les songes vains des hommes qui servent de base à cette philosophie & médecine ; mais la nature que Dieu a imprimée de son doigt aux corps sublunaires, mais sur-tout aux métaux : leur origine remonte donc à Dieu.

Cette médecine, cette momie naturelle, ce pepin de nature, est renfermé dans le soufre, trésor de la nature entiere ; il a pour base le baume des végétaux, auquel il faut rapporter le principe de toutes les actions qui s’operent dans la nature, & par la vertu duquel seul toutes les maladies peuvent être guéries.

Le rapport ou la convenance de l’homme, ou du petit monde au grand, est le fondement de cette science.

Pour découvrir cette médecine il faut être astronome & philosophe ; l’une nous instruit des forces & des propriétés de la terre & de l’eau ; l’autre, des forces & des propriétés du firmament & de l’air.

C’est la philosophie & l’astronomie qui font le philosophe interne & parfait, non-seulement dans le macrocosme, mais aussi dans le microcosme.

Le macrocosme est comme le pere, & le microcosme, ou l’homme, est comme l’enfant ; il faut disposer convenablement l’un à l’autre.

Le monde intérieur est comme un miroir, où le petit monde, ou l’homme, s’apperçoit ; ce n’est pas par la forme extérieure, ou la substance corporelle, qu’ils conviennent, mais par les vertus & les forces ; ils sont un & même quant à l’essence & à la forme interne ; ils ne different que par la forme extérieure.

Qu’est-ce que la lumiere de nature ? si-non une certaine analogie divine de ce monde visible, avec le corps microcosmique.

Le monde intérieur est la figure de l’homme ; l’homme est le monde occulte, car les choses qui sont visibles dans le monde, sont invisibles dans l’homme ; & lorsque ces invisibles dans l’homme se rendent visibles, les maladies naissent.

La matiere de l’homme étant un extrait des quatre élémens, il faut qu’il ait en lui de la sympathie avec tous les élémens & leurs fruits ; il ne pourroit subsister ni vivre sans eux.

Pour éviter le vuide, Dieu a créé dans les quatre élémens des êtres vivans, mais inanimés, ou sans ame intellectuelle ; comme il y a quatre élémens, il y a quatre sortes d’habitans élémentaires ; ils different de l’homme qui a été créé à l’image de Dieu, en entendement, en sagesse, en exercices, en opérations & en demeures.

Les eaux ont leurs nymphes, leurs ondains, leurs mélozénis, & leurs monstres ou bâtards, les sirenes qui habitent le même élément.

Les terres ont leurs gnomes, leurs lémures, leurs sylphes, leurs montains, leurs zonnets, dont les monstres sont les pigmées.

L’air a ses spectres, ses sylvains, ses satyres, dont les monstres sont les géans.

Le feu, ou le firmament, a ses vulcanales, ses pennates, ses salamandres, ses supérieurs, dont les monstres sont les zundels.

Le cœur macrocosmique est igné, aërien, aqueux, & terreux.

L’harmonie céleste est comme la maîtresse & directrice de l’inférieure ; chacune a son ciel, son soleil, sa lune, ses planetes, & ses étoiles ; les choses