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qui les font naître : alors les hommes qui se croyent poursuivis par la Divinité, se rassemblent autour de ces especes d’insensés, qui disposent d’eux. Ils ordonnent des sacrifices, & ils sont faits ; des prieres, & l’on prie ; des jeûnes, & l’on jeûne ; des meurtres, & l’on égorge ; des chants d’allegresse & de joie, & l’on se couronne de fleurs & l’on danse & l’on chante ; des temples, & l’on en éleve ; les entreprises les plus desespérées, & elles réussissent ; ils meurent, & ils sont adorés. Il faut ranger dans cette classe Pindare, Eschile, Mahomet, Shakespear, Roger Bacon, & Paracelse. Changez les instans, & celui qui fut poëte eût été ou magicien, ou prophete, ou législateur. O hommes à qui la nature a donné cette grande & extraordinaire imagination, qui criez, qui subjuguez, que nous qualifions insensés ou sages, qui est-ce qui peut prédire votre destinée ? Vous naquîtes pour marcher entre les applaudissemens de la terre ou l’ignominie, pour conduire les peuples au bonheur ou au malheur, & laisser après vous le transport de la louange ou de l’exécration.

François-Mercure Van-helmont, fils de Jean-Baptiste, naquit en 1518 ; il n’eut ni moins de génie, ni moins de connoissances que son pere. Il posséda les langues anciennes & modernes, orientales & européennes. Il se livra tout entier à la Chimie & à la Médecine, & il se fit une grande réputation par ses découvertes & par ses cures. Il donna éperdument dans la cabale & la théosophie. Né catholique, il se fit quaker. Il n’y a peut-être aucun ouvrage au monde qui contienne autant de paradoxes que son ordo seculorum. Il le composa à la sollicitation d’une femme qui l’écrivit sous sa dictée.

Pierre Poiret naquit à Metz en 1546 de parens pauvres, mais honnêtes. Il étudia autant que sa santé le lui permit. Il fut successivement syncretiste, éclectique, cartésien, philosophe, théologien & théosophe. Attaqué d’une maladie dangereuse, il fit vœu, s’il en guérissoit, d’écrire, en faveur de la religion, contre les athées & les incrédules. C’est à cette circonstance qu’on dut l’ouvrage qu’il publia sous le titre de cogitationes rationales de Deo, animâ & malo. Il fit connoissance étroite à Hambourg avec la fameuse Antoinette Bourignon, qui l’entraîna dans ses sentimens de mysticité. Il attendit donc, comme elle, l’illumination passive, & il se rendit l’apologiste du silence sacré de l’ame & de la suspension des sens, & le détracteur de la philosophie & de la raison. Il mourut en Hollande âgé de soixante-trois ans, après avoir passé dans la retraite la plus profonde, les dernieres années de sa vie : entre les qualités de cœur & d’esprit qu’on lui reconnoît, on peut louer sa tolérance. Quoiqu’il fût très-attaché à ses opinions religieuses, il permettoit qu’on en professât librement de contraires : ce qui suffit seul pour caractériser un honnête homme & un bon esprit.

Ce fut dans ce tems, au commencement du xvij. siecle, que se forma la fameuse société des rose-croix, ainsi appellée du nom de celui qu’elle regarda comme son fondateur ; c’étoit un certain Rosencreuz, né en Allemagne en 1388. Cet homme fit un voyage en Palestine, où il apprit la magie, la cabale, la chimie & l’alchimie. Il se fit des associés, à qui il confia ses secrets. On ajouta qu’il mourut âgé de cent vingt ans. L’association se perpétua après sa mort. Ceux qui la composoient se prétendoient éclairés d’en-haut. Ils avoient une langue qui leur étoit propre, des arcanes particuliers ; leur objet étoit la réformation des mœurs des hommes dans tous les états, & de la science dans toutes ses branches ; ils possédoient le secret de la pierre philosophale & de la teinture ou médecine universelle. Ils pouvoient connoître le passé & prédire l’avenir. Leur philosophie étoit un mélange obscur de paracelsisme & de théosophie. Les

merveilles qu’ils disoient d’eux, leur attacherent beaucoup de sectateurs, les uns fourbes, les autres dupes. Leur société répandue par toute la terre n’avoit point de centre. Descartes chercha par-tout des Rose-croix, & n’en trouva point. Cependant on publia leurs statuts : mais l’histoire des Rose-croix s’est tellement obscurcie depuis, que l’on regarde presqu’aujourd’hui ce qu’on en débitoit autrefois comme autant de fables.

Il suit de ce que précede qui les Théosophes ont été des hommes d’une imagination ardente ; qu’ils ont corrompu la Théologie, obscurci la Philosophie, & abusé de leurs connoissances chimiques, & qu’il est difficile de prononcer s’ils ont plus nui que servi au progrès des connoissances humaines.

Il y a encore quelques théosophes parmi nous. Ce sont des gens à demi-instruits, entêtés de rapporter aux saintes Ecritures toute l’érudition ancienne & toute la philosophie nouvelle ; qui deshonorent la révélation par la stupide jalousie avec laquelle ils défendent ses droits ; qui retrécissent autant qu’il est en eux l’empire de la raison, dont ils nous interdiroient volontiers l’usage ; qui sont toujours tout prêts à attacher l’épithete d’hérésie à toute hypothese nouvelle ; qui réduiroient volontiers toute connoissance à celle de la religion, & toute lecture aux livres de l’ancien & du nouveau Testament, où ils voient tout ce qui n’y est pas & rien de ce qui y est ; qui ont pris en aversion la Philosophie & les Philosophes, & qui réussiroient à éteindre parmi nous l’esprit de découvertes & de recherches, & à nous replonger dans la barbarie, si le gouvernement les appuioit, comme ils le demandent.

THÉOXENIES, s. f. pl. (Antiq. greq.) θεοξένια, fête solemnelle des Athéniens où l’on sacrifioit à tous les dieux ensemble. Elle est ainsi nommée, parce qu’on y faisoit des préparatifs comme pour recevoir à un festin tous les dieux, παρὰ τοῦ ξενίζειν τοὺς θεούς. On célébroit aussi la même fête dans d’autres villes de Grece.

On en attribue l’institution à Castor & à Pollux. Le scholiaste de Pindare rapporte que les dioscures avoient institué les théoxénies, pour célébrer la mémoire de l’honneur que les dieux avoient daigné leur faire, d’assister à un festin qu’ils avoient préparé.

Les poëtes, pour inspirer l’hospitalité envers les étrangers, assûroient qu’on pouvoit d’autant moins s’en dispenser, que les dieux revêtus de la forme humaine venoient quelquefois visiter la terre, pour y observer les mœurs des hommes. C’est pourquoi Télémaque reçut Minerve dans sa maison sans la connoître, ce dont il fut bien récompensé. Au contraire Jupiter, humana lustrans sub imagine terras, pour me servir des termes d’Ovide, vint aborder chez Lycaon qui refusa de le recevoir, & il le changea en loup à cause de son inhumanité. En un mot, tout, chez les païens, inspiroit cette vertu de bienfaisance. S. Paul, en recommandant d’autres devoirs aux Hébreux, xiij. 2. y joint celui-ci : N’oubliez point l’hospitalité, car quelques-uns ont logé des anges. La loi des peuples de la Lucanie condamnoit à l’amende celui qui manquoit à cette charité ; on lui intentoit l’action d’inhospitalité, & l’amende étoit au profit de Jupiter hospitalier.

Quand chez les anciens un étranger demandoit à être reçu, le maître de la maison se présentoit ; il mettoit, ainsi que l’étranger, un pié sur le seuil de la porte, & là ils juroient de ne se faire aucun préjudice ; celui qui violoit cet engagement, se rendoit coupable du plus grand parjure, & étoit en exécration aux autres hommes ; en un mot, puisque l’hospitalité étoit une chose sainte & sacrée, voyez-en l’article ; voyez aussi Tessere d’hospitalité. (D. J.)

THÉOXENIUS, (Mythologie.) surnom d’Apol-