Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/562

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a trois systèmes différens sur la maniere dont s’opere la transsubstantiation : celui des Péripatéticiens, celui de M. Cally, & celui de M. Varignon.

1°. Les Péripatéticiens, en reconnoissant que toute la substance du pain & du vin est réellement changée en la substance du corps & du sang de Jésus-Christ, soutiennent que l’étendue actuelle du pain & du vin subsiste dans tout son entier. Le corps de Jesus-Christ selon eux, quoique réellement animé & organisé dans l’eucharistie, ne s’y trouve pas actuellement étendu. L’étendue du pain & du vin, suivant leurs principes, demeure après la consécration, & existe sans sujet d’inhésion. Ce système suppose qu’un corps en demeurant vrai corps, peut être dépouillé de son extension actuelle ; & que l’extension actuelle d’un corps peut subsister, quoique ce corps lui-même ne subsiste plus. Mais outre que ce principe est faux, cette hypothèse est contraire aux sentimens des peres qui reconnoissent dans l’euchariste le même corps de Jesus-Christ, qui est né de la vierge Marie, qui a été crucifié, &c. Or qui peut concevoir un pareil corps sans étendue actuelle ? Enfin, l’étendue interne qu’ils supposent, par laquelle un corps est étendu, par rapport à lui-même, sans l’être par rapport aux corps qui l’environnent, est aussi insoutenable, que leur subsistance d’accidens sans sujet d’inhésion est imaginaire.

2°. M. Cally, professeur de Philosophie dans l’université de Caen, & disciple de Descartes, a prétendu que l’union réelle de l’ame & de la divinité de Jesus-Christ avec le pain & le vin eucharistiques, forment le corps de l’homme-Dieu présent sur nos autels. Suivant le principe de ce philosophe, toute matiere, de quelqu’espece qu’elle soit, est également suffisante pour constituer le corps de l’homme. Dès que l’ame humaine se trouve unie à une portion de matiere quelle qu’elle puisse être ; il en résulte selon lui un homme proprement dit.

M. Nicole a réfuté solidement ce système dans sa LXXXIIIme. lettre. Mais il semble contraire à la foi de l’Eglise, qui par le corps de Jesus-Christ présent sur nos autels, n’entend pas une nouvelle matiere séparée & distinguée de celle qui compose le corps de Jesus-Christ dans le ciel, mais le même corps qu’il a pris dans le sein d’une vierge, qui a souffert pour nous, &c. ce que M. Cally n’explique point, en supposant que l’ame & la divinité de Jesus-Christ s’unissent au pain & au vin pour former son corps.

3°. M. Varignon, professeur de Mathématiques au college Mazarin, & de l’académie royale des Sciences, admit en partie le système de M. Cally, & y ajouta du sien. Il admet une organisation réelle dans chacune des parties intérieures du pain & du vin, & se fonde ensuite sur ces principes. Il établit, 1°. que la matiere est divisible à l’infini ; qu’il n’est point de portion de matiere, quelque petite qu’elle soit, qui ne puisse, par les divers arrangemens de ses parties, devenir tel ou tel corps : fer, froment, pain, vin, os, chair, sang ; & qu’en conséquence il n’y a aucune espece de corps qui par les différentes dispositions des parties qui le composent, ne puisse être converti en une autre espece de corps. 2°. Il établit que la grandeur & la structure du corps sont absolument indifférentes à la nature de l’homme ; parce que les enfans, les pigmées & les géans sont également des hommes. 3°. Qu’un enfant qui est grand d’un pié, en venant au monde, & qui parvient ensuite à la grandeur de six piés, est toujours le même homme ; & il conclut de cette maxime qu’un homme de six piés peut être réduit à un pié, & même diminuer par degrés jusqu’à l’infini, sans cesser d’être le même homme & d’avoir le même corps. 4°. Il soutient que l’identité de la matiere n’est pas nécessaire pour l’identité du corps : la raison qu’il en

donne, est qu’il n’y a aucun homme, de quelque âge qu’il puisse être, qui ne soit censé avoir le même corps qu’il avoit en naissant, quoiqu’il ne lui reste peut-être plus aucune portion de la matiere qui composoit son premier corps. Quelque diversité, ajoute-t-il, qu’il y ait dans le corps d’un homme, par rapport à la matiere qui composoit son corps dans l’enfance, & ce qui le compose dans la vieillesse, cette diversité n’empêche pas que ce ne soit toujours le même corps. L’unité & l’identité du corps ne se tirent pas de l’unité & de l’identité des parties qui le forment : elles puisent leur source, leur fondement, leur origine dans l’unité & l’identité d’ame. 5°. Il établit que l’homme n’est pas esprit seulement, mais un esprit joint à un corps. Ainsi pour constituer deux hommes, conclut-il, il faut deux corps & deux ames. Si plusieurs corps, ajoute-t-il, étoient animés par la même ame, ils ne formeroient pas plusieurs hommes ; ils n’en composeroient qu’un : & dès lors il est clair que cet homme pourroit dans le même tems, sans être reproduit, se trouver en plusieurs lieux ; puisque les différens corps qu’il avoit en différens pays & en différens lieux, seroient unis à une même ame.

Ces principes posés, voici de quelle maniere M. Varignon entreprend de prouver la possibilité de la présence réelle, & d’éclaircir la nature de la transsubstantiation. Dieu, dit-il, à la prononciation des paroles de la consécration, imprime sur chaque partie sensible de l’hostie le mouvement qu’il faut pour leur donner une nouvelle configuration propre au corps humain ; & dans le moment même de la formation de ces petits corps organisés, il joint à chacun d’eux l’ame de Jesus-Christ : chaque particule sensible du pain fait un tout, dont Dieu change l’arrangement & l’ordre intérieur. De ce changement qui se fait dans chacune des parties sensibles du pain résultent des os, de la chair, des arteres, des veines & du sang qui forment un corps organisé semblable au nôtre, & que l’ame de Jesus-Christ vient animer. Dans ce système, chaque partie sensible du pain fait un seul corps individuel, qui se trouve le même dans chaque étendue sensible des particules de matiere qui étoient pain avant la consécration : ces différentes particules de matiere devenues le corps de Jesus-Christ peuvent être divisées les unes des autres, sans que l’ame qui leur est unie souffre pour cela aucune division. Il faut dire la même chose du corps humain, qui résulte de l’union de ces petites particules de matiere à une même ame. Ce corps n’est sujet à aucune séparation des parties. Les différentes particules de pain qui deviennent intérieurement le corps de Jesus-Christ par la prononciation des paroles de la consécration, conservent toujours entr’elles le même ordre sensible, & le même arrangement qu’elles avoient lorsqu’elles étoient pain ; il n’est donc pas étonnant qu’ayant la même superficie, elles continuent à exciter en nous les mêmes sensations.

Ce système est sans doute ingénieux & soutenu dans toutes ses parties. Mais il ne s’en écarte pas moins de la foi catholique. Car 1°. celle-ci appelle l’eucharistie un mystere impénétrable à la raison humaine, & M. Varignon ne laisse dans l’eucharistie qu’un pur miracle, il en exclut le mystere. 2°. Elle enseigne que le corps de Jesus-Christ qui se trouve dans l’eucharistie, est le même qui est né d’une Vierge, qui a souffert, qui est ressuscité, &, selon M. Varignon, le corps de Jesus-Christ qui est sur l’autel, est formé dans l’instant de la matiere du pain & du vin. 3°. La foi nous enseigne que Jesus-Christ n’a qu’un corps, & M. Varignon donne à Jesus-Christ autant de corps organisés qu’il y a de parties sensibles dans le pain. 4°. M. Varignon prétend qu’il n’y a que les parties