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une absence, quand même le premier commerce auroit duré pendant plusieurs mois, & qu’il auroit été aussi intime & aussi fréquent qu’on peut le supposer. Tant que le corps prend de l’accroissement, l’effusion du sang peut se répéter, pourvu qu’il y ait une interruption de commerce assez longue pour donner le tems aux parties de se réunir & de reprendre leur premier état ; & il est arrivé plus d’une fois que des filles qui avoient eu plus d’une foiblesse, n’ont pas laissé de donner ensuite à leur mari cette preuve de leur virginité, sans autre artifice que celui d’avoir renoncé pendant quelque tems à leur commerce illégitime.

Quoique nos mœurs ayent rendu les femmes trop peu sinceres sur cet article, il s’en est trouvé plus d’une qui ont avoué les faits qu’on vient de rapporter ; il y en a dont la prétendue virginité s’est renouvellée jusqu’à quatre & même cinq fois dans l’espace de deux ou trois ans. Il faut cependant convenir que ce renouvellement n’a qu’un tems ; c’est ordinairement de quatorze à dix-sept, ou de quinze à dix-huit ans. Dès que le corps a achevé de prendre son accroissement, les choses demeurent dans l’état où elles sont, & elles ne peuvent paroître différentes qu’en employant des secours étrangers, & des artifices dont nous nous dispenserons de parler.

Ces filles dont la virginité se renouvelle, ne sont pas en si grand nombre que celles à qui la nature a refusé cette espece de faveur ; pour peu qu’il y ait du dérangement dans la santé, que l’écoulement périodique se montre mal & difficilement, que les parties soient trop humides, & que les fleurs blanches viennent à les relâcher, il ne se fait aucun retrécissement, aucun froncement ; ces parties prennent de l’accroissement, mais étant continuellement humectées, elles n’acquierent pas assez de fermeté pour se réunir ; il ne se forme ni caroncules, ni anneau, ni plis ; l’on ne trouve que peu d’obstacles aux premieres approches, & elles se font sans aucune effusion de sang.

Rien n’est donc plus chimérique que les préjugés des hommes à cet égard, & rien de plus incertain que ces prétendus signes de la virginité du corps : une jeune personne aura commerce avec un homme avant l’âge de puberté, & pour la premiere fois, cependant elle ne donnera aucune marque de cette virginité ; ensuite la même personne, après quelques tems d’interruption, lorsqu’elle sera arrivée à la puberté, ne manquera guere, si elle se porte bien, d’avoir tous ces signes, & de répandre du sang dans de nouvelles approches ; elle ne deviendra pucelle qu’après avoir perdu sa virginité ; elle pourra même le devenir plusieurs fois de suite, & aux mêmes conditions ; une autre au contraire, qui sera vierge en effet, ne sera pas pucelle, ou du moins n’en aura pas la même apparence. Les hommes devroient donc bien se tranquilliser sur tout cela, au lieu de se livrer, comme ils le font souvent, à des soupçons injustes, ou à de fausses joies, selon qu’ils s’imaginent avoir rencontré.

Si l’on vouloit avoir un signe évident & infaillible de virginité pour les filles, il faudroit le chercher parmi ces nations sauvages & barbares, qui n’ayant point de sentimens de vertu & d’honneur à donner à leurs enfans par une bonne éducation, s’assurent de la chasteté de leurs filles, par un moyen que leur a suggéré la grossiéreté de leurs mœurs. Les Ethiopiens, & plusieurs autres peuples de l’Afrique ; les habitans du Pégu & de l’Arabie Pétrée, & quelques autres nations de l’Asie, aussi-tôt que leurs filles sont nées, rapprochent par une sorte de couture les parties que la nature a séparées, & ne laissent libre que l’espace qui est nécessaire pour les écoulemens naturels : les chairs adherent peu à peu, à mesure que

l’enfant prend son accroissement, de sorte que l’on est obligé de les séparer par une incision lorsque le tems du mariage est arrivé. On dit qu’ils employent pour cette infibulation des femmes un fil d’amiante, parce que cette matiere n’est pas sujette à la corruption. Il y a certains peuples qui passent seulement un anneau ; les femmes sont soumises, comme les filles, à cet ouvrage outrageant pour la vertu ; on les force de même à porter un anneau ; la seule différence est que celui des filles ne peut s’ôter, & que celui des femmes a une espece de serrure, dont le mari seul a la clé.

Mais pourquoi citer des nations barbares, lorsque nous avons de pareils exemples aussi près de nous ! La délicatesse dont quelques-uns de nos voisins se piquent sur la chasteté de leurs femmes, est-elle autre chose qu’une jalousie brutale & criminelle ?

Quel contraste dans les goûts & dans les mœurs des différentes nations ! quelle contrariété dans leur façon de penser ! Après ce que nous venons de rapporter sur le cas que la plûpart des hommes font de la virginité, sur les précautions qu’ils prennent, & sur les moyens honteux qu’ils se sont avisés d’employer pour s’en assurer, imagineroit-on que d’autres la méprisent, & qu’ils regardent comme un ouvrage servile la peine qu’il faut prendre pour l’ôter ?

La superstition a porté certains peuples à céder les prémices des vierges aux prêtres de leurs idoles, ou à en faire une espece de sacrifice à l’idole même. Les prêtres des royaumes de Cochin & de Calicut jouissent de ce droit ; & chez les Canarins de Goa, les vierges sont prostituées de gré ou de force, par leurs plus proches parens, à une idole de fer ; la superstition aveugle de ces peuples leur fait commettre ces excès dans des vues de religion. Des vues purement humaines en ont engagé d’autres à livrer avec empressement leurs filles à leurs chefs, à leurs maîtres, à leurs seigneurs : les habitans des isles Canaries, du royaume de Congo, prostituent leurs filles de cette façon, sans qu’elles en soient deshonorées : c’est à-peu-près la même chose en Turquie, en Perse, & dans plusieurs autres pays de l’Asie & de l’Afrique, où les plus grands seigneurs se trouvent trop honorés de recevoir de la main de leur maître, les femmes dont il s’est dégoûté.

Au royaume d’Arracan, & aux isles de Philippines, un homme se croiroit deshonoré s’il épousoit une fille qui n’eût pas été déflorée par un autre, & ce n’est qu’à prix d’argent que l’on peut engager quelqu’un à prévenir l’époux. Dans la province de Thibet, les meres cherchent des étrangers, & les prient instamment de mettre leurs filles en état de trouver des maris. Les Lapons préferent aussi les filles qui ont eu commerce avec des étrangers ; ils pensent qu’elles ont plus de mérite que les autres, puisqu’elles ont sçu plaire à des hommes qu’ils regardent comme plus connoisseurs & meilleurs juges de la beauté qu’ils ne le sont eux-mêmes. A Madagascar, & dans quelques autres pays, les filles les plus libertines & les plus débauchées, sont celles qui sont le plutôt mariées ; nous pourrions, conclud M. de Buffon, donner plusieurs autres exemples de ce goût singulier, qui ne peut venir que de la grossiéreté ou de la dépravation de mœurs. (D. J.).

Virginité, (Hist. ecclés.) les peres de l’église parlent de quatre états de filles vierges. Celle de la premiere espece, sans faire de vœu public, consacroient à Dieu leur virginité dans le secret de leur cœur ; elles ne cessoient point pour cela de demeurer dans le sein de leur famille, & elles n’étoient distinguées des autres filles que par leur modestie, soit dans leurs habits, soit dans leur maintien, & par la pratique des vertus chrétiennes. Telles étoient les quatre filles de S. Philippe, l’un des sept premiers