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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/451

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plus avantageusement située pour le commerce que Toulouse, il ne s’y en fait cependant presqu’aucun. Le génie des habitans les porte quand ils sont aisés, à acquérir des charges de robe, ou à viser au capitoulat ; de-là vient que Toulouse, une des plus grandes villes du royaume, est une des plus pauvres & des plus dépeuplées. Il y a présidial, sénéchaussée, hôtel des monnoies, généralité, parlement & université, mais tous ces beaux titres ne l’enrichissent pas ; son académie est comme du tems des troubadours ; ses prix consistent dans une amaranthe d’or, une églantine, une violette, & un souci d’argent. Son évêché fut érigé en archevêché par le pape Jean XXII. & c’est un bénéfice de 80 mille livres de rente.

Sous Raymond V. comte de Toulouse, s’éleva dans cette ville un tribunal d’inquisition, au sujet de l’hérésie des Albigeois, & bien-tôt ce tribunal fit trembler par sa rigueur les personnes mêmes les plus innocentes ; le soulevement fut si grand, qu’on fut obligé de l’abolir ; mais ce qu’il y a de singulier, c’est qu’il en reste des vestiges ; car d’un côté M. de Montchal, archevêque de Toulouse, se fit attribuer le droit d’examiner si dans l’élection des capitouls, il n’y a personne qui soit suspect d’hérésie ; & de l’autre les dominicains continuent de faire pourvoir par le roi un religieux de leur ordre de l’office d’inquisiteur de Toulouse, parce qu’il y a quelques gages attachés à cette charge, qui par bonheur n’est aujourd’hui qu’un vain titre sans fonction.

On peut lire sur Toulouse l’abbé de Longuerue, Piganiol, description de la France, Nicol Bertrand des gestes des Toulousains, & mieux encore la Faille annales de Toulouse, ainsi que l’histoire de cette ville, qu’on y a imprimée en 1759 in-4°.

Long. suivant de la Hire, 18. 11. 30. suivant Lieutaud,des Places & Cassini, 18. 56. 30. lat. suivant de la Hire, 43. 30. suivant Lieutaud, des Places & Cassini, 43. 37.

Je n’entrerai dans aucune description de Toulouse moderne, ayant à parler des hommes illustres dans les armes & dans les lettres, à qui cette capitale du Languedoc a donné la naissance, & dont on voit les bustes en marbre dans l’hôtel-de-ville. Je commence par Antonius, auquel je m’arrêterai quelque tems, à cause du grand rôle qu’il a joué dans le monde.

Antonius Primus (Marcus), étoit ami de Martial, & son Mécene ; aussi ce poëte l’éleve jusqu’aux nues. Il dit qu’Antonius pouvoit se rappeller chaque jour de sa vie sans remords, & qu’il n’en avoit passé aucun, que d’une maniere qui fût propre à lui en rendre le souvenir agréable.


Jam numerat placido felix Antonius ævo
Quindecies actas, primus, olympiadas :
Proeteritos dies, & totos respicit annos,
Nec metuit Lethes jam propioris aquas.
Ampliat ætatis spatium sibi vir bonus hoc est
Vivere bis, vitâ posse priore frui.

L. X. epigr. 23.

Martial ne se borne pas à cet éloge ; il nous représente Marcus Antonius au-dessus du reste des mortels, & nous assure, que s’il pouvoit dépeindre son esprit & son caractere, ce seroit le portrait le plus accompli de la nature humaine. Voici les propres termes qu’il emploie.

Hæc mihi, quæ colitur violis pictura rosisque,
Quos referat vultus, Cœciliane, rogas ?
Talis erat Marcus mediis Antonius annis,
Primus in hoc juvenem se videt, ore senex.
Ast utinam mores, animumque effingere posset !
Pulchrior in terris nulla tabella foret
.

L. X. epigr. 32.

Combien il faut se défier des louanges des poëtes ! Horace & Virgile nous l’avoient déjà prouvé dans

leurs adulations pour Auguste ; Martial nous le confirme dans celles qu’il prodigue au nouvel héros de sa fabrique ; voici donc la vérité. Marcus Antonius fut un des premiers capitaines de son tems, & qui a joué un grand rôle dans l’histoire romaine ; c’étoit un homme éloquent dont Tacite nous a conservé quelques fragmens d’harangues, mais un homme chargé de crimes, & dont la scélératesse égala la valeur. Sous le regne de Néron, il fut convaincu d’être un indigne faussaire, & d’avoir forgé un testament ; aussi fut-il condamné pour ce crime à être banni de Rome.

Comme c’étoit un homme intrigant, hardi, & entreprenant, il trouva le moyen d’y rentrer, & d’obtenir de Galba le commandement d’une légion. Sur le déclin des affaires de Vitellius, il prit le parti de Vespasien, lui rendit de grands services, & le plaça, pour ainsi dire, sur le thrône. Il s’empara de Padoue, d’Ateste (aujourd’hui Est), embrasa, détruisit & saccagea Crémone, avec la barbarie la plus incroyable. Ensuite il ravagea l’Italie comme un pays de conquête, ruina la discipline dans les troupes, & se servit de ce moyen pour s’enrichir par le pillage.

Il attaqua l’armée de Vitellius aux portes de Rome, & la poursuivit jusques dans Rome même ; là le combat se renouvella, & continua pendant quelque tems, en trois différens endroits avec beaucoup de furie & de carnage, jusqu’à ce qu’enfin les Vitelliens furent défaits, & Antonius demeura maître de Rome ; alors il dévoila pleinement son exécrable avarice, enlevant des palais sans scrupule, or, argent, meubles, esclaves, comme s’il eût encore pillé Crémone. C’est ainsi qu’il termina la guerre civile, & qu’il affermit la couronne impériale sur la tête de Vespasien.

Mais la jactance, l’orgueil, les richesses & l’avidité d’Antonius, le perdirent ; tous les chefs de l’armée, ayant Mucien à leur tête, se liguerent contre lui. Ils l’accuserent auprès de Vespasien d’être un esprit dangereux, d’avoir perdu la discipline militaire pour se faire des créatures, d’être arrivé trop tard au secours de Sabinus, & d’avoir voulu élever à l’empire Crassus Scribonianus, à quoi ils ajouterent le détail de tous ses crimes précédens. Enfin, il déchut peu-à-peu de son crédit, & se vit obligé de se retirer à Toulouse, où il mourut sans honneur, âgé de 65 ou 75 ans.

Voilà le portrait qu’en fait Tacite dans son histoire, l. II. l. III. & l. IV. où vous trouverez de grands détails.

Pour les assembler en deux mots, Antonius étoit un homme d’intrigue & d’exécution, hardi de la langue & de la main, maniant la parole avec une adresse merveilleuse, propre à décrier qui il vouloit, habile à gagner les bonnes graces des soldats, vrai boute-feu de guerres civiles, prompt à piller & à prodiguer, pernicieux dans la paix, & de grand prix à la guerre. Je serai court sur les autres toulousains, dont les bustes sont en marbre dans l’hôtel-de-ville de Toulouse.

Statius Surculus, ou Urculus, rhéteur qui vivoit du tems de Néron, vers l’an 60 de J. C. parut peu de tems avant Antonius. Ne le confondez pas avec le poëte Publius Papinius Statius, qui florissoit du tems de Domitien.

Æmilius Magnus Arborichus, rhéteur, enseigna, dit-on, dans Toulouse les belles-lettres au frere de Constantin.

On voit ensuite les bustes de Théodoric I. & II. rois de Toulouse ; de Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse ; de Bertrand comte de Toulouse, de Guillaume & de Jean de Nogaret. Parlons à présent des hommes de lettres nés à Toulouse, dont les bustes sont dans la galerie.