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elles n’eussent pas été conduites par les mêmes yeux. Aussi Boerhaave ne manqua pas de perfectionner les méthodes déja établies pour la distribution & la nomenclature des plantes.

En 1722, il fut attaqué d’une violente maladie dont il ne se rétablit qu’avec peine. Il s’étoit exposé, pour herboriser, à la fraîcheur de l’air & de la rosée du matin, dans le tems que les pores étoient tout ouverts par la chaleur du lit. Cette imprudence qu’il recommandoit soigneusement aux autres d’éviter, pensa lui couter la vie. Une humeur goutteuse survint, & l’abattit au point qu’il ne lui restoit plus de mouvement ni presque de sentiment dans les parties inférieures du corps ; la force du mal étoit si grande, qu’il fut contraint pendant long-tems de se tenir couché sur le dos, & de ne pouvoir changer de posture par la violence du rhumatisme goutteux, qui ne s’adoucit qu’au bout de quelques mois, jusqu’à permettre des remedes. Alors M. Boerhaave prit des potions copieuses de sucs exprimés de chicorée, d’endive, de fumeterre, de cresson aquatique & de veronique d’eau à larges feuilles : ce remede lui rendit la santé comme par miracle. Mais ce qui marque jusqu’à quel point il étoit considéré & chéri, c’est que le jour qu’il recommença ses leçons, tous les étudians firent le soir des réjouissances publiques, des illuminations & des feux de joie, tels que nous en faisons pour les plus grandes victoires.

En 1725, il publia, conjointement avec le professeur Albinus, une édition magnifique des œuvres de Vésale, dont il a donné la vie dans la préface.

En 1727, il fit paroître le Botanicon parisiense de Sébastien Vaillant. Il mit à la tête une préface sur la vie de l’auteur & sur plusieurs particularités qui regardent ce livre. On y trouve un grand nombre de choses nouvelles qui ne se rencontrent point dans l’ouvrage de Tournefort. On y voit les caracteres des plantes & les synonymes marqués avec la derniere exactitude. Il y regne encore une savante critique touchant les descriptions, les figures & les noms que les auteurs ont donnés des plantes ; enfin la beauté des planches répond au reste.

En 1728, parut son traité latin des maladies vénériennes, qui fut reçu avec tant d’accueil en Angleterre, qu’on en fit une traduction & deux éditions en moins de trois mois. Le traité dont nous parlons, sert de préface au grand recueil des auteurs qui ont écrit sur cette même maladie, & qui est imprimé à Leyden en deux tom. in-fol.

Vers la fin de 1727, M. Boerhaave avoit été attaqué d’une seconde rechûte presque aussi rude que la premiere de 1722, & accompagnée d’une fievre ardente. Il en prévit de bonne heure les symptomes qui se succéderoient, prescrivit jour-par-jour les remedes qu’il faudroit lui donner, les prit & en rechappa ; mais cette rechûte l’obligea d’abdiquer deux ans après, les chaires de Botanique & de Chimie.

En 1731, l’académie des Sciences de Paris le nomma pour être l’un de ses associés étrangers, & quelque tems après, il fut aussi nommé membre de la société royale de Londres. M. Boerhaave se partagea également entre les deux compagnies, en envoyant à chacune la moitié de la relation d’un grand travail sur le vif-argent, suivi nuit & jour sans interruption pendant quinze ans sur un même feu, d’où il résultoit que le mercure étoit incapable de recevoir aucune vraie altération, ni par conséquent de se changer en aucun autre métal. Cette opération ne convenoit qu’à un chimiste fort intelligent, fort patient & en même tems fort aisé. Il ne plaignit pas la dépense, pour empêcher, s’il est possible, celle où l’on est si souvent & si malheureusement engagé par les alchimistes. Le détail de ses observations à ce sujet se trouve dans l’hist. de l’acad. des Sciences, ann. 1734, &

dans les Trans. philosop. n°. 430, année 1733. On y verra avec quelle méthode exacte, rigide & scrupuleuse, il a fait ses expériences, & combien il a fallu d’industrie & de patience pour y réussir.

La même année 1731, Boerhaave avoit donné, avec le secours de M. Grorenvelt, médecin & magistrat de Leyde, une nouvelle édition des œuvres d’Arétée de Cappadoce ; il avoit dessein de faire imprimer en un corps & de la même maniere, tous les anciens médecins grecs ; mais ses occupations ne lui permirent pas d’exécuter cet utile projet.

En 1732, parurent ses élémens de Chimie, Lugd. Bat. 1732, in-4o. 2 vol. ouvrage qui fut reçu avec un applaudissement universel. Quoique la chimie eût déja été tirée de ces ténebres mystérieuses où elle se retranchoit anciennement, il sembloit néanmoins qu’elle ne se rangeoit pas encore sous les lois générales d’une science réglée & méthodique ; mais M. Boerhaave l’a réduite à n’être qu’une simple physique claire & intelligible. Il a rassemblé toutes les lumieres acquises, & confusément répandues en mille endroits différens, & il en a fait, pour ainsi dire, une illumination bien ordonnée, qui offre à l’esprit un magnifique spectacle. La beauté de cet ouvrage paroit sur-tout dans le détail des procédés, par la sévérité avec laquelle l’auteur s’est astreint à la méthode qu’il s’est prescrite, par son exactitude à indiquer les précautions nécessaires pour faire avec sûreté & avec succès les opérations, & par les corollaires utiles & curieux qu’il en tire continuellement.

Voilà les principaux ouvrages par lesquels Boerhaave s’est acquis une gloire immortelle. Je passe sous silence ses élégantes dissertations recueillies en un corps après sa mort, & quelques uns de ses cours publics sur des sujets importans de l’art, que les célebres docteurs Van-Swieten & Tronchin nous donneront exactement quand il leur plaira. Tous les éleves de ce grand maître ont porté pendant sa vie dans toute l’Europe, son nom & ses louanges. Chacune des trois fonctions médicinales dont il donnoit des leçons, fournissoit un flot qui partoit, & se renouvelloit d’année en année. Une autre foule presque aussi nombreuse venoit de toutes parts le consulter sur des maladies singulieres, rebelles à la médecine commune, & quelquefois même par un excès de confiance, sur des maux incurables ; sa maison étoit comme le temple d’Esculape, & comme l’est aujourd’hui celle du professeur Tronchin à Genève.

Il guérit le pape Benoît XIII. qui l’avoit consulté, & qui lui offrit une grande récompense. Boerhaave ne voulut qu’un exemplaire de l’ancienne édition des opuscules anatomiques d’Eustachi, pour la rendre plus commune, en la faisant réimprimer à Leyde. Enfin son éclatante réputation avoit pénétré jusqu’au bout du monde ; car il reçut un jour du fond de l’Asie, une lettre dont l’adresse étoit simplement, à monsieur Boerhaave, médecin en Europe.

Après cela, on ne sera pas surpris que des souverains qui se trouvoient en Hollande, tels que le czar Pierre I. & le duc de Lorraine aujourd’hui empereur, l’aient honoré de leurs visites Le czar vint pour Boerhaave à Leyde en yacht, dans lequel il passa la nuit aux portes de l’académie, pour être de grand matin chez le professeur, avec lequel il s’entretint assez long-tems. « Dans toutes ces occasions, c’est le public qui entraîne ses maîtres, & les force à se joindre à lui ».

Pendant que ce grand homme étoit couvert de gloire au-dehors, il étoit comblé de considération dans son pays & dans sa famille. Suivant l’ancienne & louable coutume des Hollandois, il ne se détermina au choix d’une femme, qu’après qu’il eût vu sa fortune établie. Il épousa Marie Drolenvaux, & vécut avec elle pendant 28 ans dans la plus grande