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qu’entiers, il y auroit quelqu’espérance de rassembler toutes les parties du corps, n’ayant pas été confondues ni mélangées dans d’autres corps : mais puisque les cadavres sont presque tous dissous & dissipés, que leurs parties sont mélangées dans d’autres corps, qu’elles s’exhalent en l’air, qu’elles retombent en pluie & en rosée, qu’elles sont imbibées par les racines, qu’elles concourent à la production des graines, des blés & des fruits, d’où par une circulation continuelle elles rentrent dans des corps humains, & redeviennent corps humains ; il se peut faire que par ce circuit presqu’infini la même matiere aura subi plus de différentes métamorphoses, & aura habité plus de corps que ne le fit l’ame de Pythagore. Or elle ne peut être rendue à chacun de ces corps dans la résurrection ; car si elle est rendue aux premiers hommes qui ont existé, comme il paroît juste que cela soit, il n’y en aura plus pour ceux qui sont venus après eux ; & si on la rend à ces derniers, ce sera alors au préjudice de leurs ancêtres. Supposons, par exemple, que les premiers descendans d’Adam ou les hommes des premiers siecles redemandent leurs corps, & qu’ensuite les peuples de chaque siecle successif recherchent aussi les leurs, il arrivera que les neveux d’Adam les plus reculés ou les derniers habitans de la terre auront à peine assez de matiere pour faire des demi-corps[1] ». Voyez Résurrection.

V. Cinquieme pas. Nous voici arrivés au mystere incompréhensible, mais divin, de la Trinité, cet éternel sujet de scandale des Sociniens, cette cause de leur division d’avec les Protestans, ce dogme enfin qu’ils ont attaqué avec tant d’acharnement qu’ils en ont mérité le surnom d’antitrinitaires.

Ils commencerent par renouveller les anciennes hérésies de Paul de Samosate & d’Arius, mais bientôt prétendant que les Ariens avoient trop donné à Jesus-Christ, ils se déclarerent nettement Photiniens & sur-tout Sabelliens ; mais ils donnerent aux objections de ces hérésiarques une toute autre force, & en ajouterent même de nouvelles qui leur sont particulieres : enfin ils n’omirent aucune des raisons qu’ils crurent propres à déraciner du cœur des fideles un dogme aussi nécessaire au salut, & aussi essentiel à la foi & aux bonnes mœurs.

Pour faire connoître leurs sentimens sur ce dogme, il suffit de dire qu’ils soutiennent que rien n’est plus contraire à la droite raison que ce que l’on enseigne parmi les Chrétiens touchant la Trinité des personnes dans une seule essence divine, dont la seconde est engendrée par la premiere, & la troisieme procede des deux autres.

Que cette doctrine inintelligible ne se trouve dans aucun endroit de l’Ecriture.

Qu’on ne peut produire un seul passage qui l’autorise, & auquel on ne puisse, sans s’écarter en aucune façon de l’esprit du texte, donner un sens plus clair, plus naturel, plus conforme aux notions communes, & aux vérités primitives & immuables.

Que soutenir, comme font leurs adversaires, qu’il y a plusieurs personnes distinctes dans l’essence divine, & que ce n’est pas l’éternel qui est le seul vrai Dieu, mais qu’il y faut joindre le Fils & le S. Esprit, c’est introduire dans l’église de J. C. l’erreur la plus grossiere & la plus dangereuse ; puisque c’est favoriser ouvertement le Polythéisme.

Qu’il implique contradiction de dire qu’il n’y a qu’un Dieu, & que néanmoins il y a trois personnes, chacune desquelles est véritablement Dieu.

Que cette distinction, un en essence, & trois en personnes,

n’a jamais été dans l’Ecriture.

Qu’elle est manifestement fausse, puisqu’il est certain qu’il n’y a pas moins d’essences que de personnes, & de personnes que d’essences.

Que les trois personnes de la Trinité sont ou trois substances différentes, ou des accidens de l’essence divine, ou cette essence même sans distinction.

Que dans le premier cas on fait trois dieux.

Que dans le second on fait Dieu composé d’accidens, on adore des accidens, & on métamorphose des accidens en des personnes.

Que dans le troisieme, c’est inutilement & sans fondement qu’on divise un sujet indivisible, & qu’on distingue en trois ce qui n’est point distingué en soi.

Que si on dit que les trois personnalités ne sont ni des substances différentes dans l’essence divine, ni des accidens de cette essence, on aura de la peine à se persuader qu’elles soient quelque chose.

Qu’il ne faut pas croire que les trinitaires les plus rigides & les plus décidés, aient eux mêmes quelque idée claire de la maniere dont les trois hypostases subsistent en Dieu, sans diviser sa substance, & par conséquent sans la multiplier.

Que S. Augustin lui-même, après avoir avancé sur ce sujet mille raisonnemens aussi faux que ténébreux, a été forcé d’avouer qu’on ne pouvoit rien dire sur cela d’intelligible.

Ils rapportent ensuite le passage de ce pere, qui en effet est très-singulier. « Quand on demande, dit-il, ce que c’est que les trois, le langage des hommes se trouve court, & l’on manque de termes pour les exprimer : on a pourtant dit trois personnes, non pas pour dire quelque chose, mais parce qu’il faut parler, & ne pas demeurer muet ». Dictum est tamen tres personæ, non ut aliquid diceretur, sed ne taceretur. De Trinit. l. V. c. ix.

Que les théologiens modernes n’ont pas mieux éclairci cette matiere.

Que quand on leur demande ce qu’ils entendent par ce mot de personne, ils ne l’expliquent qu’en disant que c’est une certaine distinction incompréhensible, qui fait que l’on distingue dans une nature unique en nombre, un Pere, un Fils & un S. Esprit.

Que l’explication qu’ils donnent des termes d’engendrer & de procéder, n’est pas plus satisfaisante ; puisqu’elle se réduit à dire que ces termes marquent certaines relations incompréhensibles qui sont entre les trois personnes de la trinité.

Que l’on peut recueillir delà que l’état de la question entre les orthodoxes & eux, consiste à savoir s’il y a en Dieu trois distinctions dont on n’a aucune idée, & entre lesquelles il y a certaines relations dont on n’a point d’idée non-plus.

De tout cela ils concluent qu’il seroit plus sage de s’en tenir à l’autorité des apôtres, qui n’ont jamais parlé de la trinité, & de bannir à jamais de la religion tous les termes qui ne sont pas dans l’Ecriture, comme ceux de trinité, de personne, d’essence, d’hypostase, d’union hypostatique & personnelle, d’incarnation, de génération, de procession, & tant d’autres semblables, qui étant absolument vuides de sens puisqu’ils n’ont dans la nature aucun être réel représentatif, ne peuvent exciter dans l’entendement que des notions fausses, vagues, obscures & incomplettes, &c.

Voyez le mot Trinité, où ces argumens sont examinés & réduits à leur juste valeur, & où le mystere en lui-même est très-bien exposé. Voyez aussi dans les Nouvelles de la république des lettres de Bayle, ann. 1685, le parallele de la Trinité avec les trois dimensions de la matiere.

VI. Sixieme pas. Sur l’incarnation & la personne de J. C. les Unitaires ne se sont pas moins écartés de la foi pure & sainte de l’Eglise : comme ils avoient détruit le mystere de la trinité, il falloit par une con-

  1. Voyez Thomas Burnet, docteur en. Théologie, & maître de la chartreuse de Londres, dans son traité de statu mortuorum & resurgentium, cap. 9. p. 168 & seq.