gers de nations différentes, le sénat instruit de tout par plusieurs personnes, prévint les conjurés, & en fit noyer un grand nombre dans les canaux de Venise. On respecta dans Bedemar le caractere d’ambassadeur, qu’on pouvoit ne pas ménager ; & le sénat le fit sortir secrétement de la ville, pour le dérober à la fureur du peuple.
Venise échappée à ce danger, fut dans un état florissant jusqu’à la prise de Candie. Cette république soutint seule la guerre contre l’empire turc pendant près de 30 ans, depuis 1641 jusqu’à 1669. Le siege de Candie, le plus long & le plus mémorable dont l’histoire fasse mention, dura près de 20 ans ; tantôt tourné en blocus, tantôt rallenti & abandonné, puis recommencé à plusieurs reprises, fait enfin dans les formes deux ans & demi sans relâche, jusqu’à ce que ce monceau de cendres fût rendu aux Turcs avec l’ile presque toute entiere, en 1669.
Venise s’épuisa dans cette guerre ; le tems étoit passé où elle s’enrichissoit aux dépens du reste de l’Europe, par son industrie & par l’ignorance des autres chrétiens. La découverte du passage du cap de Bonne-Espérance avoit détourné la source de ses richesses. En un mot, ce n’étoit plus cette république qui dans le xv. siecle avoit excité la jalousie de tant de rois : elle leur est encore moins redoutable aujourd’hui. La seule politique de son gouvernement subsiste ; mais son commerce anéanti, lui ôte presque toute sa force ; & si la ville de Venise est par sa situation incapable d’être domptée, elle est par sa foiblesse incapable de faire des conquêtes. Essai sur l’histoire générale par M. de Voltaire, t. I. II. III. IV. V.
On ne manque pas d’auteurs sur l’histoire de cette république : voici les principaux par ordre des tems.
1°. Justiniani (Bernard), mort procurateur de S. Marc, l’an 1489, dans la 82 année de son âge, a fait le premier l’histoire de Venise intitulée, de origine urbis Venetiaram, rebusque ejus, ab ipsâ ad quadringentesimum usque annum gestis historia. Venise 1492 in-fol. & dans la même ville en 1534 in-fol. Cette histoire est divisée en quinze livres, & va jusqu’à l’an 809. Elle a été traduite en italien par Louis Domenichi, & imprimée en cette langue à Venise en 1545, & en 1608 in-8°. avec une table des matieres.
2°. Sabellicus (Marc-Antoine Coccius), né sur le milieu du xv. siecle, à Viscovaro bourg d’Italie dans la Sabine, fut appellé par le sénat de Venise pour deux emplois honorables & lucratifs ; l’un étoit celui d’écrire l’histoire de la république, l’autre d’enseigner les belles-lettres. Il s’acquitta mieux du dernier que du premier, car son ouvrage historique, rerum Venetarum historiæ, fut rempli de flateries & de mensonges : c’est qu’il étoit payé pour être sincere & exact à l’égard de ses écoliers, & pour se garder de l’être à l’êgard des narrations. Scaliger remarque que Sabellicus avoit avoué lui-même que l’argent des Vénitiens étoit la source de ses lumieres historiques.
3°. Suazzarini (Dominico), contemporain de Sabellicus, écrivit l’histoire de Venise beaucoup plus abrégée, & tâcha d’imiter le style de Tacite.
4°. Le cardinal Bembo fut nommé par la république en 1530, pour en écrire l’histoire. On voulut qu’il la commençât où Sabellicus l’avoit finie (environ l’an 1486), & qu’il la continuât jusque à son tems. Cet intervalle comprenoit 44 années ; il ne remplit point cet intervalle, car il termina son ouvrage à la mort de Jules II. Cette histoire est divisée en douze livres, & fut imprimée à Venise l’an 1551, & contrefaite la même année à Paris, chez Michel Vascosan in-4°. On en donna une nouvelle édition à Bâle, l’an 1567, en trois volumes in-8°. avec les autres œuvres de l’auteur. Il ne put tirer aucun profit du
travail d’André Navagiero, qui avoit eu avant lui la même commission, mais qui ordonna en mourant qu’on brûlât tous ses écrits.
Quoique Bembus ait été l’une des meilleures plumes latines du xvj. siecle, il faut avouer qu’il a montré trop d’affectation à ne se servir dans ses écrits, & sur tout dans son histoire, que des termes de la pure latinité. On rit de lire dans cet auteur, qu’un pape avoit été élu par la faveur des dieux immortels, deorum immortalium beneficiis. Il aimoit cette expression ; car il rapporte dans un autre endroit que le sénat de Venise écrivit au pape : « Fiez-vous aux dieux immortels dont vous êtes le vicaire sur la terre », uti fidat diis immortalibus quorum vicem geris in terris.
Après cela, on ne doit point s’étonner qu’il se soit servi du mot de déesse, en parlant de la sainte Vierge. C’est dans une lettre où Leon X. reproche aux habitans de Recanati d’avoir donné de mauvais bois pour le bâtiment de Notre-Dame de Lorette, & leur commande d’en donner de meilleur, « de peur, dit-il, qu’il ne semble que vous vous soyez mocqué de nous & de la déesse même », ne tùm nos, tùm etiam deam ipsam, inani lignorum inutilium donatione lusisse videamini.
Les termes que le christianisme a consacrés, comme fides, excommunicatio, ont paru barbares à cet écrivain ; il a mieux aimé se servir de persuasio pour fides, & de aqua & igne interdictio, pour excommunicatio ; mais l’histoire de Venise de Bembo mérite encore plus la critique du côté de la bonne foi, comme Bodin l’a prononcé dans sa méthode sur l’histoire.
5°. Paruta, né à Venise en 1540, & mort procurateur de S. Marc en 1598, comme je l’ai déjà dit en parlant de la ville de Venise, a publié entre autres ouvrages, une grande histoire de Venise, intitulée Istoria venetiana, lib. xij. Venise, 1605, 1645, & 1704. in-4°. En qualité d’historiographe de la république. il fut chargé de continuer l’histoire du cardinal Bembo qui avoit fini à l’année 1513, année de l’élévation de Leon X. au pontificat. Il en écrivit le premier livre en latin, pour se conformer à Bembo, mais il changea de dessein dans la suite, & composa son ouvrage tout en italien. Cet ouvrage contient en douze livres tout ce qui est arrivé de plus considérable à la république depuis l’an 1513 jusqu’en 1552. Il a été joint au recueil des historiens de Venise, publié en 1718 sous ce titre général : Istorici delle Cose veneziane, i quali hanno scritto per publico decreto. Henri Cary a traduit l’histoire de Paruta en anglois ; & sa traduction a été imprimée à Londres en 1658 in-4°.
6°. Morosini (André), né à Venise en 1558, & mort dans les grands emplois de sa patrie l’an 1618 à 60 ans, a fait une histoire latine de la république, qui parut sous ce titre : Historia Veneta ab anno 1521 ; ad annum 1615. Venetiis 1603, in-fol. Cette histoire est une continuation de celle de Paruta.
7°. Nani (Jean-Baptiste), noble vénitien, fut honoré des premiers emplois de la république, & chargé par le sénat de continuer l’histoire de la république. Il divisa son ouvrage en deux parties ; & imprimoit la seconde, lorsqu’il mourut en 1678 âgé de 62 ans. La premiere partie a été traduite en françois, & imprimée en Hollande en 1702 en quatre volumes in-12. L’ouvrage est intéressant ; mais l’auteur dans tout ce qui concerne sa patrie, a plus suivi les sentimens naturels que la vérité de l’histoire ; on en a fait une nouvelle édition en 1720, & elle entre dans le recueil des historiens de Venise.
8°. Le dernier écrivain de cette histoire est le sénateur Diedo, dont l’ouvrage intitulé, Storie della republica di Venezia, a paru à Venise en 1751 en deux volumes in-4°.