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ment, car il fait dire à son commandeur dans ses mots à la mode, que les Espagnols appellent passe-caille, une composition en musique, qui veut dire passe-rue, comme, dit-il, nous appellons en France des vaudevilles, certaines chansons qui courent dans le public.

M. d’Hamilton, si connu par les mémoires du comte de Grammont, s’est amusé à quelques vaudevilles, dans lesquels régnent le sel, l’agrément, & la vivacité. Haguenier (Jean) bourguignon, mort en 1738 en a répandu dans le public qui sont gais & amusans ; mais Ferrand (Antoine) mort en 1719, âgé de quarante-deux ans, a particulierement réussi à faire des vaudevilles spirituels, & pleins de la plus fine galanterie. La plûpart ont été mis sur les airs de clavessin de la composition de Couperin. On trouve dans les vaudevilles de M. de Chaulieu, comme dans ses autres poésies négligées, des couplets hardis & voluptueux ; tous ces poëtes aimables n’ont point eu de successeurs en ce genre.

Je crois cependant que notre nation l’emporte sur les autres dans le goût & dans le nombre des vaudevilles ; la pente des François au plaisir, à la satyre, & souvent même à une gaieté hors de saison, leur a fait quelquefois terminer par un vaudeville les affaires les plus sérieuses, qui commençoient à les lasser ; & cette niaiserie les a quelquefois consolés de leurs malheurs réels.

Au reste, dit l’auteur ingénieux de la nouvelle Héloïse ; quand les François vantent leurs vaudevilles pour le goût & la musique, ils ont raison ; cependant à d’autres égards, c’est leur condamnation qu’ils prononcent ; s’ils savoient chanter des sentimens, ils ne chanteroient pas de l’esprit ; mais comme leur musique n’est pas expressive, elle est plus propre aux vaudevilles qu’aux opéra ; & comme l’italienne est toute passionnée, elle est plus propre aux opéra qu’aux vaudevilles. (Le chevalier de Jaucourt.)

VAUDEVRANGE, (Géog. mod.) ville de Lorraine, dans le baillage allemand, sur la Saare. Voyez Valdervange. (D. J.)

VAUDOIS, s. m. pl. (Hist. ecclés.) sectaires qui parurent dans le christianisme au commencement du douzieme siecle ; nous ne pouvons mieux tracer en peu de mots leur origine, leurs sentimens, & leurs persécutions, que d’après l’auteur philosophe de l’essai sur l’histoire générale.

Les horreurs, dit-il, qui se commirent dans les croisades ; les dissensions des papes & des empereurs, les richesses des monasteres, l’abus que tant d’évêques faisoient de leur puissance temporelle, révolterent les esprits, & leur inspirerent dès le commencement du douzieme siecle, une secrete indépendance, & l’affranchissement de tant d’abus. Il se trouva donc des hommes dans toute l’Europe, qui ne voulurent d’autres lois que l’Evangile, & qui précherent à-peu-près les mêmes dogmes que les Protestans embrasserent dans la suite. On les nommoit Vaudois, parce qu’il y en avoit beaucoup dans les vallées de Piémont ; Albigeois, à cause de la ville d’Albi ; Bonshommes, par la régularité & la simplicité de leur conduite ; enfin Manichéens, nom odieux qu’on donnoit alors en général à toutes sortes d’hérétiques. On fut étonné vers la fin de ce même siecle, que le Languedoc fût tout rempli de Vaudois.

Leur secte étoit en grande partie composée d’une bourgeoisie réduite à l’indigence, tant par le long esclavage dont on sortoit à peine, que par les croisades en terre sainte. Le pape Innocent III. délegua en 1198. deux moines de Citeaux pour juger les herétiques, & nomma un abbé du même ordre pour faire à Toulouse les fonctions de l’évêque. Ce procedé indigna le comte de Foix & tous les seigneurs du pays, qui avoient déja goûté les opinions des réformateurs,

& qui étoient également irrités contre la cour de Rome. L’abbé de Citeaux parut avec l’équipage d’un prince ; ce qui ne contribua que davantage à soulever les esprits. Pierre de Castelnau, autre inquisiteur, fut accusé de se servir des armes qui lui étoient propres, en soulevant secrétement quelques voisins contre le comte de Toulouse, & en suscitant une guerre civile ; cet inquisiteur fut assassiné en 1207, & le soupçon tomba sur le comte.

Le pape forma pour lors la croisade contre les Vaudois ou Albigeois ; on en sait les événemens. Les croisés égorgerent les habitans de la ville de Béziers, réfugiés dans une église : on poursuivit par le fer & le feu les Vaudois qui oserent se défendre ; au siege de Lavaur on fit prisonniers quatre-vingt gentils-hommes que l’on condamna tous à être pendus ; mais les fourches patibulaires étant rompues, on abandonna les captifs aux croisés qui les massacrerent ; on jetta dans un puits la sœur du seigneur de Lavaur, & on brula autour du puits trois cens habitans qui ne voulurent pas renoncer à leurs opinions. Les évêques de Paris, de Lizieux, de Bayeux, étoient accouru au siege de Lavaur pour gagner des indulgences.

Rien n’est si connu des amateurs de recherches, que les vers provençaux sur les Vaudois de ce tems-là.

Que non volia maudir, ne jurar, ne mentir,
N’occir, ne avourar, ne prenre de altrui,
Ne stavengar de li suo ennemi,
Los dizons qu’és Vaudez, & los fezons morir.

Ces vers sont d’autant plus curieux, qu’ils nous apprennent les sentimens des Vaudois. Enfin la fureur de la croisade s’éteignit, mais la secte subsista toujours, foible, peu nombreuse, & cachée dans l’obscurité, pour renaître quelques siecles après, avec plus de force & d’avantage.

Ceux qui resterent ignorés dans les vallées incultes qui sont entre la Provence & le Dauphiné, défricherent ces terres stériles, & par des travaux incroyables, les rendirent propres au grain & au pâturage. Ils prirent à cens les héritages des environs, & enrichirent leurs seigneurs. Ils furent pendant deux siecles dans une paix tranquille, qu’il faut attribuer uniquement à la lassitude de l’esprit humain, après qu’il s’est long-tems emporté au zèle affreux de la persécution.

Les Vaudois jouissoient de ce calme, quand les réformateurs de Suisse & d’Allemagne apprirent qu’ils avoient des freres en Languedoc, en Dauphiné, & dans les vallées de Piémont ; aussi-tôt ils leur envoyerent des ministres, on appelloit de ce nom les desservans des églises protestantes : alors ces Vaudois furent trop connus, & de nouveau cruellement persécutés, malgré leur confession de foi qu’ils dédierent au roi de France.

Cette confession de foi portoit qu’ils se croyoient obligés de rejetter le baptême des petits-enfans, parce qu’ils n’ont pas la foi ; de penser qu’il ne faut point adorer la croix, puisqu’elle avoit été l’instrument de la passion de Jesus-Christ ; que dans l’eucharistie le pain demeuroit pain après la consécration, & que l’on fait tort à Dieu quand l’on dit que le pain est changé au corps de Christ ; qu’ils ne reconnoissoient que deux sacremens, savoir le baptême & la cêne ; qu’ils ne prioient point pour les morts ; que le pape ni les prêtres n’ont point la puissance de lier & de délier ; qu’il n’y a d’autre chef de la foi que notre Sauveur ; qu’il est impie à tout homme sur la terre de s’attribuer ce privilege ; enfin qu’aucune église n’a le droit de maîtriser les autres.

La réponse qu’on fit à cette confession de foi fut d’en traiter les sectateurs d’hérétiques obstinés, & de les condamner au feu. En 1540, le parlement de