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té, franchise ; il en est parlé en ce sens pour ceux qui alloient à certaines foires, les débiteurs avoient huit jours de treve avant la fête & huit jours après. Voyez le Gloss. de Ducange au mot treviæ immunitas.

Treve brisée ou enfreinte, c’étoit lorsque l’une des parties faisoit quelque hostilité au préjudice de la treve. Voyez le Gloss. de Ducange au mot treuga, treugarum infractio. (A)

Treve de Dieu ou Treve du Seigneur, treva, treuca seu treuga Domini, étoit une suspension d’armes qui avoit lieu autrefois pendant un certain tems par rapport aux guerres privées.

C’étoit anciennement un abus invétéré chez les peuples du Nord, de venger les homicides & les injures par la voie des armes.

La famille de l’homicidé en demandoit raison aux parens de celui qui avoit commis le crime ; & si l’on ne pouvoit parvenir à un accommodement, les deux familles entroient en guerre l’une contre l’autre.

Cette coutume barbare fut apportée dans les Gaules par les Francs lorsqu’ils en firent la conquête ; nos rois ne purent pendant long-tems arrêter les désordres de ces guerres privées qui se faisoient sans leur permission.

Cette licence dura pendant tout le cours de la premiere & de la seconde race, & même encore sous les premiers rois de la troisieme ; on peut voir sur ces premiers tems Grégoire de Tours, Frédégaire Warnefrid, de Thou.

Cependant en attendant que l’on pût entierement remédier au mal, on chercha quelques moyens pour l’adoucir.

Le premier fut que l’homicide ou sa famille payeroit au roi une somme pour acheter la paix, ce qui s’appelloit fredur ; ils payoient aussi aux parens du mort une somme qui, selon quelques-uns, s’appelloit faidum ou faidam ; d’autres prétendent que faida signifioit une inimitié capitale.

Le second moyen étoit que les parens du meurtrier pouvoient affirmer & jurer solemnellement qu’ils n’étoient directement ni indirectement complices de son crime.

Le troisieme moyen étoit de renoncer à la parenté & de l’abjurer.

Charlemagne fut le premier qui fit une loi générale contre les guerres privées ; il ordonna que le coupable payeroit promptement l’amende ou composition, & que les parens du défunt ne pourroient refuser la paix à celui qui la demanderoit.

Cette loi n’étant pas assez rigoureuse, ne fit point cesser l’abus, d’autant même que l’autorité royale fut comme éclipsée sous les derniers rois de la seconde race & sous les premiers rois de la troisieme, les seigneurs, tant ecclésiastiques que temporels, s’étant arrogé le droit de faire la guerre ; de sorte que ce qui n’étoit jusque-là que des crimes de quelques particuliers qui étoient tolérés, devint en quelque maniere un droit public.

Les évêques défendirent, sous des peines canoniques, que l’on usât d’aucune violence pendant un certain tems, afin que l’on pût vaquer au service divin ; cette suspension d’hostilité fut ce que l’on appella la treve de Dieu, nom commun dans les conciles depuis le onzieme siecle.

Le premier reglement fut fait dans un synode tenu au diocèse d’Elne en Roussillon le 16 Mai 1027, rapporté dans les conciles du pere Labbe. Ce reglement portoit que dans tout le comté de Roussillon personne n’attaqueroit son ennemi depuis l’heure de none du samedi, jusqu’au lundi à l’heure de prime, pour rendre au dimanche l’honneur convenable ; que personne n’attaqueroit, en quelque maniere que ce fût, un moine ou un clerc marchant sans armes, ni un homme allant à l’église ou qui en reve-

noit, ou qui marchoit avec des femmes ; que personne

n’attaqueroit une église ni les maisons d’alentour, à trente pas, le tout sous peine d’excommunication, laquelle au bout de trois mois seroit convertie en anathème.

Au concile de Bourges tenu en 1031, Jourdain de Limoge prêcha contre les pillages & les violences ; il invita tous les seigneurs à se trouver au concile le lendemain & le troisieme jour, pour y traiter de la paix, il les exhorta de la garder en venant au concile pendant le séjour, & après le retour sept jours durant, ce qui n’étoit encore autre chose que ce qu’on appelloit la treve de Dieu, & non paix proprement dite, la paix étant faite pour avoir lieu à perpétuité, quoique souvent elle dure peu de tems.

Cette treve étoit regardée comme une chose si essentielle, que pour y engager tout le monde, le diacre qui avoit lû l’évangile lut une excommunication contre les chevaliers du diocèse de Limoges qui refusoient de promettre à leur évêque par serment la paix & la justice comme il l’exigeoit ; cette excommunication étoit accompagnée de malédictions terribles, & même les évêques jetterent à terre les cierges qu’ils tenoient allumés & les éteignirent ; le peuple en frémit d’horreur, & tous s’écrierent ainsi : « Dieu éteigne la joie de ceux qui ne veulent pas recevoir la paix & la justice ».

Sigebert rapporte sous l’an 1032, qu’un évêque d’Aquitaine, dont on ignore le nom, publia qu’il avoit reçu du ciel un écrit apporté par un ange, dans lequel il étoit ordonné à chacun de faire la paix en terre pour appaiser la colere de Dieu qui avoit affligé la France de maladies extraordinaires & d’une stérilité générale, ce qui donna lieu à plusieurs conciles nationaux & provinciaux de défendre à toutes personnes de s’armer en guerre privée pour venger la mort de leurs parens, ce que les évêques de France prescrivirent chacun aux fideles de leur diocèse.

Mais cette paix générale ne dura qu’environ sept ans, & les guerres privées ayant recommencé, on tint en 1041 divers conciles en France au sujet de la paix qui y étoit desirée depuis si long-tems, & la crainte & l’amour de Dieu firent conclure entre tous les seigneurs une treve générale, qui fut acceptée d’abord par ceux d’Aquitaine, & ensuite peu-à-peu par toute la France.

Cette treve duroit depuis les vêpres de la quatrieme ferie, jusqu’au matin de la seconde, c’est-à-dire depuis le mercredi au soir d’une semaine jusqu’au lundi matin, ce qui faisoit un intervalle de tems dans chaque semaine d’environ quatre jours entiers, pendans lequel toutes vengeances & toutes hostilités cessoient.

On crut alors que Dieu s’étoit déclaré pour l’observation de cette treve, & qu’il avoit fait un grand nombre de punitions exemplaires sur ceux qui l’avoient violée.

C’est ainsi que les Neustriens ayant été frappés de la maladie des ardens, qui étoit un feu qui leur dévoroit les entrailles, ce fléau fut attribué à ce qu’ils n’avoient pas d’abord voulu recevoir la treve de Dieu ; mais bien-tôt après ils la reçurent, ce qui arriva principalement du tems de Guillaume-le-Conquérant, roi d’Angleterre & duc de Normandie.

En effet, Edouard-le-Confesseur, roi d’Angleterre, qui désigna Guillaume-le-Conquérant pour son successeur, reçut dans ses états en l’année 1042, la treve de Dieu, avec cette addition, que cette paix ou treve auroit lieu pendant l’avent & jusqu’à l’octave de l’Epiphanie, depuis la Septuagésime jusqu’à Pâques ; depuis l’Ascension jusqu’à l’octave de la Pentecôte, pendant les quatre-tems, tous les samedis depuis neuf heures jusqu’au lundi suivant, la veille des fêtes