Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle a trouvé enfin l’heureux moyen d’éviter le blâme d’une usure odieuse ; & dès-là contente de l’essentiel qu’on lui accorde, je veux dire l’intérêt compensatoire, le recompensationem damni de S. Thomas, elle abandonne le reste aux discussions de l’école, & laisse les esprits inconséquens disputer sur des mots.

Monts de piété. Les monts de piété sont des établissemens fort communs en Italie, & qui sont faits avec l’approbation des papes, qui paroissent même autorisés par le concile de Trente, sess. XXII. Du reste, ce sont des caisses publiques où les pauvres & autres gens embarrassés, vont emprunter à intérêt & sur gages.

Ces monts de piété ne sont pas usuraires, dit le p. Semelier ; notez bien les raisons qu’il en donne. « Ces monts de piété, dit-il, ne sont pas usuraires, si l’on veut faire attention à toutes les conditions qui s’observent dans ces sortes de prêts.

» La premiere, qu’on n’y prête que de certaines sommes, & que pour un tems qui ne passe jamais un an, afin qu’il y ait toujours des fonds dans la caisse. La seconde, qu’on n’y prête que sur gages, parce que comme on n’y prête qu’à des pauvres, le fonds de ces monts de piété seroit bientôt épuisé, si l’on ne prenoit pas cette précaution… La troisieme, que quand le tems prescrit pour le payement de ce qu’on a emprunté est arrivé, si celui qui a emprunté ne paie pas, on vend les gages ; & de la somme qui en revient on en prend ce qui est dû au mont de piété, & le reste se rend à qui le gage appartient. La quatrieme condition est, qu’outre la somme principale qu’on rend au mont de piété, on avoue qu’on y paie encore une certaine somme. » Conf. p. 299.

Toutes ces dispositions, comme l’on voit, portent le caractere d’une usure odieuse ; on ne prête, dit-on, qu’à des pauvres ; on leur prête sur gages, par conséquent sans risques. On leur prête pour un terme assez court ; & faute de payement à l’échéance, on vend sans pitié, mais non sans perte, le gage de ces misérables : enfin l’on tire des intérêts plus ou moins forts d’une somme inaliénée. Si, comme on nous l’assure, ces pratiques sont utiles & légitimes, & peut-être le sont-elles à bien des égards, l’intérêt légal que nous soutenons l’est infiniment davantage ; il l’est même d’autant plus, que la cause du pauvre y est absolument étrangere.

Notre auteur avoue qu’il se peut glisser « des abus dans les monts de piété ; mais cela n’empêche pas, dit-il, que ces monts, si on les considere dans le but de leur établissement, ne soient très-justes & exemts d’usure. »

Si l’on considere aussi les prêts lucratifs, dans le but d’utilité que s’y proposent tant les bailleurs que les preneurs, quelques abus qui peuvent s’y glisser n’empecheront pas que la pratique n’en soit juste & exempte d’usure.

Du reste, voici le principal abus qu’on appréhende pour les monts de piété, qu’on appelle aussi Lombars. On craint beaucoup que les usuriers n’y placent des sommes sans les aliéner ; & c’est ce que l’on empêche autant que l’ont peut, en n’y recevant guere que des sommes à constitution de rente ; ce qui éloigne, dit le P. Semelier, tous les soupçons que l’on forme contre cet établissement, de donner lieu aux usuriers de prêter à intérêt.

Mais qu’importe au pauvre qui emprunte au mont de piété, que l’argent qu’il en tire, vienne d’un constituant, plutôt que d’un prêteur à terme. Sa condition en est-elle moins dure ? Sera-t-il moins tenu de payer un intérêt souvent plus que légal, à gens impitoyables, qui ne donneront point de repit ; qui faute de payement vendront le gage sans quartier, & causeront tout-à-coup trente pour cent

de perte à l’emprunteur ? combien d’usuriers qui sont plus traitables ! L’avantage du pauvre qui a recours au Lombar, étant d’y trouver de l’argent au moindre prix que faire se peut, au-lieu d’insister dans un tel établissement pour avoir de l’argent de constitution, il seroit plus utile pour le pauvre de n’y admettre s’il étoit possible, que des sommes prêtées à terme, par la raison qu’un tel argent est moins cher & plus facile à trouver. Mais, dit-on, c’est que l’un est bon & que l’autre est mauvais, c’est que l’un est permis, & que l’autre est défendu. Comme si le bien & le mal en matiere de négoce, ne dépendoit que de nos opinions ; comme si en ce genre, le plus & le moins de nuisance ou d’utilité, n’étoient pas la raison constituante, & la mesure invariable du juste & de l’injuste.

Enfin on nous dit d’après Leon X. que si dans les monts de piété « on reçoit quelque chose au-delà du principal, ce n’est pas en vertu du prêt, c’est pour l’entretien des officiers qui y sont employés, & pour les dépenses qu’on est obligé de faire…… Ce qui n’a, dit-on, aucune apparence de mal, & ne donne aucune occasion de peché. » Ibid. p. 300. D’honnêtes usuriers diront, comme Leon X. qu’ils ne prennent rien en vertu du prêt, mais seulement pour faire subsister leur famille au moyen d’un négoce où ils mettent leurs soins & leurs fonds ; négoce d’ailleurs utile au public, autant ou plus que celui des monts de piété, puisque nos usuriers le font à des conditions moins dures.

Mais n’allons pas plus loin sans remarquer un cercle vicieux, où tombent nos adversaires, quand ils veulent prouver le prétendu vice de l’usure légale.

Les canonistes prétendent, « avec St. Thomas, que les lois positives ne défendent si fortement l’usure, que parce qu’elle est un péché de sa nature, & par elle-même. » Conf. eccl. p. 477. Dare pecuniam mutuo ad usuram non ideò est peccatum quia est prohibitum, sed potiùs ideò est prohibitum, quia est secundum se peccatum ; est enim contra justitiam naturalem. Thom. quest. 13. de malo. art. iv. Sur cela voici la refléxion qui se présente naturellement.

L’usure n’étant prohibée, comme ils le disent, que sur la supposition qu’elle est un peché de sa nature, quia est secundùm se peccatum, sur la supposition qu’elle est un péché de sa nature, quia est secundum se peccatum ; sur la supposition qu’elle est contraire au droit naturel, quia est contra justitiam naturalem ; s’il est une fois bien prouvé que cette supposition est gratuite, qu’elle n’a pas le moindre fondement ; en un mot s’il est démontré que l’usure n’est pas injuste de sa nature, que devient une prohibition qui ne porte que sur une injustice imaginaire ? c’est ce que nous allons examiner.

Le contrat usuraire, ou le prêt lucratif, n’attaque point la divinité ; les hommes l’ont imaginé pour le bien de leurs affaires, & cette négociation n’a de rapport qu’à eux dans l’ordre de l’équité civile. Dieu ne s’y intéresse que pour y maintenir cette équité précieuse, cette égalité si nécessaire d’un mutuel avantage ; or je l’ai prouvé ci-devant, & je le repete ; on trouve cette heureuse propriété dans le prêt lucratif, en ce que d’une part le créancier ne fait à l’emprunteur que ce qu’il accepte pour lui-même ; raison à laquelle je n’ai point encore vû de reponse, & que de l’autre, chacun y profite également de sa mise.

La mise de l’emprunteur est son industrie, cela n’est pas contesté ; mais une autre vérité non moins certaine, c’est que la mise du prêteur est une industrie encore plus grande. On ne considere pas que le sac de mille louis qu’il a livré, renferme peut-être