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laires moraux qui frappent le sens & qui affectent l’homme & sa volonté.

La volonté de l’homme n’est jamais sans espérance & sans crainte, & il n’y a point d’action volontaire sans le concours de ces deux passions.

Il n’y a point d’action libre considérée relativement à la seule dépendance de la volonté. Si l’on examine l’action relativement à quelque principe qui la dirige, elle peut être libre ou contrainte.

La puissance de la volonté est libre, quand l’homme suit son espérance naturelle, lorsqu’elle agit en lui sans le concours ou l’opposition d’une force étrangere qui l’attire ou qui l’éloigne. Cette force est ou visible ou invisible ; elle s’exerce ou sur l’ame ou sur le corps.

Toute action qui n’est pas volontaire ou spontanée se fait malgré nous. Il n’en est pas de même dans le cas de la contrainte. Une action contrainte ne se fait pas toujours malgré nous.

Dans l’examen de la valeur morale des actions volontaires, il faut avoir égard non-seulement au mouvement de la volonté qui les a précédées, mais à l’approbation qui les a suivies.

Le spontanée est ou libre ou contraint ; libre, si la volonté a mis en action la puissance translative, sans le concours d’une puissance étrangere favorable ou contraire ; contrainte, s’il est intervenu quelque force, quelque espérance ou quelque crainte extérieure.

Les mœurs consistent dans la conformité d’un grand nombre de volontés. Les sages ont leurs mœurs, qui ne sont pas celles des insensés. Les premiers s’aiment, s’estiment, mettent leur dignité principale dans les qualités de leur entendement, en font l’essence de l’homme & soumettent leurs appétits à leur raison qu’on ne contraint point.

C’est du mélange des passions qu’il suit qu’entre les insensés, il y en a d’instruits & d’idiots.

La force des passions dominantes n’est pas telle qu’on ne les puisse maîtriser.

Il n’y a point d’homme, si insensé qu’il soit, que la sagesse d’un autre ne domine & ne dispose à l’utilité générale.

Les passions dominantes varient selon l’âge, le climat, & l’éducation : voilà les sources de la diversité des mœurs chez les peuples divers.

Les mœurs des hommes ont besoin d’une regle.

L’expérience & la méditation font le sage.

Les insensés font peu de cas de la sagesse.

Les hommes, dont le caractere est une combinaison de l’ambition & de la volupté, n’ont besoin que du tems & de l’expérience pour devenir sages.

Tous ces principes qu’on établit sur la conscience juste & la conscience erronée, ne sont d’aucune utilité.

Le sage use avec les insensés du conseil & de l’autorité : il cherche à les faire espérer ou craindre.

L’honnête, l’agréable & l’utile sont les objets du sage : ils font tout son bonheur ; ils ne sont jamais séparés.

Dans la regle que le sage imposera aux insensés, il aura égard à leur force.

Le conseil est d’égal à égal ; le commandement est d’un supérieur à son inférieur.

Le conseil montre des biens & des maux nécessaires ; la puissance en fait d’arbitraires. Le conseil ne contraint point, n’oblige point du moins extérieurement ; la puissance contraint, oblige du-moins extérieurement. Le sage se soumet au conseil ; l’insensé n’obéit qu’à la force.

La vertu est sa propre récompense.

A proprement parler, les récompenses & les châtimens sont extérieurs.

L’insensé craint souvent des douleurs chimériques

& des puissances chimériques. Le sage se sert de ces fantômes pour le subjuguer.

Le but de la regle est de procurer aux insensés la paix extérieure, & la sécurité intérieure.

Il y a différentes sortes d’insensés. Les uns troublent la paix extérieure, il faut employer contre eux l’autorité ; d’autres qui n’y concourent pas, il faut les conseiller & les contraindre ; & certains qui ignorent la paix extérieure, il faut les instruire.

Il est difficile qu’un homme puisse réunir en lui seul le caractere de la personne qui conseille, & le caractere de celle qui commande. Ainsi il y a eu des prêtres & des rois.

Point d’actions meilleures que celles qui tendent à procurer la paix intérieure ; celles qui ne contribuent ni ne nuisent à la paix extérieure, sont comme indifférentes ; les mauvaises la troublent ; il y a dans toutes différens degrés à considérer. Il ne faut pas non plus perdre de vue la nature des objets.

Le juste est opposé au mal extrème ; l’honnête est le bien dans un degré éminent ; il s’éleve au-dessus de la passion ; le décent est d’un ordre moyen entre le juste & l’honnête. L’honnête dirige les actions extérieures des insensés ; le décent est la regle de leurs actions extérieures ; ils sont justes, de crainte de troubler la paix.

Le pacte differe du conseil & de l’autorité ; cependant il n’oblige qu’en conséquence.

La loi se prend strictement pour la volonté de celui qui commande. En ce sens, elle differe du conseil & du pacte.

Le but immédiat de la loi est d’ordonner & de défendre ; elle punit par les magistrats, elle contraint par les jugemens, & elle annulle les actes qui lui sont contraires : son effet est d’obliger.

Le droit naît de l’abandon de sa volonté : l’obligation lie.

Il y a le droit que j’ai, abstraction faite de toute volonté, & celui que je tiens du pacte & de la loi.

L’injure est l’infraction de l’obligation & du droit.

Le droit est relatif à d’autres ; l’obligation est immense : l’un naît des regles de l’honnête ; l’autre des regles du juste.

C’est par l’obligation interne que l’homme est vertueux ; c’est par l’obligation externe qu’il est juste.

Le droit, comme loi, est ou naturel ou positif. Le naturel se reconnoît par l’attention d’une ame tranquille sur elle-même. Le positif exige la révélation & la publication.

Le droit naturel se prend ou pour l’agrégat de tous les préceptes moraux qui sont dictés par la droite raison, ou pour les seules regles du juste.

Tout droit positif relativement à sa notoriété est humain.

Dieu a gravé dans nos cœurs le droit naturel ; il est divin ; la publication lui est inutile.

La loi naturelle s’étend plus aux conseils qu’à l’autorité. Ce n’est pas le discours de celui qui enseigne, mais de celui qui commande, qui la fait recevoir. La raison ne nous conduit point seule à reconnoître Dieu comme un souverain autorisé à infliger des peines extérieures & arbitraires aux infracteurs de la loi naturelle. Il voit que tous les châtimens qui n’émanent pas de l’autorité, sont naturels, & improprement appellés châtimens. Il n’y a de châtimens proprement dits que ceux qui sont décernés par le souverain, & visiblement infligés. La publication est essentielle aux lois. Le philosophe ne connoît aucune publication de la loi naturelle : il regarde Dieu comme son pere, plus encore que comme son maître. S’il a quelque crainte, elle est filiale & non servile.

Si l’on regarde Dieu comme pere, conseiller, docteur, & que l’honnêteté & la turpitude marque plutôt bonté & malice, ou vice en général, que justice