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à chaque bord du vaisseau, & dont une de chaque côté faisoit quelques tours sur le bout de la barre, servoient au timonnier à le tenir en état.

Inconvénient de ce gouvernail. Un gouvernail de cette maniere ne se peut faire sentir que foiblement à un vaisseau, non seulement parce que les cables, par le moyen desquels il lui communique son mouvement, prêtent beaucoup & s’alongent aisément, mais principalement à cause des élans continuels qu’ils lui donnent par le trémoussement où il est sans cesse ; d’où naît un autre inconvénient, qui est qu’on a toutes les peines du monde à tenir constamment le même rumb dans cette agitation continuelle.

De la boussole. Le pilote ne se servoit point de compas de marine ; il régloit sa route avec de simples boussoles, dont le limbe extérieur de la boëte étoit partagé en vingt-quatre parties égales, qui marquoient les rumbs de vent ; elles étoient placées sur une couche de sable, qui servoit bien moins à les asseoir mollement & à les garantir des secousses du vaisseau (dont l’agitation ne laissoit pas de faire perdre à tout moment l’équilibre aux aiguilles), qu’à porter les bâtons des pastilles dont on les parfumoit sans cesse. Ce n’étoit pas le seul régal que la superstition chinoise faisoit à ces boussoles, qu’ils regardoient comme les guides assûrés de leur voyage, ils en venoient jusqu’à ce point d’aveuglement, que de leur offrir des viandes en sacrifice.

Le pilote avoit grand soin sur-tout de bien garnir son habitacle de clous : ce qui fait connoître combien cette nation est peu entendue en fait de marine. Les Chinois, dit-on, ont été les premiers inventeurs de la boussole ; mais si cela est, comme on l’assure, il faut qu’ils aient bien peu profité de leur invention. Ils mettoient le cap au rumb où ils vouloient porter, par le moyen d’un filet de soie, qui coupoit la surface extérieure de la boussole en deux parties égales du nord au sud : ce qu’ils pratiquoient en deux manieres différentes ; par exemple pour porter au nord-est, ils mettoient ce rumb parallele à la quille du vaisseau, & détournoient ensuite le vaisseau jusqu’à ce que l’aiguille fût parallele au filet, ou bien, ce qui revient au même, mettant le filet parallele à la quille, ils faisoient porter l’aiguille sur le nord-ouest. L’aiguille de la plus grande de ces boussoles n’avoit pas plus de trois pouces de longueur. Elles avoient toutes été faites à Nangazaqui : un bout étoit terminé par une espece de fleur de lys, & l’autre par un trident.

Du fond de cale. Le fond de cale étoit partagé en cinq ou six grandes soutes séparées les unes des autres par de fortes cloisons de bois. Pour toute pompe, il y avoit un puits au pié du grand mât, d’où sans autre artifice, on tiroit l’eau avec des seaux. Quoique les mers fussent extrèmement hautes & la somme excessivement chargée, cependant par la force de ses membrures & la bonté de son calfat, elle ne fit presque point d’eau.

Composition du calfat. Ce calfat est une espece de composition de chaux, d’une espece de résine qui découle d’un arbre nommé tong-yeon, & de filasse de bambous. La chaux en est la base ; & quand tout est sec, on diroit que ce n’est que de la chaux pure & sans aucun mélange. Outre que le bâtiment en est beaucoup plus propre, on ne sent point, comme dans nos vaisseaux, cette odeur de gaudron insupportable à quiconque n’y est point accoutumé ; mais il y a encore en cela un avantage plus considérable, c’est que par-là ils se garantissent des accidens du feu, auquel notre brai de gaudron expose nos vaisseaux. Descript. de la Chine par le p. du Halde. (D. J.)

Vaisseaux japonois, (Marine du Japon.) tous les vaisseaux japonois qu’on voit sur mer, sont faits de bois de sapin ou de cedre, qu’on trouve en abondance dans le pays. Ils sont construits différemment,

suivant le but qu’on se propose, & les lieux pour lesquels on les destine.

Les bateaux de plaisir, qui sont une espece à part, & dont on se sert seulement pour remonter & descendre les rivieres, ou pour traverser de petites baies, different encore beaucoup dans leur structure, selon la fantaisie de ceux à qui ils appartiennent. Ordinairement ils sont faits pour aller à la rame ; le premier pont est plus bas ; sur celui-là on en construit un autre, qui a des fenêtres ouvertes, & qu’on peut avec des paravents, diviser comme l’on veut, en plusieurs petites chambres ou loges. Le dessus & plusieurs autres parties de ces bateaux sont artistement ornées de diverses banderolles, & d’autres embellissemens.

Les plus grands bâtimens que l’on ait au Japon, sont les vaisseaux marchands, qui s’exposent aux dangers de la mer (quoiqu’ils ne s’éloignent jamais beaucoup des côtes), & qui servent à transporter d’une île ou d’une province à l’autre. Ils méritent une description particuliere, puisque c’est par leur moyen que le commerce s’étend dans toutes les parties de l’empire.

Ils ont pour l’ordinaire quatorze toises de longueur sur quatre de largeur, & ils sont faits pour aller à voiles & à rame. Ils vont en pointe depuis le milieu jusqu’à l’éperon ; les deux bouts de la quille s’élevent considerablement au-dessus de l’eau ; le corps du vaisseau n’est pas convexe, comme celui de nos vaisseaux européens ; mais la partie qui est sous l’eau s’étend presque en droite ligne du côté de la quille. La pouppe est large & plate, ayant une grande ouverture dans le milieu, qui va presque jusqu’à fond de cale, & laisse voir tout l’intérieur du bâtiment. On avoit d’abord inventé cette ouverture, pour conduire plus aisément le gouvernail : depuis que l’empereur a fermé l’entrée de ses états à tous les étrangers, il a ordonné expressément qu’on ne bâtît point de vaisseau sans y faire une pareille ouverture ; & cela pour empêcher ses sujets d’aller en haute-mer à quelque dessein que ce soit.

Le tillac s’éleve un peu vers la pouppe ; il est plus large sur les côtés, & dans cet endroit il est plat & uni : il est fait seulement de planches de sapin, qui ne sont point fermes, ni attachées ensemble ; il est fort peu au-dessus de la surface de l’eau, quand le vaisseau a toute sa charge. Une espece de cabane de la hauteur d’un homme la couvre presque tout-à-fait : il y a seulement un petit espace vers l’éperon qu’on laisse vuide, pour y serrer les ancres & les cordages ; cette cabane avance hors du vaisseau environ deux piés de chaque côté, & tout-au tour il y a des fenêtres qui se brisent, & qu’on peut ouvrir ou fermer comme l’on veut.

Dans le fond il y a de petites chambres pour les passagers, séparées les unes des autres par des paravens & des portes, & dont les planchers sont couverts de nattes artistement travaillées ; la plus reculée de ces chambres passe toujours pour la meilleure, & par cette raison elle est destinée au plus apparent des passagers.

Le dessus ou le pont le plus élevé est un peu plat, & fait de planches fort propres & parfaitement bien jointes : quand il pleut on amene le mât, & on le met sur ce pont, & par-dessus on étend la voile, afin que les matelots puissent y être à couvert, & y passer la nuit.

Quelquefois pour le garantir encore mieux de la pluie, on le couvre de nattes de paille, qu’on a toutes prêtes pour cet usage.

Le vaisseau n’a qu’une voile faite de chanvre, & fort ample, & n’a qu’un mât placé environ une toise plus avant que le milieu, du côté de la pouppe. On éleve ce mât, qui est aussi long que le vaisseau, avec