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thiévre, le chassa & pourchassa l’espace de quatre jours, tellement qu’enfin il l’alla prendre près la ville de Paris. On voit dans la salle du présidial à Senlis cette inscription : « En l’an.... le roi Charles VI chassant dans la forêt de Hallade, prit le cerf duquel vous voyez la figure (elle est détruite) portant un collier d’or où étoit écrit : Hoc me Cæsar donavit ; de ce lieu on voit l’endroit où il fut relancé ».

Jean Sobiesky, roi de Pologne, entretenoit pour la chasse cinq cens janissaires turcs, pris au milieu des combats, conservant leurs armes & leurs vêtemens ; on leur marquoit une enceinte dans une forêt ; ils tendoient les filets en laissant une ouverture qui répondoit à la plaine : des chiens tenus en laisse formoient un croissant à une assez grande distance ; derriere eux le roi, les veneurs & les curieux décrivoient une même ligne. Le signal donné, d’autres chiens perçoient dans la forêt, & chassoient indifféremment tout ce qui se rencontroit ; bien-tôt on voyoit sortir des cerfs, des élans, des aurox, taureaux sauvages d’une beauté, d’une force & d’une fierté singuliere ; des loups cerviers, des sangliers, des ours, & chaque espece de chiens attaquoit la bête qui lui étoit propre, laquelle ne pouvoit rentrer dans la forêt, ni s’arrêter aux filets, parce que les janissaires y veilloient. Les veneurs ne se mettoient du combat que lorsque les chiens étoient trop foibles. Cette multitude d’hommes, de chevaux, de chiens, & d’animaux sauvages, le bruit des cors, la variété des combats, tout cet appareil de guerre orné d’une magnificence convenable, étonnoit les curieux du midi. Hist. de Jean Sobiesky.

M. de Ligniville rapporte une chasse qui a duré trois jours avec les mêmes hommes, chiens & chevaux. Louis XIII. qui suivant M. de Selincourt parfait chasseur, fut le plus grand, le plus habile, le plus adroit chasseur de son royaume, fit dans sa jeunesse sa premiere chasse avec la fauconnerie dans la plaine S. Denis, en présence de la reine & de toutes les dames de la cour, placées sur une butte de terre au lieu nommé la planchette ; tous les vols suivoient le roi dans tous ses voyages.

La seconde chasse faite par Louis XIII. fut aux chiens courans ; car outre les équipages pour le cerf, les chevreuils, loups, lievres & sangliers, il y avoit toujours cent cinquante chiens qui suivoient S. M. dans tous ses voyages ; il n’y avoit point de jour que huit veneurs au moins n’allassent tous les matins dans les bois près desquels le roi passoit, & qui ne lui fissent leur rapport de ce qu’ils avoient rencontré, cerfs, biches, renards, &c. des situations des buissons ; s’ils étoient en plaine, côteaux, ou lieux humides ; quelles étoient les refuites, &c. de sorte que le roi étoit informé à son levé de quelle bête il pourroit avoir du plaisir, & comment elle seroit portée par terre par trente lesses de levriers qui suivoient l’équipage par-tout.

Quand le roi vouloit chasser, l’ordre étoit donné aux gendarmes, chevaux-légers & mousquetaires, pour s’assembler à l’heure du départ ; les chasseurs alloient devant, & voyoient où étoit le vent pour disposer les accourts ; les toiles étoient ajustées pour cacher les levriers, & le roi trouvoit tout disposé à son arrivée : ceux de sa suite bordoient le côté du mauvais vent, & se rangeant à cinquante pas les uns des autres le pistolet à la main, se renoient prêts pour la chasse dès qu’elle commenceroit. Le roi donnoit le signal, & dès que les chiens découplés commençoient à chasser, la décharge se faisoit du côté du mauvais vent, ce qui donnoit une telle terreur aux bêtes, qu’elles fuyoient du côté des accourts, & à leur sortie du bois, les levriers cotiers étoient donnés, puis ceux de l’autre côté, de sorte que les bêtes alloient au fond de l’accourt où étoient les gros

levriers qui les coëffoient, & le roi en avoit tout le plaisir.

Sur le champ, chacun reprenoit sa place pour voir sortir d’autres bêtes, lesquelles étoient encore courues, & toutes celles qui étoient dans les bois étoient portées par terre, ce qui duroit tout le haut du jour & souvent fort tard, principalement quand il y avoit des loups, car ces animaux ne sortoient qu’à force, & même il y en avoit qui se sauvoient du côté défendu par les cavaliers, dont ils aimoient mieux essuyer les coups, que de sortir du côté de l’acourt qu’ils avoient éventé. Ces deux chasses que nous venons de décrire étoient pleinement royales. Le parfait Chasseur, par M. de Selincourt.

Le même auteur dit avoir vu un cerf chassé pendant trois jours par trois équipages différens : voici comment il rapporte le fait. Les équipages de M. le duc d’Angoulême, de M. de Souvray & de M. de Metz étoient à Grosbois ; il fut laissé courre un cerf (on ne marque point son âge) en Brie, l’assemblée au mont Tetis, & fut couru la premiere journée jusqu’à la nuit, ayant mesuré tous les buissons & forêts de Brie, & revenant à la nuit dans le lieu où il avoit été lancé ; il fut brisé la tête couverte. Le lendemain ces messieurs voulurent voir par curiosité ce que deviendroit ce cerf le second jour, & ils résolurent de le courre avec un autre équipage & d’autres chevaux ; il fut attaqué le lendemain matin où il avoit été brisé, il fut très-bien donné aux chiens ; il recommença à reprendre le même chemin qu’il avoit fait le jour de devant, il mesura tous les mêmes lieux, & revint à la nuit dans le lieu où il avoit été lancé, & fut encore brise la tête couverte. Tous ces messieurs le soir ne savoient que dire, ni Duvivier, Artonge, Desprez, & tous les autres vieux chasseurs crurent tous que c’étoit un sorcier ; enfin, ils dirent qu’il y avoit encore un équipage qui n’avoit point couru, qui étoit celui de M. d’Angoulême, & qu’il falloit voir ce qui arriveroit de cela. Le lendemain dès la pointe du jour, ils allerent frapper aux brisées, ils lancerent le cerf encore à cinq cens pas de là, & le coururent encore six grandes lieues, au bout desquelles ils le prirent sec comme bois, mourant plutôt de faim que pris de force ; car s’il eût eu le loisir de viander, ils ne l’auroient jamais pris, & tous demeurerent d’accord que si ce cerf eût couru sur une même ligne, il fût allé à plus de soixante lieues de-là.

On voit au château de Malherbe la figure d’une biche qui avoit un bois comme un cerf, & qui portoit huit andouillers, laquelle après avoir été courue par deux veneurs du roi Charles IX. fut prise par les chiens pour un cerf : ces veneurs l’ayant détournée en prenant chacun un côté de l’enceinte, l’un la vit pisser de si près qu’il la jugea être une biche ; il n’en dit rien à son compagnon, il dit seulement en termes vagues que cela ne valoit rien à courre. L’autre qui en avoit vu la tête, la jugea être celle d’un cerf, & dans cette confiance laissa courre ; elle fut prise enfin & reconnue biche, & celui qui l’avoit vue pisser sans l’avoir dit à son compagnon, fut cassé pour avoir donné lieu à une telle méprise. La Brissardiere, nouveau traité de la venerie, ch. xjv. Il y a bien d’autres exemples de biches portant tête de cerf.

La premiere chasse que le roi Louis XV. a faite avec sa vénerie, étoit le jour de S. Hubert, 3 Novembre 1722, dans le parc de Villercotterêt ; on y attaqua un cerf à sa seconde tête, & il y fut pris. Sa majesté revenoit de Rheims où elle avoit été sacrée.

Le 13 Juillet 1740, on attaqua à Compiegne un cerf dix corps dans les bordages près la croix du S. Cygne ; on le prit au village de Troly. Il étoit monté sur le haut d’une chaumiere où il se promenoit avec deux chiens qui l’aboyoient ; M. de Lasmastre, lieutenant de la vénerie, y grimpa, & fut lui couper le