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considéré dans le sénat, & très-honoré dans la république, mais il le ternit honteusement par ses vices & par ses crimes.

C’étoit un esprit borné, ambitieux, sans courage, un homme vain, fourbe, avare, & qui ne possédoit aucune vertu, nullam virtutibus tam longam fortunæ indulgentiam meritus. La fortune l’éleva, & le soutint quelque tems dans le haut poste de triumvir, sans aucun mérite de sa part ; mais aussi cette même fortune lui fit éprouver ses revers, & le remit dans l’état d’opprobre où il passa les dernieres années de sa vie. Il avoit été trois fois consul, savoir l’an 708, 709 & 713 de Rome.

Dès qu’il fut revêtu de cette énorme puissance que lui donna le rang superbe de triumvir, qu’il avoit joint à la charge de grand-pontife, tant de pouvoir & de dignités l’étourdirent. Cet étourdissement s’accrut encore lorsque les deux autres triumvirs le fixerent à Rome pour y commander à toute l’Italie, au peuple, & au sénat qui distribuoit ses ordres dans les provinces : cependant il auroit dû comprendre qu’on ne le laissoit à Rome que par son peu de capacité pour la guerre.

Aussi quand les deux autres triumvirs, après la bataille de Philippe, se partagerent de nouveau le monde, ils ne lui donnerent que très-peu de part à l’autorité ; & tandis qu’Antoine prit l’orient, Octave l’Italie & le reste de l’empire, Lépidus fut obligé de se contenter de son gouvernement des Espagnes ; & comme toutes les troupes étoient dévouées à ses deux collegues, il fallut qu’il partît seulement avec quelques légions, destinées pour sa province.

Bientôt après, Octave ayant sur les bras en Sicile les restes du parti de Pompée, Lépidus le tira de peine avec plusieurs légions qu’il lui amena, & qui déciderent de la victoire. Le succès tourna la tête de cet homme vain, il montra peu d’égards pour son collegue, & lui fit dire de se retirer de Sicile où il n’avoit plus rien à faire. Octave qui trouvoit toujours des ressources dans ses ruses, dissimula cette injure, & gagna par tant de récompenses & de promesses plusieurs chefs de l’armée de Lépide, qu’ils abandonnerent leur général, & le livrerent entre ses mains.

Conduit à la tente d’Auguste, il oublia son nom, sa naissance & son rang. Il lui demanda lâchement la vie avec la conservation de ses biens. Auguste n’osa pas lui refuser sa priere, de peur d’irriter toute une armée dont il avoit besoin de gagner les cœurs. Mais quand il eut assuré son autorité, il dépouilla Lépidus du pontificat. Le reste de la vie de ce triumvir se passa dans l’obscurité ; & sans doute bien tristement, puisqu’il se voyoit le malheureux objet de l’indulgence hautaine d’un ancien collegue. Cependant on est bien aise de l’humiliation d’un homme qui avoit été un des plus méchans citoyens de la république, sans honneur & sans ame, toujours le premier à commencer les troubles, & formant sans cesse des projets où il étoit obligé d’associer de plus habiles gens que lui.

Conclusion. Voilà le portrait des trois hommes par lesquels la république fut abattue, & personne ne la rétablit. Malheureusement Brutus, à la journée de Philippe, se crut trop-tôt sans ressource pour relever la liberté de la patrie. Il se considéra dans cet état, comme n’ayant pour appui que sa seule vertu, dont la pratique lui devenoit si funeste : « Vertu, s’écria-t-il, que j’ai toujours suivie, & pour laquelle j’ai tout quitté, parens, amis, biens, plaisirs & dignités, tu n’es qu’un vain fantôme sans force & sans pouvoir. Le crime a l’avantage sur toi, & desormais est-il quelque mortel qui doive s’attacher à ton inutile puissance » ! En disant ces mots, il se jetta sur la pointe de son épée, & se perça le cœur.

Vitaque cum gemitu fugit indignata sub umbras.

L’article du triumvirat qu’on vient de lire, & que j’ai tiré de plusieurs excellens ouvrages, pouvoit être beaucoup plus court ; mais je me flatte qu’il ne paroîtra pas trop long à ceux qui daigneront considérer que c’est le morceau le plus intéressant de l’histoire romaine. Aussi les anciens l’ont-ils traité avec amour & prédilection. (Le chevalier de Jaucourt.)

TRIUN, adj. (Théolog.) tres in uno, est un terme qu’on applique quelquefois à Dieu pour exprimer l’unité de Dieu dans la trinité des personnes. Voyez Trinité.

TROADE, (Géog. anc.) contrée de l’Asie mineure, ainsi nommée de la fameuse ville de Troie sa capitale. Si on prend le nom de Troade pour tout le pays soumis aux Troïens, ou pour le royaume de Priam, il se trouvera qu’elle comprenoit presque toute l’étendue de pays que l’on entend sous le nom des deux Mysies, & sous celui de petite Phrygie ; mais si on la restreint à la province où étoit la ville de Troie, & qui étoit la Troade propre, elle se trouvera ne comprendre que le pays qui est entre la Dardanide au nord, & au nord oriental le pays des Leleges, à l’orient méridional l’Hellespont, & la mer Egée au couchant. Ptolomée, liv. V. ch. ij. qui renferme la Troade dans la petite Phrygie, y met les lieux suivans :

Sur le bord Alexandria Troas,
de la mer Lectum promontorium,
Egée, Assum.
Dans les Ilium.
terres,

2°. Troade, en latin Troas, ville de l’Asie mineure, dans la Troade, ou dans la petite Phrygie sur la côte de l’Hellespont vis-à-vis de l’île de Ténédos. Cette ville fut aussi quelquefois appellée Antigonia & Alexandrina : ipsa Troas Antigonia dicta, nunc Alexandrina, dit Pline, l. V. c. xxx. Quelquefois on joint les deux, Alexandria-Troas. S. Paul étant allé à Troade en l’an de l’ére vulgaire 52, eut la nuit cette vision. Un homme de Macédoine se présenta devant lui, & lui fit cette priere : passez en Macédoine, & venez nous secourir. Il s’embarqua donc à Troade, & passa en Macédoine. Ce voyage de S. Paul s’exécuta lorsqu’il alloit à Jérusalem où il fut ensuite arrêté. L’apôtre fut encore quelques autres fois à Troade ; mais on ne sait rien de particulier de ce qu’il y fit. Voyez act. xx. 5. 6. & II. Corinth. ij. 14. Il avoit laissé à Troade chez un nommé Carpe, quelques habits & quelques livres, qu’il pria Timothée de lui apporter à Rome en l’an 65 de l’ére vulgaire, peu de tems avant sa mort, arrivée en l’an 66. Voyez II. Timoth. jv. 13. act. xvj. 8. & suiv. (D. J.)

TROC, ECHANGE, PERMUTATION, (Synonymes.) troc, selon M. l’abbé Girard, est dit pour les choses de service, & pour tout ce qui est meuble ; ainsi l’on fait des trocs de chevaux, de bijoux & d’ustensiles. Echange se dit pour les terres, les personnes, tout ce qui est bien fonds ; ainsi l’on fait des échanges d’états, de charges & de prisonniers. Permutation n’est d’usage que pour les biens & titres ecclésiastiques ; ainsi l’on permute une cure, un canonicat, un prieuré avec un autre bénéfice de même ou de différent ordre, il n’importe. (D. J.)

TROCAR, ou TROISQUARTS, s. m. instrument de Chirurgie, poinçon d’acier, long d’environ deux pouces & demi, exactement rond, emmanché par son extrémité postérieure dans une petite poignée faite en poire, terminé par l’extrémité antérieure en pointe triangulaire. C’est des trois angles tranchans qui forment la pointe de cet instrument qu’il tire son nom. Les auteurs latins le nomment acus triquetra. Voyez fig. 4. Pl. XXVI.

Le poinçon dont nous venons de parler, est ren-