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ont fait des cornes d’animaux, par la façon dont on voit qu’ils les ont employées, soit entieres, soit coupées, & parce qu’ils les ont données pour attribut à un grand nombre de figures seules ou grouppées avec plusieurs autres.

Athénée qui avoit examiné cette matiere à fond, dit que les vases à boire, qu’on appelloit ὅλμοι, avoient une coudée de haut, & qu’ils étoient faits en forme de corne. Le même Athénée rapporte encore, & dans le même endroit, que le ῥυτὸν étoit une sorte de vase semblable à une corne, mais percé par le bas ; apparemment que la main ou le doigt retenant la liqueur, obligeoit le convive à ne rien laisser dedans. Cette invention a été attribuée à Ptolomée Philadelphe : ce prince paroît en avoir été infiniment flatté ; ainsi nous voyons clairement que ces mêmes anciens conserverent cette forme, lors même qu’ils commencerent à employer d’autres matieres à ce même usage. Nous allons voir qu’ils l’ont ensuite alterée, mais sans la rendre méconnoissable : c’est la voie générale de la nature ; les idées des hommes ne vont jamais que de proche en proche, sur-tout dans les arts.

Le tems de ce changement ne peut être fixé ni calculé, d’autant que ces différentes pratiques se sont perpétuées plus ou moins, selon le degré de culture des arts chez les différens peuples. Les deux vases de marbre qui sont placés sur le perron de la vigne Borghese à Rome, sont des imitations de coupes dont les anciens se servoient pour boire : ce sont des cornes terminées par des têtes de bœufs ; leur grandeur & la beauté du travail, semblent persuader qu’ils ont été consacrés à quelque ancien temple de Bacchus.

Quoiqu’on ne puisse déterminer combien de tems les hommes se sont servi de cornes d’animaux en guise de coupes, il est constant que ces premiers vases, donnés par la nature, aussi-bien que ceux qui furent formés à leur imitation, furent dans la suite remplaces par d’autres, dont les formes nous sont rapportées avec une grande variété ; il suffit de lire le livre onzieme d’Athénée, pour en être convaincu.

Les anciens ne négligerent rien encore pour l’élégance du trait, la beauté du travail, & la recherche des matieres des vases destinés à leur table & à l’ornement de leur buffet ; ce luxe a été un de ceux auxquels ils ont été le plus constamment attachés ; & c’est peut-être à ce même luxe qu’ils ont été redevables d’un grand nombre de découvertes dans les arts, & de la recherche des belles matieres que la nature pouvoit leur fournir ; il est prouvé que leur curiosité a été aussi grande en ce genre, que leur attention à les faire valoir par le travail le plus exact, le plus couteux, & le plus difficile à exécuter.

On voit que l’ancienne forme des vases à boire changea de très-bonne heure dans la Grece, puisque Homere parle de deux coupes dans son Iliade, très-éloignées de cette forme ; l’une de ces coupes est celle que Vulcain présente aux dieux pour les réconcilier, & l’autre est celle que le poëte, l. II. donne à Nestor. Cette derniere coupe étoit piquée de clous d’or, avec quatre anses, accompagnées chacune de deux colombes ; cette même coupe étoit à deux fonds & fort pesante lorsqu’elle étoit remplie : tout autre que Nestor, un jeune homme même, l’eût difficilement levée de dessus la table ; mais le bon vieillard la levoit encore, & la vuidoit sans peine. Qu’Homere n’ait point décrit d’après nature la coupe qu’il donna à Nestor, ou qu’il l’ait rapportée d’imagination, cette imagination a toujours eu pour fondement des objets réels, & reçus de son tems pour usage en ce genre ; mais Athénée prouve que ces coupes existoient réellement du tems d’Homere & dans le sien. L’on se vantoit de conserver à Capoue la coupe de Nestor ; jactance qui montre que non-seulement des particuliers, mais des villes & des peuples

entiers ont toujours attaché de l’opinion aux choses antiques, & que cette opinion a constamment ajouté au mérite réel. La raison de ce préjugé ne viendroit-elle pas de ce que l’esprit, flatté d’embrasser plusieurs idées, se trouve non-seulement touché de l’objet en lui-même, mais qu’il aime à se trouver étendu par les idées des hommes & des tems qui l’ont précédé ?

Anacréon, ce poëte délicieux à qui sa coupe a le plus souvent servi de lyre, nous prouve par ses Odes XVII. & XVIII. que de son tems on faisoit représenter tout ce que l’on vouloit sur les coupes des festins, & que les artistes étoient en état de satisfaire la volonté des particuliers, quant aux compositions & à la dépense. Hérodote parle aussi quelquefois des vases de festin ; & c’en est assez pour prouver l’estime qu’on en faisoit.

Suétone, dans la vie de Néron, c. xlvij. dit que ce prince renversa la table sur laquelle il mangeoit, lorsqu’il apprit la révolte de ses armées, & qu’il brisa deux belles coupes sur lesquelles on avoit gravé des vers d’Homere. Pline dit que ces deux coupes étoient de crystal. Si les hommes n’eussent point été frappés du mérite de ces coupes, un historien n’auroit pas cité leur perte comme une preuve de l’impression que ce prince, tout insensé qu’il étoit, reçut d’une nouvelle qui lui annonçoit ses malheurs.

Les Romains abuserent des formes qu’ils donnerent à leurs vases. Je me contenterai de renvoyer au vers 95. de la seconde satyre de Juvénal. Pline, dans le liv. XIV. c. xxij. ainsi que dans l’avant-propos du liv. XXIII. s’éleve vivement contre l’usage où l’on étoit de son tems, d’employer ces vases obscènes, ce qu’il appelle per obscænitates bibere. Mém. des Inscriptions, tom. XXIII. (D. J.)

Vase myrrhin, (Littér.) Parmi les riches dépouilles que Pompée, vainqueur de Mithridate, & maître d’une partie de l’Asie, fit voir à Rome, lorsqu’il obtint le triomphe, entre une infinité de bijoux de toute espece, de pierres précieuses, & d’ouvrages inestimables où l’art le disputoit avec la nature, on admira pour la premiere fois plusieurs de ces beaux vases appellés vasa murrhina. C’étoit une nouveauté pour les Romains, une nouveauté de matiere fragile, & qu’on leur présentoit comme une chose aussi rare qu’elle étoit parfaite : on en voulut à tout prix.

On vit un ancien consul y consumer tout son patrimoine ; acheter un seul de ces vases 70 talens, qui font plus de 150 mille livres de notre monnoie, & boire, tout brisé qu’il étoit, sur ses bords avec la même satisfaction, & peut-être encore avec plus de délices, que quand il étoit entier. Mais Néron, & Pétrone le ministre de ses plaisirs, allerent encore bien au-delà, & je n’ose écrire les sommes qu’ils y dépenserent, on ne me croiroit point. Une pareille folie étoit digne d’un empereur, qui, après avoir rassemblé autant qu’il avoit pu de vases de cette espece, & en avoir enrichi le théâtre sur lequel il osoit faire, à la vue de tout un public, le personnage d’acteur, ne rougissoit point de recueillir jusqu’aux débris de ces vases, de leur préparer un tombeau, & de les y placer à la honte du siécle, avec le même appareil que s’il se fût agi de rendre un honneur semblable aux cendres d’Alexandre.

Il en couta à Pétrone pour acquérir un bassin, trullum murrhinum, 300 talens, qui réduits à leur moindre valeur, font la somme de 720 mille livres ; & Néron en dépensa autant pour un vase à deux anses de la même matiere.

Pline, qui s’est attaché à nous décrire l’auguste cérémonie du triomphe de Pompée d’après les actes mêmes qu’il avoit eus en communication, nous parle de vases faits avec de l’or & avec les pierres les plus précieuses qui ornerent ce triomphe, & qui étoient en si grande abondance, c’étoient les vases de Mithri-