Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simple, il y a cependant bien des remarques à faire.

Maniere d’employer la couleur. Voici premierement ce qui est commun à toutes les couleurs en général, & qu’il faut observer pour les pouvoir employer, soit avec la planche, soit à la plume ou au pinceau. Lorsque la couleur ou le mordant sera fait, de la maniere que nous le décrirons dans la suite, il faudra dissoudre de la gomme arabique pour l’épaissir (le mordant), & pour le mettre en consistance de sirop épais, si l’on veut l’employer à la planche ; si c’est à la plume ou au pinceau, il le faut un peu moins épais, ensorte qu’il puisse couler plus facilement ; lorsqu’on voudra imprimer, on en prendra environ une cuillerée, que l’on étendra avec un morceau de coton sur un coussinet de crin, couvert d’un gros drap : on appliquera à plusieurs reprises la planche sur ce coussinet, pour la bien enduire de couleur : on la frottera avec une brosse, on la rappliquera de nouveau sur le coussinet, & on l’imprimera sur la toile comme nous l’avons dit.

S’il y a quelques endroits dans les angles des bordures ou ailleurs, où on ne veuille point que la planche porte, on y mettra une feuille de papier, qui recevra dans ces endroits l’impression de la planche & les épargnera sur la toile : on reprendra ensuite de la couleur avec la planche, & on imprimera à côté de la premiere impression, & ainsi de suite, prenant chaque fois de nouvelle couleur sur le coussinet, qu’on aura soin d’en fournir à mesure.

La planche est de poirier ou de tilleul, on la grave avec des gouges, des cizeaux & autres pareils instrumens : on voit bien que les traits qui impriment sur la toile, doivent être de relief, comme dans l’impression ordinaire qui se fait en planche de bois.

On n’imprime ordinairement sur la toile que le simple trait en noir ou en rouge, avec les deux premieres planches ; s’il y a des places un peu grandes où il doive y avoir du gros rouge ou du noir, cette premiere planche le porte, ou on le met au pinceau après l’impression.

Composition du noir. La composition pour le noir se fait en faisant bouillir de la limaille de fer avec partie de vinaigre & d’eau ; lorsque le mélange aura bouilli un quart-d’heure, on le retirera du feu & on le laissera reposer vingt-quatre heures : on versera ensuite la liqueur par inclination, pour la garder dans des bouteilles ; elle se conserve autant que l’on veut, & lorsqu’on souhaite s’en servir, on l’épaissit avec de la gomme. Cette liqueur est couleur de rouille de fer, & sur la toile qui n’est point engallée, elle ne fait que du jaune ; mais comme dans l’opération présente on l’imprime sur la toile engallée, elle fait sur le champ un noir foncé qui ne s’en va pas.

Maniere d’appliquer le rouge. Le rouge ne s’applique pas de la même maniere : on ne le met pas immédiatement sur la toile, mais on imprime une composition appellée mordant, qui n’a presque aucune couleur, & qui est différente, selon les différentes nuances de rouge ou de violet. Cette composition sert à faire attacher dans les endroits où elle a été mise, la couleur dans laquelle on plonge & on fait bouillir toute la toile, & à lui donner les différentes nuances dont on a besoin, depuis le couleur de rose, jusqu’au violet foncé.

Premiere composition de mordant pour le rouge foncé. Le mordant pour le beau rouge un peu foncé, se fait en cette sorte : on prend huit parties d’alun de rome, deux parties de soude d’alicante, & une d’arsenic blanc : on pilera toutes ces matieres, on les mettra dans une suffisante quantité d’eau, & on l’épaissira avec la gomme ; il est bon que l’eau dans laquelle on dissout ces matieres soit colorée avec du bois de Bresil, afin de voir sur la toile les endroits où

le mordant pourroit n’avoir pas pris, pour les réparer avec la plume ou le pinceau.

Autre mordant pour un beau rouge. On fait un autre mordant, qui donne aussi un très-beau rouge : on met une once & demie d’alun de rome, un gros & demi de sel de tartre, & un gros d’eau forte, dans une pinte d’eau ; il faut toujours des épreuves de ces différens mordans, sur des petits morceaux de toile, pour voir si la couleur est belle.

Lorsque la toile sera imprimée de la sorte, c’est à-dire avec le noir & le mordant pour le rouge, on mettra au pinceau ou avec des contre-planches le même mordant, aux endroits qui doivent être entierement rouges foncés : on les laissera sécher l’un & l’autre pendant douze heures au-moins, après quoi il faut bien laver la toile pour emporter toute la gomme qui y a été mise, avec le mordant & le noir.

Maniere de laver la toile. La maniere de laver la toile est très-importante, car c’est de là qu’en dépend la propreté & la beauté, & c’est ce qui empêche les couleurs de s’étendre & de couler. Si l’on a beaucoup de toile à laver, il faut nécessairement avoir une grande quantité d’eau, & que ce soit de l’eau courante si cela est possible, ou tout au-moins un très-grand bassin, afin que la petite quantité de mordant & de couleur qui s’enleve avec la gomme, soit extrémement étendue & ne puisse pas s’attacher sur le fond de la toile & la tacher : pour cela il faut beaucoup remuer la toile & la brasser en la lavant, & prendre garde lorsqu’il s’y fera des plis, qu’ils n’y soient pas long-tems sans être défaits ; c’est principalement quand on commence à laver la toile qu’il faut avoir ces attentions : car lorsque la premiere gomme est emportée, il n’y a plus rien à craindre. Si on travailloit une petite quantité de toile, & qu’on la lavât dans un seau, ou quelque chose de semblable, il faudroit la laver dans trois ou quatre eaux successivement : on peut être assuré qu’il n’y a nul inconvénient à la trop laver : lorsqu’elle le sera suffisamment, on la tordra, & on la laissera sécher, ou si l’on veut on la bouillira de la maniere suivante.

Maniere de faire bouillir la toile en grappe ou grappée ; Sitôt qu’on en a bien exprimé l’eau, & avant qu’elle soit seche, on met dans un chaudron de l’eau suivant la quantité de toile que l’on a à teindre ; lorsqu’elle commence à tiédir, on y jette de la bonne garance légerement broyée avec les mains ; ou ne peut pas fixer exactement la dose, parce que cela dépend de la bonté de la garance, & de la couleur plus ou moins foncée que l’on veut donner : on peut seulement dire qu’il faut pour quinze aunes de toile, une livre & demie de garance & douze pintes d’eau ; si l’on veut une plus belle couleur, on mêlera de la cochenille avec la garance, à proportion de la beauté de l’ouvrage, & du prix qu’on veut y mettre. Lorsque la garance sera bien mêlée, & que l’eau sera chaude à n’y pouvoir souffrir la main qu’avec peine, on y mettra la toile, on la plongera & on la retirera à plusieurs reprises, afin qu’elle soit teinte bien également. Après cela on la plongera dans l’eau froide, & on la lavera le plus qu’il sera possible, en changeant d’eau très souvent, jusqu’à ce qu’elle en sorte claire : on fera bouillir ensuite quelques poignées de son dans de l’eau claire, & après qu’elle aura bouilli, on la retirera du feu, on la passera par un linge afin d’en ôter le son, & on lavera bien dans cette eau encore chaude, la toile dont le fond perdra encore par ce moyen un peu de la couleur : on la tordra ensuite, & on la laissera bien sécher : on verra pour lors que le fond sera d’un rouge foncé, & que le noir est devenu encore plus beau ; c’est alors qu’avec des contre-planches, si c’est de l’ouvrage commun, ou avec le pinceau, si on le veut plus fini, on mettra le mordant pour le rouge clair, & celui pour le violet.