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qui sont devenus propres à ce saint. En imitation, l’idée réelle & généralement établie tient lieu de vérité. Ce que j’ai dit de S. Pierre, peut aussi se dire de la figure sous laquelle on représente plusieurs autres saints, & même de celle qu’on donne ordinairement à S. Paul, quoiqu’elle ne convienne pas trop avec le portrait que cet apôtre fait de lui-même ; il n’importe, la chose est établie ainsi. Le sculpteur qui représenteroit S. Paul moins grand, plus décharné, & avec une barbe plus petite que celle de S. Pierre, seroit repris autant que le fut Bandinelli, pour avoir mis à côté de la statue d’Adam qu’il fit pour le dôme de Florence, une statue d’Eve plus haute que celle de son mari. Ces deux statues ne sont plus dans l’église cathédrale de Florence ; elles en ont été ôtées en 1722, par ordre du grand duc Cosme III. pour être mises dans la grande salle du vieux palais. On leur a substitué un groupe que Michel Ange avoit laissé imparfait, & qui représente un Christ descendu de la croix.

Nous voyons par les épîtres de Sidonius Apollinaris, que les philosophes illustres de l’antiquité avoient aussi chacun son air de tête, sa figure & son geste, qui lui étoient propres en peinture. Raphaël s’est bien servi de cette érudition dans son tableau de l’école d’Athènes. Nous apprenons aussi de Quintilien, que les anciens peintres s’étoient assujettis à donner à leurs dieux & à leurs héros, la physionomie & le même caractere que Zeuxis leur avoit donné : ce qui lui valut le nom de législateur.

L’observation de la vraisemblance nous paroit donc, après le choix du sujet, la chose la plus importante d’un tableau. La regle qui enjoint aux peintres, comme aux poëtes, de faire un plan judicieux, d’ordonner & d’arranger leurs idées, de maniere que les objets se debrouillent sans peine, vient immédiatement après la regle qui enjoint d’observer la vraisemblance. Voyez donc Ordonnance, Peinture. (D. J.)

URAMÉA, (Géog. mod.) petite riviere d’Espagne, dans le Guipuscoa. Elle sort des montagnes qui séparent le Guipuscoa de la Navarre, & se perd dans la mer de Basque, à S. Sébastien. (D. J.)

URANA, (Géog. mod.) nom commun à une petite ville de Dalmatie, à un village de Livadie, & à une riviere de l’empire turc en Europe. La ville Urana est sur un petit lac qui porte son nom, entre Zara & Sebennico. Le village est à environ huit milles de Cophissa, dans la plaine de Marathon. On ne prendroit plus ce lieu, qui n’a qu’une dixaine de maisons d’Albinois, pour l’ancienne ville de Brauron, célebre par son temple de Diane Brauronienne. La riviere court dans la Macédoine, & se perd dans la mer Noire. (D. J.)

URANIBOURG, (Géog. mod.) château de Suede, & autrefois du Danemarck, dans la petite île d’Huen ou de Ween, au milieu du détroit du Sund. Long. 30. 22. latit. 55. 54. 5.

Quoique ce château soit ruiné depuis long-tems, le nom en est toujours célebre, à cause de Tycho-Brahé qui le fit bâtir. Le roi de Danemarck Frédéric II. avoit donné à cet illustre & savant gentilhomme l’île de Weene pour en jouir durant sa vie, avec une pension de deux mille écus d’or, un fief considérable en Norwege, & un bon canonicat dans l’église de Roschild.

Cette île convenoit parfaitement aux desseins & aux études de Tycho-Brahé ; c’est proprement une montagne qui s’éleve au milieu de la mer, & dont le sommet plat & uni de tous côtés domine la côte de Scanie & tous les pays d’alentour : ce qui donne un très-bel horison, outre que le ciel y est ordinairement serain, & que l’on y voit rarement des brouillards.

Ticho-Brahé riche de lui-même, & rendu très-opu-

lent par les libéralités de Frédéric, éleva au milieu de l’île son fameux château qu’il nomma Uranibourg, c’est-à-dire, ville du ciel, & l’acheva en quatre années. Il bâtit aussi dans la même île une autre grande maison nommée Stellbourg, pour y loger une foule de disciples & de domestiques ; enfin il y dépensa cent mille écus de son propre bien.

La disposition & la commodité des appartemens d’Uranibourg, les machines & les instrumens qu’il contenoit, le faisoient regarder comme un édifice unique en son genre. Aux environs de ces deux châteaux, on trouvoit des ouvriers de toute espece, une imprimerie, un moulin à papier, des laboratoires pour les observations chimiques, des logemens pour tout le monde, des fermes & des métairies ; tout étoit entretenu aux dépens du maître ; rien n’y manquoit pour l’agrément & pour les besoins de la vie ; des jardins, des étangs, des viviers & des fontaines rendoient le séjour de cette île délicieux. Ressenius en a donné un ample tableau dans ses Inscriptiones Uraniburgicæ, &c.

Ce fut là que Ticho-Brahé imagina le système du monde, qui porte son nom, & qui fut alors reçu avec d’autant plus d’applaudissemens, que la supposition de l’immobilité de la terre contentoit la plûpart des astronomes & des théologiens du xvj. siecle. On n’adopte pas aujourd’hui ce système d’astronomie, qui n’est qu’une espece de conciliation de ceux de Ptolemée & de Copernic ; mais il sera toujours une preuve des profondes connoissances de son auteur. Tycho-Brahé avoit la foiblesse commune d’être persuadé de l’astrologie judiciaire ; mais il n’en étoit ni moins bon astronome, ni moins habile méchanicien.

Non-seulement il vivoit en grand seigneur dans son île, mais il y recevoit des visites des princes mêmes, admirateurs de son savoir. Jacques VI. roi d’Ecosse, & premier du nom en Angleterre, lui fit cet honneur dans le tems qu’il passa en Danemarck pour y épouser la princesse Anne, fille de Frédéric II.

La destinée de Tycho-Brahé fut celle des grands hommes ; il ne put se garantir de la jalousie de ses compatriotes, qui auroient dû être les premiers à l’admirer ; il en fut au contraire cruellement persécuté après la mort du roi son protecteur. Dès l’an 1596, ils eurent le crédit de le dépouiller de son fief de Norwege & de son canonicat de Roschild. Ils firent raser ses châteaux d’Uraniboug & de Stellbourg, dont il ne reste plus rien que dans les livres de ceux qui ont pris le soin de nous en laisser la description.

Obligé de quitter l’ile de Ween en 1597, il vint à Coppenhague pour y cultiver l’astronomie dans une tour destinée à cet usage. On lui envia cette derniere ressource. Les ministres de Christiern IV. qui ne se lassoient point de le persécuter, lui firent défendre par le magistrat de se servir de la tour publique pour faire ses observations.

Privé de tous les moyens de suivre ses plus cheres études en Danemarck, il se rendit à Rostock avec sa famille & plusieurs de ses éleves qui ne voulurent jamais l’abandonner ; ils eurent raison, car bientôt après l’empereur Rodolphe se déclara le protecteur de Tycho-Brahé, & le dedommagea de toutes les injustices de ses concitoyens. Il lui donna une de ses maisons royales en Bohème, aux environs de Prague, & y joignit une pension de trois mille ducats. Tycho-Brahé plein de reconnoissance, s’établit avec sa famille & ses disciples dans ce nouveau palais, & y goûta jusqu’à la fin de ses jours, le repos que son pays lui avoit envié.

Il étoit né en 1546, & mourut en 1601, d’une rétention d’urine que lui avoit causé son respect pour l’empereur, étant avec lui dans son carrosse, qu’il n’avoit osé prier qu’on arrêtât un moment. (Le chevalier de Jaucourt.)