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à travailler, regle la proportion des matieres dans les compositions ; s’il ne chauffe pas assez bien pour dissiper la manganese, il faut nécessairement la mettre en petite dose ; s’il ne fond pas facilement, la proportion du fondant devra être un peu plus forte. Lorsqu’on emploie de la soude en nature, on réussit assez bien en combinant parties égales de soude & de sable ; quant à la manganese, j’en mets quatre livres sur mille livres de soude & de sable, si je crois pouvoir les dissiper : si après l’opération le verre se trouve trop rouge, j’en mettrai moins dans la suite ; si l’affinage[1] du verre est trop long, j’augmente la quantité de calcin, & l’on sent en effet que plus on ajoûtera dans une composition de matieres qui a été affinée, plus l’affinage du tout sera prompt. Je ne puis donner de regle exacte sur les proportions des matieres qui entrent dans la composition, je me contenterai d’en indiquer diverses qui ont toutes fait de beau verre a mais on pourroit en trouver beaucoup d’autres qui feroient aussi beau en général ; lorsque toutes les matieres ont été bien calcinées, il est difficile de faire du verre de mauvaise couleur, sur-tout en employant du calcin qui soit lui-même de beau verre ; si au contraire on se négligeoit dans les calcinations, il est bien difficile que le verre ne soit pas jaune.

Les effets de chaque matiere, sur-tout quand on travaille en salin, doivent entrer dans les considérations à faire pour les compositions ; le salin mis en trop grande quantité ne se combine pas tout aux matieres auxquelles il a été mêlé ; l’alkali superflu se manifeste au-dessus du verre, se mêle au bain du sel de verre[2], rend l’évaporation du sel de verre plus difficile, & conséquemment retarde l’opération ; au surplus il est regardé comme donnant au verre une couleur verte ; la chaux est regardée comme colorant le verre en jaune, lui donnant un défaut de solidité, & le rendant friable & cassant ; la manganese en trop grande quantité répand trop de rouge dans le verre, & lorsqu’il y en a trop peu, le verre est d’un verd léger que l’on distingue aisément des verds qui viennent d’autre cause, & les verriers disent alors que le verre est bas en couleur. Le calcin donne au verre du corps & de la facilité, tant à la fonte qu’à l’affinage ; quant à la couleur, il donne au verre celle qu’il a ; si c’est du bon calcin, de bonne couleur, il donnera cette qualité au verre dans la composition duquel il entrera ; si au contraire il est de couleur désagréable, il en donne à toute la masse du verre une nuance moindre à la vérité que celle qu’il a lui-même, mais qui ne laisse cependant pas d’être fâcheuse. Le sable n’est pas considéré comme donnant aucune qualité, ni bonne ni mauvaise, c’est par rapport à lai que les autres matieres sont employées, il est la base du verre ; une trop grande quantité rendroit cependant le verre plus difficile à fondre.

D’après toutes ces considérations, on peut travailler avec succès ; mais la difficulté de la chose, c’est que tout est relatif, & n’est qu’une affaire de comparaison ; telle composition sera excellente dans un four, qu’on n’oseroit entreprendre dans un autre. Mais, me dira-t-on, en suivant les mêmes constructions, n’aura-t-on pas toujours le même four ? J’en conviens, mais ce four n’est pas toujours dans le même état ; en vieillissant, il perd ses qualités. Alors un artiste habile observe les phénomenes avec soin,

cherche à en voir la raison, & tâche de se conduire en conséquence.

Lorsqu’on emploie du salin où il y a beaucoup de sels neutres, il faut une chauffe bien plus forte par la nécessité de dissiper ceux-ci, que si l’alkali avoit été bien pur ; il y a une infinité de nuances qui s’appercoivent par l’expérience, & de petites attentions qu’il est impossible de rendre ici.

Lorsqu’on compose en soude, me dira-t-on, si la chaux fait jaune, le verre doit bien tenir de cette couleur, puisque de cette maniere il y a plus de chaux que de toute autre, vu la base calcaire de la soude. On remédie à cet inconvénient en mêlant de l’azur à la composition. La chaux fait jaune, l’azur bleu, l’union de ces deux couleurs produit le vert, & cette nouvelle nuance étant corrigée par la manganese, le verre se trouve à un assez bon ton de couleur ; il ne faut pas mettre beaucoup d’azur ; il seroit à craindre que la nuance ne fût trop forte, & cette couleur est fort difficile à dissiper ; une once par pot suffit.

Voici des exemples de compositions employées dans deux fours, dont l’un chauffoit mal, & l’autre chauffoit fort bien ; dans le premier, on composa pendant quelque tems dans ces proportions 240 p. salin, 300 p. sable, 40 p. chaux, 25 onces manganese, 267 p. calcin. Avec cette composition, les affinages étoient longs, & l’on fondoit avec peine, quoiqu’il y eût plus de salin qu’il n’en auroit fallu pour peu que le four eût pû chauffer. On augmenta la dose du calcin de 100 p. sur la même quantité des autres matieres ; on n’augmenta pas la dose de la maganese, parce qu’elle ne se dissipoit pas aussi aisément qu’on auroit desiré.

Cette nouvelle composition de 300 p. sable, 40 p. chaux, 240 p. salin, 25 onces manganese, & 367 p. calcin, parut avoir assez de corps pour soutenir une augmentation de chaux, & d’ailleurs la chaux étant une substance alkaline, ne pouvoit pas nuire à la fusion ; on composa donc de cette maniere 240 p. salin, 300 p. sable, 50 p. chaux, 25 onces manganese, 367 p. calcin.

Toutes ces compositions firent de beau verre ; mais on va voir combien elles sont différentes de celles dont on se servit dans le four qui chauffoit bien.

La bonne ou la mauvaise chauffe contribue beaucoup à la bonne fabrication ; le travail est bien plus prompt, plus suivi, plus satisfaisant, & les phénomenes plus aisés à observer par leur régularité, lorsque l’on a affaire à un feu violent. Le service d’un mauvais four est toujours ruineux, quelque soin que se donne l’artiste pour en-tirer tout le parti possible, même lorsqu’il réussit ; parce qu’il met infiniment plus de tems pour faire le même ouvrage, que s’il avoit bon feu, & conséquemment beaucoup plus de dépenses.

Voyons les compositions de la réveillée[3] du bon four. Les premieres furent de 203 p. salin, 282 p. sable, 33 p. chaux, 293 p. calcin, & 19 onces manganese. S’appercevant que le four chauffoit assez pour fondre avec moins de salin, affiner avec moins de calcin, & dissiper plus de manganese, on composa avec 202 p. salin, 282 p. sable, 33 p. chaux, 282 p. calcin, 22 onces manganese. Ce fut par les mêmes raisons de facilité de fonte, qu’on diminua encore le salin, & l’aisance qu’on avoit à dissiper la manganese, en fit augmenter la dose. On composa sur le pié de 200 p. salin, 310 p. sable, 33 p. chaux, 282 p. calcin, & 24 onces manganese. Le four vint à diminuer de force, on diminua le sable, on augmenta le calcin, on rendit la proportion de la manganese relative à ces nouveaux changemens.

  1. Affiner du verre, c’est à force de feu le dénuer de tous les points ou bouillons qu’il renferme, & qui sont formés par la dilatation de l’air contenu dans les diverses matieres ; c’est, pour ainsi dire, chasser tout l’air qui y étoit renfermé. C’est ce point d’affinage qu’on regarde comme un des points de perfection des glaces.
  2. Sels de verre, ce sont les divers sels neutres qui étoient contenus dans les matieres, après qu’ils ont été fondus.
  3. Reveillée, tems de la durée d’un four.