une plus grande quantité de verdet. Voici la maniere dont il faut procéder, quand on a tiré les lames du vase, & qu’on les a mises au relais ; on verse tout-de-suite trois pots de vin sur les grappes pour préparer une nouvelle fermentation ; lorsque cette fermentation est au point requis, on place dans le même vase les cent lames de cuivre qu’on a réservées, que l’on retire, & que l’on met au relais quand elles sont couvertes de verdet ; alors on verse de nouveau du vin sur les grappes, pour préparer une nouvelle dissolution.
On observera encore que quand on fait une grande quantité de verd-de-gris, comme certains particuliers qui en ont jusqu’à cinq cens pots, il faut mettre dans de grandes auges ou dans de grands tonneaux, à un coin de la cave, toute la vinasse qu’on a tirée des vases (nous avons dit quel étoit l’usage de cette vinasse), soit pour faire macérer les grappes, soit pour imbiber les pots neufs, ou pour tremper les lames quand elles sont au relais, ou pour pétrir le verdet.
On ne jette la vinasse que quand elle est devenue claire, & qu’elle n’a presque plus de force.
Les particuliers après avoir raclé & ramassé le verd-de-gris, le mettent dans des sacs de toile, & le portent au poids du roi devant l’inspecteur, pour juger s’il est de la qualité requise, c’est-à-dire s’il n’est pas trop humide, & s’il n’est point mêlé avec de corps étrangers ; puis ils le vendent à des marchands commissionnaires, qui le préparent avant de l’envoyer. Pour cet effet ils font pêtrir le verd-de-gris dans de grandes auges avec de la vinasse, & ensuite ils le font mettre dans des sacs de peau blanche, qu’on expose à l’air pour les faire sécher ; cette matiere pêtrie & serrée dans ces sacs s’y durcit à un tel point, qu’elle ne forme qu’une seule masse. On range ensuite ces sacs dans de grands tonneaux avec de la paille ; on les y serre & presse bien, & on les envoie dans différens pays, & principalement en Hollande.
Huit onces de verd-de-gris, tel qu’on le porte aux marchands, & préparé avec le cuivre neuf, & mouillé pendant qu’il étoit au relais avec la vinasse, exposé au soleil pendant trois ou quatre jours, jusqu’à ce qu’il ait pu se mettre en poudre, ont été réduites à quatre onces par la perte qu’elles ont faite de l’eau surabondante que contient l’acide du vin & d’un peu d’huile inflammable. Ces quatre onces mises dans une cornue de verre à laquelle on avoit ajusté un ballon, ayant été distillées au feu de sable, j’en ai retiré un esprit acide qui a pesé deux onces & demie d’une odeur forte & nauséabonde, paroissant huileux ; cet acide est ce que les chimistes appellent l’acide radical ou esprit de vénus, qui est extremement concentré, le cuivre lui communiquant une odeur désagréable, & me semble encore plus de volatilité. Ce vinaigre ou acide radical est un bon dissolvant de terres absorbantes. J’ai retiré de ce qui a resté dans la cornue, & qui pesoit une once & demie par le moyen du flux noir & exposé au feu de forge pendant une heure dans un creuset bien fermé, un bouton de cuivre qui a pesé une once deux gros : ce qui démontre que huit onces de verd-de-gris préparé comme je l’ai dit plus haut, contiennent en dissolution une once & deux gros de cuivre.
On appelle verdet distillé les crystaux retirés d’une teinture bien chargée de verd-de-gris ordinaire faite dans l’esprit de vinaigre, filtrée, évaporée & crystallisée (cette dissolution s’appelle teinture de vénus). Ces crystaux qui forment pour l’ordinaire des lozanges ou des rhombes, sont de toute beauté & fort transparens. On m’a assuré qu’on les fabriquoit à Grenoble, & que l’artiste en faisoit un secret, & qu’il avoit beaucoup gagné à cette préparation. On sait que tout dépend dans la plûpart des opérations chimiques, d’un tour de main que le bon chimiste
praticien attrappe par le long usage de travailler. Je pense que tout le mystere de cette opération est de dissoudre dans du bon vinaigre distillé le plus de verdet que faire se pourra, de bien filtrer cette dissolution, & de la faire évaporer lentement dans un vaisseau de verre un peu large à la chaleur de l’atmosphere, & de laisser crystalliser dans le même endroit, & prendre bien garde qu’il n’y tombe des ordures. J’ai réussi moi-même à avoir de cette maniere de très beaux crystaux. Les chimistes appellent ces crystaux crystaux de vénus ou de verdet, les peintres & les marchands leur ont donné le nom de verdet distillé ; ils sont fort employés dans la peinture tant à la détrempe qu’à l’huile. A la détrempe on les emploie mêlés avec le sucre candi pour illuminer des estampes, surtout celles où il y a beaucoup de feuillages. A l’huile il est employé avec succès pour donner un beau verd aux chaises à porteur & autres meubles. Sa couleur est durable ; seulement elle noircit un peu avec le tems.
L’emploi du verd-de-gris qu’on prépare à Montpellier se borne pour l’usage de la Médecine à l’extérieur ; les Chirurgiens s’en servent quelquefois comme d’un escarotique pour manger les chairs qui débordent & qui sont calleuses, en en saupoudrant la partie malade. Dans ce cas il faut que le verdet soit bien sec & réduit en poudre pour qu’il agisse, ayant perdu alors toute son eau surabondante : on l’emploie encore avec succès dans des collyres officinaux pour les yeux. Il entre dans le collyre de Lanfranc, dans le baume verd de Metz, dans l’onguent égyptiac & des apôtres, & dans les emplâtres divins & manus Dei.
La grande consommation du verd-de-gris se fait pour la teinture & la peinture ; en France on l’emploie beaucoup pour peindre en vert à l’huile les portes & les fenetres des maisons de campagne. On s’en sert encore dans les maisons pour peindre les portes & certains meubles ; mais le grand emploi du verdet se fait en Hollande & dans quelques autres pays du Nord. Les Hollandois s’en servent pour peindre en vert toutes les portes & les murs de clôture de leurs jardins qui sont faits tout en bois tant à la ville qu’à la campagne. La quantité de verd-de-gris que nous envoyons dans ce pays est prodigieuse ; on m’a assuré que le grand usage qu’on fait encore en Hollande du verd-de-gris, c’est pour teindre les chapeaux en noir. Enfin, un fameux teinturier de cette ville m’a dit qu’il n’employoit le verd-de-gris qu’à une seule teinture, savoir pour teindre en noir les étoffes de laine. C’est une chose bien particuliere, que les Chimistes ayent ignoré jusqu’aujourd’hui que le verd-de-gris qui est un sel neutre, & qui a pour base le cuivre, donne le noir aux étoffes, & qu’ils ayent été persuadés qu’il n’y avoit que le fer qui peut donner un beau noir. J’ai remarqué moi-même que l’encre ordinaire tenue un certain tems dans un écritoire de cuivre, devenoit plus noire ; même le noir des chauderons de cuivre est aussi fort brillant & fort beau.
On se sert encore du verdet ordinaire comme du verdet distillé pour colorer des estampes, du papier, &c. Voici la maniere dont on le prépare : on fait dissoudre du verd-de-gris dans une dissolution de crystal de tartre faite avec l’eau de pluie. Cette dissolution de crême de tartre dissout très-bien le verd-de-gris, & les deux dissolutions colorent très-bien le papier, & lui donnent quand il est bien sec un luisant qui paroît brillanté ; cela vient du tartre qui s’est crystallisé sur le papier, & le verd est plus ou moins foncé, selon qu’on a chargé la dissolution du tartre de verd-de-gris. Article de M. Montet, maître apoticaire, & membre de la société royale des Sciences de Montpellier.