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de faux teint, & que les teinturiers n’appliquent que sur des toiles de fil ou de coton.

Les peintres s’en servent quelquefois pour colorer le papier & le crayonner. On l’emploie aussi à la détrempe & sans gomme, parce que cette couleur est fine & n’a pas de corps. On en peint quelquefois les murailles bien blanchies avec la chaux, qui ne sont pas exposées à la pluie. On n’en fait aucun usage avec l’huile, ni dans les fresques.

Les dessinateurs s’en servent pour les différens desseins qu’ils tracent sur la toile, ou sur les étoffes de soie qu’on veut faire broder ; mais l’usage le plus commun du tournesol est pour teindre le papier ; par exemple, ce gros papier d’un bleu foncé tirant sur le violet, avec lequel on envelope le sucre, est teint avec le tournesol.

Les chimistes se servent de la dissolution très-étendue ou délayée de tournesol dans l’eau, qu’ils appellent communément teinture de tournesol, pour reconnoître si une liqueur saline contient de l’acide ou de l’alkali, & lequel de ces deux principes y est surabondant. Si c’est l’acide, la teinture rougit : si c’est l’alkali, elle verdit, mais ce verd tire un peu sur le pourpre ; & si elle est neutre, la couleur ne change point. Quoique cet effet soit en général assez constant, il a ses exceptions, mais en petit nombre. On se sert encore de la teinture de tournesol dans l’analyse des eaux minérales à la même intention.

Les limonnadiers & les confiseurs l’emploient pour imiter ou foncer les infusions de violette, & pour donner la couleur bleue ou violette à plusieurs liqueurs : mais c’est une falsification véritablement condamnable ; car les liqueurs ou sirop où il y a du tournesol, ont toujours un mauvais goût tirant sur le pourri. On s’en sert encore, mais sans inconvénient, dans le même art pour donner une couleur bleue à certaines pâtes, conserves, & autres confitures. On peut donner une couleur violette à l’esprit-de-vin, en y versant quelques gouttes d’une forte teinture de tournesol.

On emploie encore beaucoup la pierre de tournesol dans les blancheries de toiles, en particulier pour les cambrais & les batistes que l’on passe à ce bleu, après les avoir passées au lait.

Outre ce tournesol que nous pouvons appeller le nôtre, ou le tournesol de Languedoc, Lémeri (traité des drogues) fait encore mention d’un tournesol en drapeau, qu’il dit venir de Constantinople, & qu’il assure être fait avec de la cochenille & quelques acides. Ce qui paroît impossible, puisque les acides éclaircissent le rouge de la cochenille, & le font changer en ponceau ou orangé. Les alkalis pourroient plutôt produire cet effet, en tournant la couleur rouge en violet.

Il y a suivant le même auteur, du tournesol fait avec du coton ; c’est du coton applati de la grandeur & figure d’un écu, qu’on teint en Portugal avec la cochenille mesteque. M. Lémeri dit que l’un & l’autre tournesol servent à colorer les liqueurs & les gelées de fruits. Mais toutes ces especes de teintures ne sont plus en usage, & on n’entend aujourd’hui par tournesol, que celui qui se fait avec le suc de la maurelle ; & c’est de celui-là que je vais parler d’après le mémoire que j’ai donné sur cette matiere, dans le volume des Mém. de l’acad. royale des Scienc. pour l’ann. 1754.

Pour l’intelligence du procédé que je vais décrire, il est nécessaire que je dise un mot de la maniere dont on ramasse la plante, & des instrumens dont on se sert pour faire cette préparation. J’ai appris de plusieurs habitans du grand Gallargues, qu’on préparoit ces drapeaux dans ce village depuis plusieurs siecles.

« Les habitans du grand Gallargues n’ont pas la li-

berté de cueillir la maurelle dans tous les tems de

l’année. En vertu d’un ancien réglement, ils ne peuvent faire cette récolte qu’après en avoir obtenu la permission des maire & consuls du lieu. On donne ordinairement cette permission à toute la communauté vers le 25 Juillet, tems où la récolte du blé est déja faite, & où la maurelle est dans sa perfection. On ne fait dans l’année que cette seule récolte, depuis le 25 Juillet jusqu’au 5 ou 8 de Septembre. Les paysans vont alors chercher cette plante à quinze ou vingt lieues à la ronde dans le Gévaudan, & même jusqu’en Provence. Ils ont grand soin de se cacher les uns aux autres les lieux particulier où elle croît en abondance : ils font cette récolte en diligence, la plante pour pouvoir être employée, devant être fort récente ; la fermentation nuisant toujours au succès de l’opération dont il s’agit : il faut aussi que la maurelle ne soit pas terreuse.

» Les vaisseaux & instrumens dont on se sert ne sont pas tous de la même grandeur, & on croit assez inutile de les assujettir à une certaine capacité déterminée.

» Les particuliers qui font l’opération que nous décrivons, placent leurs vaisseaux à un rez-de-chaussée, dans une espece de hangar ou d’écurie, où l’on voit d’abord un gros pressoir fait de bois de chêne verd, & soutenu des deux côtés sur deux murs de maçonnerie. Ce pressoir a d’ordinaire un pié d’épaisseur à chaque bras, sur huit piés & demi de longueur, & un pié & demi de hauteur : je ne puis mieux le comparer qu’à une grande presse de relieur. On pratique sous ce pressoir une cuve de pierre, qu’on appelle en langue vulgaire pile ; elle a communément la forme d’un parallélépipede, & rarement celle d’un gros cylindre ; son épaisseur ordinaire est de trois ou quatre pouces : on lui donne intérieurement un pié & demi de large, sur trois piés de long, & sur deux piés de profondeur : c’est dans cette cuve qu’on met l’urine & autres ingrédiens nécessaires. Enfin on trouve dans ce même lieu un moulin, dont la meule posée de-champ, a un pié d’épaisseur ; un cheval la fait tourner : elle roule autour d’un pivot perpendiculaire, dans une orniere circulaire, assez large & assez profonde, où l’on met la maurelle qu’on veut broyer. Ce moulin est de même forme que ceux dont on se sert pour écraser les olives ou le tan. M. Astruc, de la société royale des Sciences de Montpellier, a donné la figure très-exacte de ce moulin, dans ses Mémoires pour l’histoire naturelle de la province de Languedoc. Voyez pages 336, 337. Pl. VI. fig. 1. »

Procédé de la coloration des drapeaux ou chiffons avec lesquels les Hollandois font la pierre de tournesol. Les habitans du grand Gallargues qui ont ramassé une certaine quantité de maurelle, choisissent pour la faire broyer & en tirer le suc, un jour convenable. Ils veulent que le tems soit fort serein, l’air sec, le soleil ardent ; que le vent souffle du nord ou du nord-ouest : il n’est pas difficile d’avoir au mois d’Août, dans le bas Languedoc, des jours où toutes ces circonstances se trouvent réunies. La constitution de l’atmosphere étant telle que nous venons de le dire, on fait moudre la maurelle dans le moulin que nous avons décrit ; quand elle est bien écrasée, on la met dans un cabas de forme circulaire, fait d’une espece de jonc, & fabriqué à Lunel, parfaitement semblable à ceux dont on se sert pour mettre les olives au pressoir. On remplit le cabas de maurelle bien écrasée, on la met ensuite au pressoir & on presse fortement ; le suc découle dans la cuve de pierre, placée immédiatement sous le pressoir : dès qu’il a cessé de couler, on retire le cabas du pressoir, & on jette le