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au vertige idiopathique : elles sont secondées suivant l’observation d’Hippocrate, par la mauvaise température d’une saison pluvieuse, continuellement infectée par des vens du sud, ou d’un hyver rigoureux : l’âge avancé y contribue beaucoup. Aphor. 17, 23 & 31. lib. III. On peut ajouter à ces causes les blessures à la tête, les fractures ou les contusions des os, & sur-tout du pariétal, les épanchemens de sang ou de pus dans le cerveau, &c. Le vertige sympathique dépend plus communément d’un vice de l’estomac qui peut être produit & entretenu par toutes les causes qui donnent des indigestions, voyez ce mot ; par des mauvais sucs croupissans dans ce viscere & les intestins, & sur-tout par un amas de matieres bilieuses. L’usage imprudent de l’ivraye, de la ciguë, & quelques plantes narcotiques, comme le stramonium, &c. sont des causes assez efficaces du vertige sympathique ; les légumes, les corps farineux, vappides, produisent aussi quelquefois le même effet. Plus rarement les affections du poumon, du foie, de la rate, des intestins & de la matrice donnent lieu au vertige : on a aussi observé que la cause pouvoit se trouver dans quelque membre, & monter comme chez quelques épileptiques, ou plutôt paroître monter en excitant la sensation d’un vent léger un peu froid qui de ces parties parviendroit à la tête.

Lorsque la disposition au vertige est formée, que la maladie est décidée, souvent les symptomes sont excités sans qu’il soit besoin d’aucune autre nouvelle cause pour les déterminer ; d’autres fois cette disposition lente exige pour se manifester d’être mise en jeu ; c’est à quoi se réduit l’effet des causes que nous renfermons dans la seconde classe. De ce nombre sont les moindres contentions d’esprit, les passions d’ame subites, un bruit violent, des cris aigus, &c. pour le vertige idiopathique, & pour celui qui est sympathique, un excès dans le boire ou le manger, l’usage de quelques mets indigestes, une abstinence trop longue, en un mot quelque dérangement d’estomac. En général des odeurs fortes, une lumiere éclatante, le passage subit d’un endroit obscur dans un lieu trop éclairé, la vue trop long-tems appliquée sur un même objet, ou dirigée sur des corps mûs avec rapidité ou en cercle, une toux opiniâtre, un mouvement trop prompt tel que celui qu’on fait lorsqu’étant assis, on se leve vite ; le bain, le mouvement d’une voiture, d’un bateau, &c. Toutes ces actions indifférentes pour des sujets sains, excitent le vertige idiopathique ou sympathique dans ceux qui sont mal disposés.

Le troisieme ordre des causes comprend celles qui donnent le vertige momentané aux personnes qui n’y ont aucune disposition, & qui à plus forte raison renouvelle le paroxisme dans les autres ; telles sont l’agitation de son propre corps en cercle, sur-tout lorsqu’on a les yeux ouverts. Personne n’ignore que lorsqu’on a les yeux fermés, à moins qu’on ne tourne avec rapidité sur soi-même, & qu’on ne décrive un très-petit cercle, on ne risque pas d’avoir le vertige, & c’est cette observation qui a introduit la coutume de boucher les yeux des animaux qu’on occupe à faire aller les moulins, les puits à roue, à battre le blé dans certains pays, & enfin aux divers travaux qui exigent qu’ils décrivent toujours un cercle ; mais on a l’attention nécessaire de ne pas faire le cercle trop petit, soit pour donner au levier plus de longueur & par conséquent plus de force, soit aussi sans doute pour empêcher que ces animaux bien-tôt attaqués du vertige ne tombent engourdis ; & c’est dans ce cas que les aveugles peuvent être sujets au vertige, même momentané : ils ne sont point exempts de celui qui est réellement maladif, produit par des vices internes, & il n’est pas nécessaire

d’y voir pour l’éprouver, puisqu’il n’est pas rare que les malades en ressentent des atteintes étant couchés, & même endormis ; ils s’imaginent tourner avec leur lit, & transportés tantôt en haut, tantôt en bas, & sans-dessus-dessous comme on dit. Les autres causes de cette classe, sont la situation de la tête penchée vers la terre pendant trop long-tems, les regards portés de dessus une hauteur considérable sur un précipice effrayant, sur une multitude innombrable de personnes mûes en divers sens, & sur-tout en rond, sur un fleuve rapide ou sur une mer agitée, &c. Il n’est personne qui ne soit à ces aspects saisis du vertige, & qui ne courre le danger de tomber s’il ne se retire promptement, ou s’il ne ferme les yeux à l’instant.

Telles sont les diverses causes apparentes que l’observation nous apprend, produire, déterminer & exciter ordinairement le vertige. Soumises au témoignage des sens, elles sont certainement connues, mais leur maniere d’agir cachée dans l’intérieur de la machine, est un mystere pour nous. Réduits pour le percer à la foible & incertaine lueur du raisonnement plus propre à nous égarer qu’à nous conduire, nous n’avons que l’alternative de garder le silence, ou de courir le risque trop certain de débiter inutilement des erreurs & des absurdités ; tel est le sort des auteurs qui ont voulu hasarder des explications ; toujours différens les uns des autres, se combattant, & se vainquant mutuellement, ils n’ont fait que prouver la difficulté de l’entreprise, & marquer par leur naufrage les écueils multipliés sans même les épuiser. Après toutes leurs dissertations frivoles, il n’en a pas moins été obscur comment agissent les causes éloignées du vertige, quel est leur méchanisme, quel effet il en résulte, de quelle nature est le dérangement intérieur qui doit être la cause prochaine du vertige, où est son siege, s’il est dans les humeurs des yeux, dans les membranes, dans les vaisseaux, dans les nerfs ou dans le cerveau. Je n’entreprends point de répondre à ces questions, d’essayer de dissiper cette obscurité, je laisse ces recherches frivoles à ceux qui sont plus oisifs & plus curieux d’inutilité ; je remarquerai seulement que le vertige étant une dépravation dans l’exercice de la vision, il faut nécessairement que les nerfs qui servent à cette fonction soient affectés par des causes intérieures de la même façon qu’ils le seroient par le mouvement circulaire des objets extérieurs, & que cette affection doit avoir différentes causes dans le vertige idiopathique, dans le vertige sympathique, & dans le vertige momentané ; que dans le premier, le dérangement est sûrement dans le cerveau, & dans le dernier il n’est que dans la rétine.

Les observations cadavériques confirment ce que nous venons de dire au sujet du vertige idiopathique, & découvrent quelques causes cachées dans la cavité du crâne ; Bauhin & Plater rapportent, qu’un homme après avoir eu pendant plusieurs années un vertige presque continuel, & si fort qu’il le retenoit toujours au lit, tomba dans une affection soporeuse qui, s’augmentant peu-à-peu, devint le sommeil de la mort. A l’ouverture de la tête, on trouva tous les ventricules & les anfractuosités du cerveau remplis d’une grande quantité d’eau, les arteres presqu’entierement endurcies & obstruées. Scultetus fait mention d’un homme qui ayant reçû un coup sur le devant de la tête, qui avoit laissé une contusion peu considérable que quelques remedes dissiperent, fut pendant plus d’un an tourmenté de vertige, & malgré tous les remedes mourut, après ce tems, apoplectique ; en examinant le cerveau, il vit une espece de follicule de la grosseur d’un œuf de poule, rempli d’eau & de petits vers qui étoit placé sur le troisieme ventricule qu’il comprimoit. Il observa la même