Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/703

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fient les choses qu’indirectement ; l’idée naturelle de ce que l’on n’exprime que sous le voile des tropes, ne se présente à l’esprit qu’après quelques réflexions ; on s’ennuie de toutes ces réflexions, & de la peine de deviner toujours les pensées de celui qui parle. On ne condamne pourtant ici que le trop fréquent usage des tropes extraordinaires : il y en a qui ne sont pas moins usités que les termes naturels ; & ils ne peuvent jamais obscurcir le discours.

II. Si je veux donner l’idée d’un rocher dont la hauteur est extraordinaire, ces termes grand, haut, élevé, qui se disent des rochers d’une hauteur commune, n’en feront qu’une peinture imparfaite ; mais si je dis que ce rocher semble menacer le ciel, l’idée du ciel, qui est la chose la plus élevée de toute la nature, l’idée de ce mot menacer, qui convient à un homme qui est au-dessus des autres, forment l’idée de la hauteur extraordinaire que je ne pouvois exprimer d’une autre maniere ; mais l’image auroit été excessive, si je ne disois que le rocher semble menacer le ciel : & c’est ainsi qu’il faut prendre garde qu’il y ait toujours quelque proportion entre l’idée naturelle du trope & celle que l’on veut rendre sensible.

« Il n’y a rien de plus ridicule en tout genre, dit M. du Marsais, Trop. part. I. art. 7. §. 3. que l’affectation & le défaut de convenance. Moliere, dans ses précieuses, nous fournit un grand nombre d’exemples de ces expressions recherchées & déplacées. La convenance demande qu’on dise simplement à un laquais, donnez des sieges, sans aller chercher le détour de lui dire, voiturez nous ici les commodités de la conversation, (sç. ix.) De plus les idées accessoires ne jouent point, si j’ose parler ainsi, dans le langage des précieuses de Moliere, ou ne jouent point comme elles jouent dans l’imagination d’un homme sensé, [parce que les idées comparées n’ont entr’elles aucune liaison naturelle] : le conseiller des graces (sç. vj.), pour dire, le miroir : contentez l’envie qu’a ce fauteuil de vous embrasser (sç. ix.) pour dire, asseyez-vous.

» Toutes ces expressions tirées de loin & hors de leur place marquent une trop grande contention d’esprit, & font sentir toute la peine qu’on a eue à les rechercher : elles ne sont pas, s’il est permis de parler ainsi, à l’unisson du bon sens, je veux dire qu’elles sont trop éloignées de la maniere de penser de ceux qui ont l’esprit droit & juste, & qui sentent les convenances. Ceux qui cherchent trop l’ornement dans le discours, tombent souvent dans ce défaut s’en s’appercevoir ; ils se savent bon gré d’une expression qui leur paroît brillante & qui leur a couté, & se persuadent que les autres doivent être aussi satisfaits qu’ils le sont eux-mêmes.

» On ne doit donc se servir de tropes que lorsqu’ils se présentent naturellement à l’esprit ; qu’ils sont tirés du sujet ; que les idées accessoires les sont naître, ou que les bienséances les inspirent : ils plaisent alors ; mais il ne faut point les aller chercher dans la vue de plaire.

» Il est difficile, dit ailleurs notre grammairien philosophe, part. III. art. 23. en parlant & en écrivant, d’apporter toujours l’attention & le discernement nécessaires pour rejetter les idées accessoires qui ne conviennent point au sujet, aux circonstances & aux idées principales que l’on met en œuvre : de-là il est arrivé dans tous les tems que les écrivains se sont quelquefois servis d’expressions figurées qui ne doivent pas être prises pour modeles.

» Les regles ne doivent point être faites sur l’ouvrage d’aucun particulier ; elles doivent être puisées dans le bon sens & dans la nature ; & alors quiconque s’en éloigne, ne doit point être imité

en ce point. Si l’on veut former le goût des jeunes gens, on doit leur faire remarquer les défauts aussi-bien que les beautés des auteurs qu’on leur fait lire. Il est plus facile d’admirer, j’en conviens ; mais une critique sage, éclairée, exempte de passions & de fanatisme, est bien plus utile.

» Ainsi l’on peut dire que chaque siecle a pu avoir ses critiques & son dictionnaire néologique. Si quelques personnes disent aujourd’hui avec raison ou sans fondement, (dict. néol.) qu’il regne dans le langage une affectation puérile ; que le style frivole & recherché passe jusqu’aux tribunaux les plus graves : Cicéron a fait la même plainte de son tems, (Orat. n. 96. aliter xxvij.) est enim quoddam etiam insigne & florens orationis, pictum & expolitum genus, in quo omnes verborum, omnes sententiarum illigantur lepores. Hoc totum è sophistarum sontibus defluxit in forum, &c.

» Au plus beau siecle de Rome, selon le p. Sanadon, (Poés. d’Horace, tome II. p. 254.) c’est-à-dire au siecle de Jules-César & d’Auguste, un auteur a dit infantes statuas, pour dire des statues nouvellement faites : un autre, que Jupiter crachoit la neige sur les Alpes ; Jupiter hibernas canâ nive conspuit Alpes. Horace se moque de l’un & de l’autre de ces auteurs, II. sat. vers. 40. mais il n’a pas été exemt lui même des fautes qu’il a reprochées à ses contemporains ». [Je dois remarquer qu’Horace ne dit pas Jupiter, mais Furius (qui est le nom du poëte qu’il censure) hibernas canâ nive conspuit Alpes.]

« Quintilien, après avoir repris dans les anciens quelques métaphores défectueuses, dit que ceux qui sont instruits du bon & du mauvais usage des figures ne trouveront que trop d’exemples à reprendre : Quorum exempla nimiùm frequenter reprehendet, qui sciverit hæc vitia. (Instit. viij. 6.)

» Au reste, les fautes qui regardent les mots, ne sont pas celles que l’on doit regarder avec le plus de soin : il est bien plus utile d’observer celles qui pechent contre la conduite, contre la justesse du raisonnement, contre la probité, la droiture & les bonnes mœurs. Il seroit à souhaiter que les exemples de ces dernieres sortes de fautes fussent plus rares, ou plutôt qu’ils fussent inconnus ». (B. E. R. M.)

TROPÉA, (Géog. mod.) en latin Tropæa, ad Tropæa, ville d’Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure, sur le sommet d’un rocher, à 12 milles de Mileto, 40 de Messine, & 45 de Reggio. Son évêché est suffragant de Reggio. Long. 33. 40. latit. 38. 40. (D. J.)

TROPÈS, saint-, (Géog. mod.) ville de France, en Provence, au diocèse de Fréjus, sur la Méditerranée, où elle a un port, à 24 lieues au levant de Marseille, & à 6 au sud-ouest de Fréjus. Long. 24. 20. latit. 43. 17. (D. J.)

TROPHÉE, s. m. (Archit.) c’étoit chez les anciens un amas d’armes & de dépouilles des ennemis, élevé par le vainqueur dans le champ de bataille, & qu’on a ensuite représenté en pierre ou en marbre, comme les trophées de Marius & de Sylla au capitole, & dont on fait usage en architecture, pour décorer un bâtiment avec des attributs militaires.

Les trophées antiques sont formés d’armes greques & romaines ; ceux qu’on emploie aujourd’hui sont composés d’armes de diverses nations de notre tems. On voit de ces trophées isolés à l’arc de triomphe du fauxbourg S. Antoine, & sur la balustrade du château de Versailles. On en fait aussi en bas-relief, comme à la colonne trajane, & à l’attique de la cour du Louvre. La beauté des uns & des autres consiste principalement dans le choix, la disposition & le rapport qu’ils doivent avoir au dessein général de l’édifice. Il y en a de différentes especes. Nous allons