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qu’on étoit aux mains. Peut-être qu’il se flattoit que les périls ordinaires dans les batailles & le courage d’Antoine, le déferoient d’un collegue ambitieux, ensorte que sans s’exposer, il recueilleroit le fruit de la victoire. Mais c’est faire trop d’honneur à son esprit aux dépens de sa lâcheté. Ce qui prouve qu’il n’agit en cette occasion que par la vive impression de la peur, c’est qu’on sait toutes les railleries qu’il eut depuis à essuyer de la part d’Antoine.

Défaite de Sextus Pompée. Il ne restoit des débris de la république, que le jeune Pompée, qui s’étoit emparé de l’île de Sicile, d’où il faisoit des incursions sur les côtes d’Italie. Il étoit question de le déposséder d’une retraite qui en servoit encore à plusieurs illustres proscrits, dont le but étoit de relever le parti de la liberté. Mécœne réussit à tirer d’Antoine les vaisseaux qu’il possédoit, quoique ce triumvir eût un grand intérêt à maintenir le jeune Pompée, dans une île qui lui servoit comme de barriere contre l’ambition toujours redoutable de son rival. Sa flotte étant formée & confiée au commandement d’Agrippa, cet habile capitaine se met en mer, va chercher l’ennemi, bat les lieutenans de Pompée, le défait lui-même en plusieurs occasions, & le chasse enfin de cette île.

Octave dépouille Lépidus de l’autorité. Octave alors victorieux de tous les républicains par l’épée & la bravoure d’un soldat de fortune qui lui étoit dévoué, crut qu’il étoit tems de rompre avec ses collegues, pour régner seul. Il les attaqua l’un après l’autre. La perte de Lépidus ne lui couta que quelques intrigues. Ce triumvir peu estimé de ses soldats, s’en vit abandonné au milieu de son camp. Octave s’en empara par ses négociations secretes, & sous différens prétextes, il dépouilla son collegue de l’autorité souveraine. On vit depuis ce triumvir réduit à mener une vie privée & malheureuse.

Il défait ensuite Antoine à Actium, & reste seul maître de l’Empire. Antoine adoré de ses soldats, maître de la meilleure partie de l’Asie & de l’Egypte entiere, & qui avoit de puissans rois dans son parti & dans son alliance, donna plus de peine à Octave. Mais sa perte vint de ce qui devoit faire sa principale ressource. Ce grand capitaine enivré d’une passion violente pour Cléopatre reine d’Egypte, imagina qu’il trouveroit en Orient autant de forces contre son collegue, en cas de rupture, qu’il rencontroit de charmes dans le commerce qu’il entretenoit avec cette princesse. Cet excès de confiance lui fit négliger le soin de Rome & de l’Italie, le centre de l’Empire ; son rival s’en prévalut, & y établit son autorité.

La jalousie du gouvernement, si naturelle entre des puissances égales en dignité, les brouilla souvent ; tantôt Octavie, femme d’Antoine & sœur d’Octave, & tantôt des amis communs les réconcilierent : mais à la fin ils prirent les armes l’un contre l’autre : on en vint aux mains ; & la bataille navale qui se donna près d’Actium décida de l’Empire du monde entre ces deux célebres rivaux. Octave victorieux poursuivit Antoine jusques dans l’Egypte, & le réduisit à se tuer lui-même. Par sa mort, & l’abdication forcée de Lépidus, qui avoit précédé de six ans la bataille d’Actium, Octave se vit au comble de ses desirs, seul maître & seul souverain. Il établit une nouvelle monarchie sur les ruines de la liberté, & vint à bout de la rendre supportable à d’anciens républicains. Les historiens qui ont écrit presque tous du tems & sous l’empire de ce prince, l’ont comblé de louanges & d’adulations ; mais c’est sur les faits, c’est sur les actions de sa vie qu’il faut le juger.

Caractere d’Auguste. Auguste (puisque la flatterie a consacré ce nom à Octave) étoit d’une naissance médiocre par rapport à la grandeur où il est parvenu ;

son pere étoit à peine chevalier romain ; mais sa mere Accie, étant fille de Julie, sœur de Jules-César, lui acquit l’adoption de ce dictateur.

Sa taille étoit au-dessous de la médiocre, & pour réparer ce défaut naturel, il portoit des souliers fort hauts. Il avoit d’ailleurs la figure agréable, les sourcils joints, les dents peu serrées & rouillées, les yeux vifs & difficiles à soutenir, quoiqu’il affectât dans ses regards une douceur concertée.

Il étoit incommodé d’une foiblesse à la cuisse gauche, qui le faisoit tant-soit-peu boiter de ce côté-là. Il pâlissoit & rougissoit aisément, changeant à sa volonté de couleur & de maintien ; ce qui l’a fait comparer ingénieusement par un de ses successeurs (l’empereur Julien) au caméléon, qui se rend propres toutes les couleurs qui lui sont présentées.

Son génie étoit audacieux, capable des plus grandes entreprises, & porté à les conduire avec beaucoup d’adresse & d’application. Pénétrant, toujours attentif aux affaires, on voit dans ses desseins un esprit de suite, & qui savoit distribuer dans des tems convenables l’exécution de ses projets. Fin politique, il crut des sa jeunesse, que c’étoit beaucoup gagner, que de savoir perdre à-propos. Tantôt ami d’Antoine, & tantôt son ennemi, son intérêt fut constamment la regle de sa conduite, attendant toujours à se déterminer d’après les conjonctures favorables. Il tâchoit de couvrir ses vices & ses défauts, par l’art infini qu’il avoit de se donner les vertus qui lui manquoient.

Profond dans la connoissance de sa nation, il eut assez de souplesse dans l’esprit, de manege dans toutes ses demarches, & de modération feinte dans le caractere pour subjuguer les Romains. Il y réussit en leur persuadant qu’ils étoient libres, ou du-moins à la veille de l’être. Il fit semblant de vouloir se démettre de l’empire, demanda tous les dix ans qu’on le déchargeât de ce poids, & le porta toujours. C’est par ces sortes de finesses qu’il se faisoit encore donner ce qu’il ne croyoit pas assez avoir acquis. Tous ses réglemens visoient à l’établissement de la monarchie, & tous ceux de Sylla au milieu de ses violences, tendoient à une certaine forme de république. Sylla, homme emporté, menoit violemment les Romains à la liberté ; Auguste, rusé tyran, les conduisoit doucement à la servitude.

Cependant la crainte qu’il eut avec raison d’être regardé pour tel, l’empêcha de se faire appeller Romulus, & soigneux d’éviter qu’on pensât qu’il usurpoit la puissance d’un roi, il n’en affecta point le faste.

Il choisit pour successeur, je ne sai par quel motif, un des plus méchans hommes du monde ; mais se regardant comme un magistrat qui feint d’être en place malgré lui-même, il ne commanda point, il pria la nation, il postula, qu’au-moins on lui donnât pour collegue, supposé qu’il le méritât, un fils capable de soulager sa vieillesse, un fils qui faisoit toute sa consolation. Travaillant toujours à faire respecter les lois dont il étoit le maître, il voulut que l’élection de Tibere fût l’ouvrage du peuple & du sénat, comme la sienne, disoit-il, l’avoit été. Tibere lui fut donc associé l’an de Rome 766. & de J. C. la douzieme.

Il donna plusieurs lois bonnes, mauvaises, dures, injustes. Il opposa les lois civiles aux cérémonies impures de la religion. Il fut le premier qui, par des raisons particulieres, autorisa les fidéicommis. Il attacha aux libelles la peine du crime de lése-majesté. Il établit que les esclaves de ceux qui auroient conspiré, seroient vendus au public, afin qu’ils pussent déposer contre leurs maîtres. Vous voyez par-là, les soins attentifs qu’il prend pour lui-même.

Il sut remettre l’abondance dans la capitale, & tâ-