gement est l’acte par lequel notre esprit apperçoit en soi l’existence d’un être, sous telle ou telle relation à telle ou telle modification. Si un être a véritablement en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit ; nous en avons une connoissance vraie : mais notre jugement est faux, si l’être n’a pas en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit. Voyez Proposition.
Une proposition doit être l’image de ce que l’esprit apperçoit par son jugement ; & par conséquent elle doit énoncer exactement ce qui se passe alors dans l’esprit, & montrer sensiblement un sujet déterminé, une modification, & l’existence intellectuelle du sujet sous une relation à cette modification. Je dis existence intellectuelle, parce qu’en effet, il ne s’agit primitivement, dans aucune proposition, de l’existence réelle qui suppose les êtres hors du néant ; il ne s’agit que d’une existence telle que l’ont dans notre entendement tous les objets de nos pensées, tandis que nous nous en occupons. Un cercle quarré, par exemple, ne peut-avoir aucune existence réelle ; mais il a dans mon entendement une existence intellectuelle, tandis qu’il est l’objet de ma pensée, & que je vois qu’un cercle quarré est impossible : les idées abstraites & générales ne sont & ne peuvent être réalisées dans la nature ; il n’existe réellement, & ne peut exister nulle part un animal en général qui ne soit ni homme, ni brute : mais les objets de ces idées factices existent dans notre intelligence, tandis que nous nous occupons pour en découvrir les propriétés.
Or c’est précisément l’idée de cette existence intellectuelle sous une relation à une modification, qui fait le caractere distinctif du verbe ; & de-là vient qu’il ne peut y avoir aucune proposition sans verbe, parce que toute proposition, pour peindre avec fidélité l’objet du jugement, doit exprimer entr’autres choses, l’existence intellectuelle du sujet sous une relation à quelque modification, ce qui ne peut être exprimé que par le verbe.
De-là vient le nom emphatique donné à cette partie d’oraison. Les Grecs l’appelloient ῥῆμα ; mot qui caractérise le pur matériel de la parole, puisque ῥέω, qui en est la racine, signifie proprement fluo, & qu’il n’a reçu le sens de dico que par une catachrese métaphorique, la bouche étant comme le canal par où s’écoule la parole, & pour ainsi dire, la pensée dont elle est l’image. Nous donnons à la même partie d’oraison le nom de verbe, du latin verbum, qui signifie encore la parole prise matériellement, c’est-à-dire en tant qu’elle est le produit de l’impulsion de l’air chassé des poumons & modifié, tant par la disposition particuliere de la bouche, que par les mouvemens subits & instantanées des parties mobiles de cet organe. C’est Priscien (lib. VIII. de verbo init.) qui est le garant de cette étymologie : à verberatu aeris dicitur, quod commune accidens est omnibus partibus orationis. Priscien a raison ; toutes les parties d’oraison étant produites par le même méchanisme, pouvoient également être nommées verba, & elles l’étoient effectivement en latin : mais c’étoit alors un nom générique, au lieu qu’il étoit spécifique quand on l’appliquoit à l’espece dont il est ici question : Præcipuè in hâc dictione quasi proprium ejus accipitur quâ frequentiùs utimur in oratione. (Id. ib.) Telle est la raison que Priscien donne de cet usage : mais il me semble que ce n’est l’expliquer qu’à demi, puisqu’il reste encore à dire pourquoi nous employons si fréquemment le verbe dans tous ces discours.
C’est qu’il n’y a point de discours sans proposition ; point de proposition qui n’ait à exprimer l’objet d’un jugement ; point d’expression de cet objet qui n’énonce un sujet déterminé, une modification
également déterminée, & l’existence intellectuelle du sujet sous une relation à cette modification : or c’est la désignation de cette existence intellectuelle d’un sujet qui est le caractere distinctif du verbe, & qui en fait entre tous les mots, le mot par excellence.
J’ajoute que c’est cette idée de l’existence intellectuelle, qu’entrevoit l’auteur de la grammaire générale dans la signification commune à tous les verbe, & propre à cette seule espece, lorsqu’après avoir remarqué tous les défauts des définitions données avant lui, il s’est arrêté à l’idée d’affirmation. Il sentoit que la nature du verbe devoit le rendre nécessaire à la proposition ; il n’a pas vû assez nettement l’idée de l’existence intellectuelle, parce qu’il n’est pas remonté jusqu’à la nature du jugement intérieur ; il s’en est tenu à l’affirmation, parce qu’il n’a pris garde qu’à la proposition même. Je ferai là-dessus quelques observations assez naturelles.
1°. L’affirmation est un acte propre à celui qui parle ; & l’auteur de la grammaire générale en convient lui-même. (Part. II. c. xiij. édit. 1756.) « Et l’on peut, dit-il, remarquer en passant que l’affirmation, en tant que conçue, pouvant être aussi l’attribut du verbe, comme dans affirmo, ce verbe signifie deux affirmations, dont l’une regarde la personne qui parle, & l’autre la personne de qui on parle, soit que ce soit de soi-même, soit que ce soit d’un autre. Car quand je dis, Petrus affirmat, affirmat est la même chose que est affirmans ; & alors est marque mon Affirmation, ou le jugement que je fais touchant Pierre ; & affirmans, l’affirmation que je conçois & que j’attribue à Pierre ». Or, le verbe étant un mot déclinable indéterminatif, est sujet aux lois de la concordance par raison d’identité, parce qu’il désigne un sujet quelconque sous une idée générale applicable à tout sujet déterminé qui en est susceptible. Cette idée ne peut donc pas être celle de l’affirmation, qui est reconnue propre à celui qui parle, & qui ne peut jamais convenir au sujet dont on parle, qu’autant qu’il existe dans l’esprit avec la relation de convenance à cette maniere d’être, comme quand on dit, Petrus affirmat.
2°. L’affirmation est certainement opposée à la négation : l’une est la marque que le sujet existe sous la relation de convenance à la maniere d’être dont il s’agit ; l’autre, que le sujet existe avec la relation de disconvenance à cette maniere d’être. C’est à-peu-près l’idée que l’on en prendroit dans l’Art de penser. (Part. II. ch.iij.) Je l’étendrois encore davantage dans le grammatical, & je dirois que l’affirmation est la simple position de la signification de chaque mot, & que la négation en est en quelque maniere la destruction. Aussi l’affirmation se manifeste assez par l’acte même de la parole, sans avoir besoin d’un mot particulier pour devenir sensible, si ce n’est quand elle est l’objet spécial de la pensée & de l’expression ; il n’y a que la négation qui doit être exprimée. C’est pour cela même que dans aucune langue, il n’y a aucun mot destiné à donner aux autres mots un sens affirmatif, parce qu’ils le sont tous essentiellement ; il y en a au contraire, qui les rendent négatifs, parce que la négation est contraire à l’acte simple de la parole, & qu’on ne la suppléeroit jamais si elle n’étoit exprimée : malè, non malè ; doctus, non doctus ; audio, non audio. Or, si tout mot est affirmatif par nature, comment l’affirmation peut-elle être le caractere distinctif du verbe ?
3°. On doit regarder comme incomplette, & conséquemment comme vicieuse, toute définition du verbe qui n’assigne pour objet de sa signification, qu’une simple modification qui peut être comprise dans la signification de plusieurs autres especes de mots : or, l’idée de l’affirmation est dans ce cas, puis-