qu’on bouchoit avec de la poix & du plâtre pour empêcher le vin de s’éventer ; c’est ce que Pétrone nous apprend en ces mots : amphoræ vitreæ diligenter gypsatæ, allatæ sunt, quarum in cervicibus pittacia erant affixa, cum hoc titulo :
Falernum opimianum annorum centum.
« On apporta de grosses bouteilles de verre bien bouchées, avec des écriteaux sur les bouchons, qui contenoient ces paroles : vin de Falerne de cent feuilles, sous le consulat d’Opimius. » Le cade, cadus, avoit à-peu-près la figure d’une pomme de pin ; c’étoit une espece de tonneau qui contenoit une moitié plus que l’amphore. On bouchoit bien ces deux vaisseaux, & on les mettoit dans une chambre du haut de la maison exposée au midi ; cette chambre s’appelloit horreum vinarium, apotheca vinaria, le cellier du vin. Comme ce fut depuis le consulat de L. Opimius, c’est-à-dire depuis 633, que les Romains se mirent en goût de boire des vins vieux, il fallut multiplier les celliers dans tous les quartiers de Rome pour y mettre les vins en garde & à demeure.
Nous venons de voir que Pétrone parle de vins de cent feuilles, mais Pline dit qu’on en buvoit presque de deux cens ans, qui par la vieillesse avoient acquis la consistence du miel. Adhuc vina ducentis ferè annis jàm in speciem redacta mellis asperi ; erenim hæc natura vini in vetustate est, lib. XIV. cap. jv. Ils délayoient ce vin avec de l’eau chaude pour le rendre fluide, & ensuite ils le passoient par la chausse ; c’est ce qui se nommoit, saccatio vinorum.
Turbida sollicitò transmittere cæcuba sacco.
Ils avoient cependant d’autres vins qu’ils ne passoient point par la chausse ; tel étoit le vin de Massique, qu’ils se contentoient d’exposer à l’air pour l’épurer. Horace nous l’apprend, sat. IV. liv. II. v.52.
Massica si cælo supponas vina sereno,
Nocturnâ, si quid crassi est, tendabitur aurà,
Et decedet odor nervis inimicus : at illa
Integrum perdunt lino vitiata saporem.
« Exposez le vin de Massique au grand air dans un beau tems ; non-seulement le serein de la nuit le clarifiera, mais il emportera encore ses esprits fumeux qui attaquent les nerfs ; au-lieu que si vous le passez dans une chausse de lin, il perdra toute sa qualité ».
Ils bonifioient le vin du Surrentum en le mettant sur de la lie de vin de Falerne douçâtre, pour adoucir son aprêté ; car c’étoit un vin rude, & qui du tems de Pline, avoit déja beaucoup perdu de sa réputation.
Les Grecs mêloient de l’eau de mer dans tous les vins qu’ils envoyoient à Rome des îles de l’Archipel, & c’est ainsi qu’ils apprêtoient les vins de Chio dont les Romains étoient fort curieux. Caton, au rapport de Pline, avoit trouvé le secret de contrefaire ce dernier vin, à tromper les plus fins gourmets.
Le pere Hardouin a eu tort de mettre le vin de Crète au nombre des excellens vins grecs recherchés par les Romains ; il cite pour le prouver une médaille des Cidoniens où Bacchus paroît couronné de pampre. Les Bizantins n’en ont-ils pas fait aussi frapper une semblable aux têtes de Bacchus & de Géta avec de grosses grappes de raisin ; cependant le vin de Constantinople n’a jamais passé pour bon : mais le vin de Crete n’étoit certainement pas en réputation chez les Romains, du-moins sous le siecle d’Auguste. Il ne l’étoit pas plus sous le regne de Trajan : Martial, liv. I. épigr. 103. l’appelloit alors vindemica Cretæ, mulsum pauperis ; & Juvenal, sat. XIV. v. 270. le nomme pingue passum Cretæ ; car il se faisoit de raisins cuits
au soleil, dont on exprimoit une liqueur grasse, épaisse & douçâtre.
Je sais bien que les vins de Candie sont aujourd’hui en réputation, mais nous voyons qu’ils ne l’ont pas toujours été. Les qualités des terres ne sont pas toujours les mêmes, & la culture y apporte souvent des changemens. Pas un des anciens n’a loué le vin de Ténédos, qui est de nos jours un délicieux muscat de l’Archipel. Combien de vignobles renommés dans l’antiquité sont tombés dans le mépris ou dans l’oubli ? On ne connoît plus le vin de Maronée, si vanté du-tems de Pline. Strabon trouvoit le vin de Samos détectable, c’est aujourd’hui un muscat excellent. D’autres vins inconnus aux anciens ont pris leur place ; ou, si l’on veut ; les goûts ont changé ; car nous ne serions pas curieux aujourd’hui d’eau de mer dans aucun des vins grecs.
Mais un goût qui subsiste toujours, est de frapper les vins de glace. Les Romains le faisoient aussi, & aimoient sur-tout à jetter de la neige dans leurs vins, & à passer la liqueur par une espéce de couloir d’argent, que le jurisconsulte Paul appelle colum vinarium.
De plus grands détails sur cette matiere me meneroient trop loin. Je renvoie donc les curieux au savant ouvrage de Baccius, de naturali vinorum historia : de vinis Italiæ, & de conviviis antiquorum, lib. VII. Romæ, 1596, in-fol. & Francof. 1607, in-fol. (Le chevalier de Jaucourt.)
Vin scillitique, voyez Scille, (Mat. méd.)
Vin de Chios, (Litterat.) Arvisium vinum, le meilleur vin de toute la Grece, au jugement des anciens, & qui par cette raison mérite un article particulier. Théopompe, dans Athénée, Deipn. liv. I. dit que ce fut Œnepion fils de Bacchus, qui apprit aux habitans de Chios à cultiver la vigne ; que ce fut dans cette île que se but le premier vin rosé, & que ses habitans montrerent à leurs voisins la maniere de faire le bon vin. Virgile caractérise de nectar celui de Chios : le vin de Chios, dit-il, le vrai nectar des dieux, ne sera point épargné :
Vina novum fundam calatitis Arvisia nectar.
Arvisia est mis là pour Chia, du nom du promontoire de cette île, nommé Arvisium ; mais il semble qu’il vaut mieux lire Ariusia, qu’Arvisia, comme le prétend Casaubon ; en effet, Strabon, liv. XIV. pag. 645. parlant de l’ile de Chio dit : la contrée Ariusienne qui produit le meilleur vin de la Grece, χᾶρα οῖνον ἄριστον φερούσα τῶν ἑλληνίκων. Ce que nous appellons présentement v consonne tenoit lieu de l’u voyelle & de l’v consonne, du tems de Cicéron, comme l’ont prouvé le pere Mabillon, Gronovius & autres savans.
Le quartier nommé Arvisium étoit opposé à la partie de l’ile nommée Psyra. Pline, liv. XIV. chap. vijxjv & xv. parle avec éloge des vins de Chios, Arvisia ou Ariusia vina, & cite Varron, le plus savant des romains, pour prouver qu’on l’ordonnoit à Rome dans les maladies de l’estomac. Varron rapporte aussi qu’Hortensius en avoit laisse plus de dix mille pieces à son héritier. César, ajoute Pline, en regaloit ses amis dans ses triomphes, & dans les festins qu’il donnoit au grand Jupiter & aux autres divinités ; mais Athénée entre dans un plus grand détail sur la nature & sur les qualités des vins de Chios : ils aident, dit-il, à la digestion, ils engraissent, ils sont bienfaisans, & on n’en trouve point de si agréables sur tous ceux du quartier d’Ariuse, où l’on en fait de trois sortes, continue cet auteur ; l’un a tant-soit-peu de cette verdeur qui se convertit en seve, moëlleux, nourrissant, & passant aisément ; l’autre qui n’est pas tout-à-fait sans liqueur, engraisse, & tient le ventre libre ; le der-