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sort, il chercha sans cesse la tranquillité, qu’il n’étoit pas en lui de se procurer. Sa dissipation mal entendue, ce mépris de l’argent dont il se pare à chaque instant, l’obligerent à faire des bassesses, qui répondoient peu à la prétendue noblesse de ses sentimens.

Il est vrai pourtant qu’il étoit généreux, donnoit volontiers d’une main ce qu’il arrachoit de l’autre, & ne pouvoit prendre sur lui l’attention de ménager pour se procurer des ressources dans la nécessité. Il avoit une nombreuse famille, & plusieurs valets ; aimoit le faste, & recevoit honorablement ses amis. D’ailleurs il n’épargnoit rien pour acheter & pour faire copier des livres. Au reste, il avoit conservé une santé vigoureuse par la sobriété ; aussi n’éprouvoit-il aucune incommodité dans sa plus grande vieillesse. Ses lettres respirent des sentimens, une morale saine, & une érudition aussi variée & aussi étendue que son siecle le comportoit. (D. J.)

TOLENUS, (Géog. anc.) fleuve d’Italie chez les Marses. Orose, l. V. c. xviij. cité par Ortélius, dit que ce fut sur le bord de ce fleuve que Rutilius & huit mille romains qu’il avoit avec lui, furent pris par les Marses. C’est le Thelonum dont parle Ovide, Fastor. l. VI. vers. 565.

…… Flumenque Thelonum
Purpureum mistis sanguine fluxit aquis.

Ortélius conjecture que ce fleuve est le même que le Liris. (D. J.)

TOLÉRANCE, (Ordre encyclop. Théolog. Morale, Politiq.) la tolérance est en général la vertu de tout être foible, destiné à vivre avec des êtres qui lui ressemblent. L’homme si grand par son intelligence, est en même tems si borné par ses erreurs & par ses passions, qu’on ne sauroit trop lui inspirer pour les autres, cette tolérance & ce support dont il a tant besoin pour lui-même, & sans lesquelles on ne verroit sur la terre que troubles & dissentions. C’est en effet, pour les avoir proscrites, ces douces & conciliantes vertus, que tant de siecles ont fait plus ou moins l’opprobre & le malheur des hommes ; & n’esperons pas que sans elles, nous rétablissions jamais parmi nous le repos & la prospérité.

On peut compter sans doute plusieurs sources de nos discordes. Nous ne sommes que trop féconds en ce genre ; mais comme c’est sur-tout en matiere de sentiment & de religion, que les préjugés destructeurs triomphent avec plus d’empire, & des droits plus spécieux, c’est aussi à les combattre que cet article est destiné. Nous établirons d’abord sur les principes les plus évidens, la justice & la nécessité de la tolérance ; & nous tracerons d’après ces principes, les devoirs des princes & des souverains. Quel triste emploi cependant, que d’avoir à prouver aux hommes des vérités si claires, si intéressantes, qu’il faut pour les méconnoître, avoir dépouillé sa nature ; mais s’il en est jusque dans ce siecle, qui ferment leurs yeux à l’évidence, & leur cœur à l’humanité, garderions-nous dans cet ouvrage un lâche & coupable silence ? non ; quel qu’en soit le succès, osons du-moins reclamer les droits de la justice & de l’humanité, & tentons encore une fois d’arracher au fanatique son poignard, & au superstitieux son bandeau.

J’entre en matiere par une réflexion très-simple, & cependant bien favorable à la tolérance, c’est que la raison humaine n’ayant pas une mesure précise & déterminée, ce qui est évident pour l’un est souvent obscur pour l’autre ; l’évidence n’étant, comme on sait, qu’une qualité relative, qui peut venir ou du jour sous lequel nous voyons les objets, ou du rapport qu’il y a entre eux & nos organes, ou de telle autre cause ; en sorte que tel degré de lumiere suffisant pour convaincre l’un, est insuffisant pour un autre dont l’esprit est moins vif, ou différemment affecté,

d’où il suit que nul n’a droit de donner sa raison pour regle, ni de prétendre asservir personne à ses opinions. Autant vaudroit en effet exiger que je regarde avec vos yeux, que de vouloir que je croie sur votre jugement. Il est donc clair que nous avons tous notre maniere de voir & de sentir, qui ne dépend que bien peu de nous. L’éducation, les préjugés, les objets qui nous environnent, & mille causes secretes, influent sur nos jugemens & les modifient à l’infini. Le monde moral est encore plus varié que le physique ; & les esprits se ressemblent moins que les corps. Nous avons, il est vrai, des principes communs sur lesquels on s’accorde assez ; mais ces premiers principes sont en très-petit nombre, les conséquences qui en découlent deviennent toujours moins claires à mesure qu’elles s’en éloignent ; comme ces eaux qui se troublent en s’éloignant de leur source. Dès-lors les sentimens se partagent, & sont d’autant plus arbitraires, que chacun y met du sien, & trouve des résultats plus particuliers. La déroute n’est pas d’abord si sensible ; mais bientôt, plus on marche, plus on s’égare, plus on se divise ; mille chemins conduisent à l’erreur, un seul mene à la vérité : heureux qui sait le reconnoître ! Chacun s’en flatte pour son parti, sans pouvoir le persuader aux autres ; mais si dans ce conflit d’opinions, il est impossible de terminer nos différends, & de nous accorder sur tant de points délicats, sachons du-moins nous rapprocher & nous unir par les principes universels de la tolérance & de l’humanité, puisque nos sentimens nous partagent, & que nous ne pouvons être unanimes. Qu’y a-t-il de plus naturel que de nous supporter mutuellement, & de nous dire à nous-mêmes avec autant de vérité que de justice ? « Pourquoi celui qui se trompe, cesseroit-il de m’être cher ? l’erreur ne fut-elle pas toujours le triste apanage de l’humanité ? Combien de fois j’ai cru voir le vrai, où dans la suite j’ai reconnu le faux ? combien j’en ai condamné, dont j’ai depuis adopté les idées ? Ah, sans doute, je n’ai que trop acquis le droit de me défier de moi-même, & je me garderai de haïr mon frere, parce qu’il pense autrement que moi !»

Qui peut donc voir, sans douleur & sans indignation, que la raison même qui devroit nous porter à l’indulgence & à l’humanité, l’insuffisance de nos lumieres & la diversité de nos opinions, soit précisement celle qui nous divise avec plus de fureur ? Nous devenons les accusateurs & les juges de nos semblables ; nous les citons avec arrogance à notre propre tribunal, & nous exerçons sur leurs sentimens l’inquisition la plus odieuse ; & comme si nous étions infaillibles, l’erreur ne peut trouver grace à nos yeux. Cependant quoi de plus pardonnable, lorsqu’elle est involontaire, & qu’elle s’offre à nous sous les apparences de la vérité ? les hommages que nous lui rendons, n’est-ce pas à la vérité même que nous voulons les adresser ? Un prince n’est-il pas honoré de tous les honneurs que nous faisons à celui que nous prenons pour lui-même ? Notre méprise peut-elle affoiblir notre mérite à ses yeux, puisqu’il voit en nous le même dessein, la même droiture que dans ceux qui mieux instruits, s’adressent à sa personne ? Je ne vois point de raisonnement plus fort contre l’intolérance ; on n’adopte point l’erreur comme erreur ; on peut quelquefois y persévérer à dessein par des motifs intéressés, & c’est alors qu’on est coupable. Mais je ne conçois pas ce qu’on peut reprocher à celui qui se trompe de bonne foi, qui prend le faux pour le vrai sans qu’on puisse l’accuser de malice ou de négligence ; qui se laisse éblouir par un sophisme, & ne sent pas la force du raisonnement qui le combat. S’il manque de discernement ou de pénétration, ce n’est pas ce dont il s’agit ; on n’est pas coupable pour être borné, & les erreurs de l’esprit ne peuvent