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César, où étoit la statue de la Victoire ; c’est autour de cette statue, qu’Octave fit attacher les plus riches dépouilles d’Alexandrie.

En politique habile, il demanda que son collegue au consulat, Apuleïus, fût assis auprès de lui, & qu’il n’y eût point de distinction dans la marche entre les sénateurs & les autres magistrats de la république. Aux deux portieres de son char, marchoient à cheval Marcellus & Tibere, le premier à la droite, & Tibere à la gauche. Ils entroient l’un & l’autre dans leur quatorzieme année ; mais Marcellus attiroit les regards de tout le monde par la noblesse de sa figure, telle que Virgile la dépeint dans son Enéïde.

Egregium formâ juvenem fulgentibus armis !
Qui strepitus circà comitum ! quantum instar in ipso est !

D’ailleurs les Romains qui vénéroient sa famille, & qui honoroient la vertu d’Octavie, le regardoient avec plaisir, comme devant un jour succéder à l’empire.

Cette fête fut suivie des jeux troyens, où le jeune Marcellus surpassa tous les autres, par son adresse & par sa bonne mine. Auguste donna ensuite des combats de gladiateurs qu’il tira d’entre les prisonniers faits par ses généraux sur les peuples barbares qui habitoient vers l’embouchure du Danube. Il est inutile de parler des spectacles, des jeux & des festins qui furent prodigués dans Rome tant que dura la fête. Le peuple la termina en allant fermer le temple de Janus pour marque d’une paix universelle ; chose si rare, que Rome ne l’avoit vu que deux fois depuis sa fondation.

Depuis Auguste, l’honneur du triomphe devint un apanage de la souveraineté. Ceux qui eurent quelque commandement, craignirent d’entreprendre de trop grandes choses. Il fallut, dit M. de Montesquieu, modérer sa gloire, de façon qu’elle ne reveillât que l’attention, & non pas la jalousie du prince. Il fallut ne point paroître devant lui avec un éclat, que ses yeux ne pouvoient souffrir.

Quoi qu’il en soit, on peut juger par les deux exemples que nous venons de citer, quelle étoit la pompe du triomphe chez les Romains. Il semble que les guerres d’à-présent soient faites dans l’obscurité, en comparaison de toute cette gloire ancienne, & de tout cet honneur qui réjaillisioit autrefois sur les gens de guerre.

Nous n’avons pour exciter le courage que quelques ordres militaires, & qu’on a encore rendu communs à la robe & à l’épée, quelques marques sur les armes, & quelques hôpitaux pour les soldats hors d’état de servir par leur âge ou par leurs blessures. Mais anciennement les trophées dressés sur les champs de bataille, les oraisons funebres à la louange de ceux qui avoient été tués, les tombeaux magnifiques qu’on leur élevoit, les largesses publiques, le nom d’empereur que les plus grands rois ont pris dans la suite, les triomphes des généraux victorieux, les libéralités que l’on faisoit aux armées, avant que de les congédier ; toutes ces choses enfin étoient si grandes, en si grand nombre, & si brillantes, qu’elles suffisoient pour donner du courage, & porter à la guerre les cœurs les plus timides. Pourquoi tous ces avantages n’ont-ils point été transmis jusqu’à nous ? Pourquoi cet appareil de gloire n’est-il plus que dans l’histoire ? C’est que les honneurs du triomphe ne conviennent qu’aux républiques qui vivent de la guerre, & que cette ostentation seroit dangereuse dans une monarchie, où les rayons de la couronne royale absorbent tous les regards. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Triomphe, arc de, de Constantin, (Hist. anc. & mod.) je renvoie d’abord le lecteur au mot Arc de triomphe :

& j’ajoute ensuite avec l’abbé du Bos au sujet de l’arc de triomphe de Constantin, que ce n’est autre chose que le monument de Trajan déguisé.

Quand le sénat & le peuple romain voulurent ériger à l’honneur de Constantin cet arc de triomphe, il ne se trouva point apparemment dans la capitale de l’empire un sculpteur capable d’entreprendre l’ouvrage. Malgré le respect qu’on avoit à Rome pour la mémoire de Trajan, on dépouilla l’arc élevé autrefois à son honneur de ses ornemens ; & sans égard à la convenance, on les employa dans la fabrique de l’arc qu’on élevoit à Constantin.

Les arcs triomphaux des Romains n’étoient pas, comme les nôtres, des monumens imaginés à plaisir, ni leurs ornemens des embellissemens arbitraires, qui n’eussent pour regles que les idées de l’architecte. Comme nous ne faisons pas de triomphes réels, & qu’après nos victoires, on ne conduit pas en pompe le triomphateur sur un char précédé de captif ; les sculpteurs modernes peuvent se servir, pour embellir leurs arcs allégoriques, des trophées & des armes qu’ils inventent à leur gré. Les ornemens d’un de nos arcs triomphaux peuvent ainsi convenir la plûpart à un autre arc ; mais comme les arcs triomphaux des Romains ne se dressoient que pour éterniser la mémoire d’un triomphe réel, les ornemens tirés des dépouilles qui avoient paru dans un triomphe, & qui étoient propres pour orner l’arc qu’on dressoit, afin d’en perpétuer la mémoire, n’étoient point propres pour embellir l’arc qu’on élevoit en mémoire d’un autre triomphe, principalement si la victoire avoit été remportée sur un autre peuple, que celui sur qui avoit été remportée la victoire, laquelle avoit donné lieu au premier triomphe, comme au premier arc.

Chaque nation avoit alors ses armes & des vétemens particuliers très-connus dans Rome. Tout le monde y savoit distinguer le Dace, le Parthe, & le Germain, ainsi qu’on savoit distinguer les François des Espagnols il y a cent cinquante ans ; & quand ces deux nations portoient encore des habits faits à la mode de leur pays. Les arcs triomphaux des anciens étoient donc des monumens historiques ; ce qui exigeoit une vérité historique, à laquelle il étoit contre la bienséance de manquer.

Néanmoins on embellit l’arc de Constantin de captifs parthes, & des trophées composées de leurs armes & de leurs dépouilles ; mais Constantin n’avoit encore rien à démêler avec cette nation. Enfin on orna l’arc avec des bas-reliefs, où tout le monde reconnoissoit encore la tête de Trajan.

Comme on ne pouvoit pas le composer entierement de morceaux rapportés, il fallut qu’un sculpteur de ce tems-là fît quelques bas reliefs qui servissent à remplir les vuides. Tels sont les bas-reliefs qui se voyent sous l’arcade principale : les divinités qui sont en-dehors de l’arc, posées sur les moulures du ceintre des deux petites arcades, ainsi que les bas-reliefs écrasés, placés sur les clés de voûte de ces arcades : toute cette sculpture, qu’on distingue d’avec l’autre en approchant de l’arc, est fort au-dessous du bon gothique ; quoique suivant les apparences, le sculpteur le plus habile de la capitale de l’empire y ait mis la main. (D. J.)

Triomphe, char de, (Antiq. rom.) le char de triomphe des Romains étoit rond comme une tour ; c’est ce qui paroît par les médailles, & par l’arc de Titus à Rome. Ce char étoit ordinairement d’ivoire, portabit niveis currus eburneus equis ; vous serez sur un char d’ivoire traîné par des chevaux blancs, dit Tibulle ; mais le haut du char étoit tout doré. Eutrope en parlant du char de triomphe de Paul Emile, dit qu’il triompha sur un char tiré par quatre chevaux, aurato curru, quatuor equis triumphatur. (D. J.)