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cre, dans le milieu duquel j’ai ajusté trois fils de fer, qui excédent d’environ une demi-ligne les plus longs poils ; ces trois fils doivent être joints ensorte qu’ils se touchent immédiatement, & qu’ils soient entourés du reste du pinceau.

On fera fondre de la cire blanche dans un petit vaisseau de terre, & on en prendra avec cette sorte de pinceau ; les fils de fer laissent couler la cire que la grosseur du pinceau entretient coulante assez longtems ; & ces mêmes fils soutiennent la main, & font qu’on trace les traits aussi délicatement qu’on pourroit le faire avec la plume : on fera ces raisonnemens sur le rouge, avant de mettre le mordant, & immédiatement après que le trait est imprimé ou dessiné à la main.

Il est aisé de comprendre que lorsqu’on vient à mettre ensuite le mordant sur la feuille où l’on a dessiné la cire, elle conserve ces endroits-là & empêche le mordant d’y prendre ; lorsqu’on fait ensuite bouillir la toile dans la garance ou la cochenille, la cire se fond & s’en va ; & comme il n’y a point eu de mordant dans ces endroits où elle étoit, ils demeurent blancs comme le fond de la toile.

On fera la même chose après le premier bouillissage pour les réservés, sur le rouge clair, le gris-de-lin, le violet, & enfin (après que la toile est herbée), pour le bleu, le verd & le jaune. Cet ouvrage est long, mais il s’en trouve quelquefois dans les toiles de la premiere beauté.

Nous allons donner maintenant les diverses manieres de travailler les toiles qui ont un moindre nombre de couleurs, & pour la plûpart desquelles on a trouvé des pratiques plus faciles ; & nous ajouterons ensuite des procédés de couleurs plus belles que quelques-unes de celles des Indes, & qui n’y sont pas connues.

On voit par le détail que nous venons de faire, que lorsque dans la toile on ne veut que du rouge ou du noir, il s’en faut tenir au premier bouillissage, dans lequel on ajoutera de la cochenille, à proportion de l’éclat qu’on voudra donner à la couleur ; & si l’on y veut du violet, on ira jusqu’au deuxieme bouillissage, & dans l’un & l’autre cas on fera blanchir la toile sur le pré.

Si l’on ne veut qu’une impression noire sur un fend blanc, il s’y faut prendre d’une maniere un peu différente ; on n’engallera point la toile, parce qu’elle contracte dans l’engallage une couleur roussâtre, qu’on ne peut jamais faire en aller, & qu’il n’y a que le bouillissage dans la garence, ou la cochenille qui le puisse détruire : ainsi on ne doit jamais engaller les toiles qui doivent être bouillies ; c’est-à-dire, celles qui doivent avoir du rouge, quoiqu’il soit cependant possible d’imprimer du rouge sans les engaller ni les bouillir, comme nous le dirons dans la suite ; mais cette pratique n’est pas ordinaire, & n’est pas connue aux Indes.

Pour faire donc les toiles qui ne sont que noir & blanc, on les imprimera avec la liqueur de ferraille ; & lorsqu’elle sera seche, ou les lavera avec les précautions que nous avons rapportées ; l’impression sera d’un jaune pâle & ineffaçable ; il y en a quelques-unes qui demeurent en cet état, & qui sont assez jolies ; mais pour les avoir en noir, on hache un morceau de bois d’Inde ou de Campeche, on le fait bouillir dans une suffisante quantité d’eau ; on y plonge la toile, on la remue, on lui fait faire un bouillon, on la lave bien ensuite dans plusieurs eaux froides, & on la met herber sur le pré pendant deux ou trois jours : le fond se blanchit parfaitement, & l’impression demeure d’un très-beau noir ; on l’apprête ensuite, & on la calandre à l’ordinaire.

Il y a une sorte de toiles très-communes, qui ne sont que rouge & noir, & dont le fond, ou les gran-

des parties du fond, sont marbrés ou plutôt sablés.

La maniere d’imprimer ces toiles paroît avoir plusieurs difficultés ; mais on y supplée par une pratique facile & ingénieuse : une seule planche porte tout ce qui doit être imprimé en noir, & une contre-planche tout ce qui doit être imprimé en rouge. Nous avons déjà vu faire la même chose ; mais comme il s’agit de sabler le fond, ce qui seroit impraticable, s’il falloit réserver sur les planches des petites parties de bois en relief assez proches les unes des autres, & assez menues pour faire les points tels qu’ils doivent être.

On creuse donc en entier le fond de la planche, & on le rend le plus uni qu’il est possible ; on y enfonce ensuite de petites pointes de fil-de-fer, dont l’extrémité supérieure demeure au niveau des reliefs de la planche ; & pour s’assurer qu’elles sont de même hauteur, on a un petit outil de fer qui porte à 3 ou 4 lignes de son extrémité une espece de talon, comme on le voit dans la figure ci-jointe ; on frappe sur l’extrémité B, & le talon A enfonce la petite pointe dans la planche, jusqu’à ce que la partie C touche le fond de la planche. Ainsi la pointe ne sauroit enfoncer plus avant ; elles se trouvent par ce moyen toutes de même hauteur, & la grosseur de la partie inférieure du même outil sert encore à les placer à des intervalles égaux, ce qui ne seroit pas facile sans ce secours.

Malgré toutes ces précautions, il peut arriver encore que quelques-unes de ces pointes soient mal unies par leur extrémité supérieure, à cause de l’inégalité de leur hauteur, ou bien elles peuvent être trop pointues, & percer ou déchirer la toile. Pour y remédier, on fait fondre la cire, & on la coule sur la planche ; elle en emplit exactement tout le creux, & environne de toute part les petites pointes ; on la laisse refroidir, & avec une pierre à éguiser on frotte sur toute la surface de la planche ; cela acheve d’unir & de polir tous les fils de fer, ensorte qu’ils portent tous également, & ne peuvent point endommager la toile : on chauffe ensuite la planche pour en ôter la cire ou la poix-résine, & elle est entierement achevée. S’il y a des parties ou on ne veuille que des points noirs, il n’y a que la planche avec laquelle on imprime le noir, qui a des points en ces endroits-là.

Si l’on ne veut que des points rouges dans d’autres endroits, c’est la contre-planche pour le rouge qui les porte : mais dans les parties qui doivent être marbrées, il doit y avoir des pointes sur l’une & sur l’autre planche, ensorte qu’elles portent toutes deux aux mêmes endroits ; c’est ce qui produit le marbré qu’on voit à ces sortes de toiles : on les fait bouillir ensuite dans la garance, & herber de même que les autres.

Les toiles bleues & blanches demandent un travail tout particulier. Le fond ordinairement en est bleu, & les bouquets ou desseins tout blancs ; on juge par ce que nous avons dit ci-dessus, qu’il faut citer les parties qui doivent demeurer blanches, mais il ne seroit pas possible de colorer au pinceau tout ce qui doit l’être, surtout dans des toiles communes, dont le prix est très-modique.

On a imaginé de pratiquer ce qui suit. On fait une planche en bois telle qu’elle doit être pour les parties que l’on veut conserver blanches : l’on moule cette planche de bois dans du sable, dans lequel on jette du plomb ou de l’étain fondu, de sorte que l’on a une planche de plomb pareille à celle de bois : on a soin d’y conserver un bouton ou une main pour la tenir avec plus de facilité ; on étend sur une table couverte de sable la toile que l’on veut cirer, elle ne doit point être engallée, mais seulement bien dégommée, on fait fondre ensuite dans une grande terrine ou