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La santé de ce grand homme fut toujours ferme & égale jusqu’à l’âge de 80 ans ; alors il commença à être incommodé d’une incontinence d’urine, qui l’attaqua par intervalles ; mais il y remédioit par le régime, & ne souffrit beaucoup que dans les derniers 20 jours de sa vie. On jugea surement qu’il avoit la pierre ; cependant, dans des accès de douleurs si violens que les gouttes de sueur lui en couloient sur le visage, il conserva toujours sa patience, son courage & sa gaieté ordinaire. Il lut encore les gazettes le 18 Mars, & s’entretint long-tems avec le docteur Mead ; mais le soir il perdit absolument la connoissance, & ne la reprit plus, comme si les facultés de son ame n’avoient été sujettes qu’à s’éteindre totalement, & non pas à s’affoiblir. Il mourut le lundi suivant 20 Mars, âgé de 85 ans.

Son corps fut exposé sur un lit de parade, dans la chambre de Jérusalem, endroit d’où l’on porte au lieu de leur sépulture, les personnes du plus haut rang, & quelquefois les têtes couronnées. On le porta dans l’abbaye de Westminster, le poêle étant soutenu par le lord grand chancelier, par les ducs de Montrose & Roxburgh, & par les comtes de Pembrocke, de Sussex, & de Maclesfield. Ces six pairs d’Angleterre qui firent cette fonction solemnelle, font assez juger quel nombre de personnes de distinction grossirent la pompe funebre. L’évêque de Rochester fit le service, accompagné de tout le clergé de l’église. Le corps fut enterré près de l’entrée du chœur. Il faudroit remonter chez les anciens grecs, si l’on vouloit trouver des exemples d’une aussi grande vénération pour le savoir. La famille de M. Newton a encore imité la Grece de plus près, par un monument qu’elle lui a fait élever en 1731, & sur lequel on a gravé cette épitaphe :

H. S. E. Isaacus Newton, eques auratus : qui animi vi prope divinâ planetarum motus, figuras, cometarum semitas, Oceanique æstus, suâ mathesi facem præferente, primus demonstravit. Radiorum lucis dissimilitudines, colorumque indè nascentium proprietates, quas nemo suspicatus erat, pervestigavit. Naturæ, antiquitatis, S. scripturæ, sedulus, sagax, interpres. Dei O. M. majestatem philosophiâ aperuit. Evangelii simplicitatem moribus expressit. Sibi gratulentur mortales tale tantumque extitisse humani generis decus. Natus xxv. Dec. A. D. M. DC. XLII. Obiit Mart. xx. M. DCC. XXVI.

M. Newton avoit la taille médiocre, avec un peu d’embonpoint dans ses dernieres années. On n’appercevoit dans tout l’air & dans tous les traits de son visage, aucune trace de cette sagacité & de cette pénétration qui regnent dans ses ouvrages. Il avoit plutôt quelque chose de languissant dans son regard & dans ses manieres, qui ne donnoit pas une fort grande idée de lui à ceux qui ne le connoissoient point. Il étoit plein de douceur, & d’amour pour la tranquillité. Sa modestie s’est toujours conservée sans altération, quoique tout le monde fût conjuré contre elle. Il ne regnoit en lui nulle singularité, ni naturelle, ni affectée. Il étoit simple, affable, & ne se croyoit dispensé ni par son mérite, ni par sa réputation, d’aucun des devoirs du commerce ordinaire de la vie.

Quoiqu’il fût attaché à l’église anglicane, il jugeoit des hommes par les mœurs, & les non-conformistes étoient pour lui, les vicieux & les méchans. L’abondance où il se trouvoit, par un grand patrimoine & par son emploi, augmentée encore par sa sage économie, lui offroit les moyens de faire du bien, & ses actes de libéralité envers ses parens, comme envers ceux qu’il savoit dans le besoin, n’ont été ni rares, ni peu considérables. Quand la bienséance exigeoit de lui en certaines occasions, de la dépense

& de l’appareil, il étoit magnifique, & de bonne grace. Hors delà tout faste étoit retranché dans sa maison, & les fonds reservés à des usages plus solides. Il ne s’est point marié, & a laissé en biens meubles, environ 32 mille livres sterling, c’est-à-dire 700 mille livres de notre monnoie.

Le docteur Pemberton nous apprend que le chevalier Newton avoit lu beaucoup moins de mathématiciens modernes qu’on ne le croiroit. Il condamnoit la méthode de traiter les matieres géométriques par des calculs algébraïques ; & il donna à son traité d’algebre, le titre d’Arithmétique universelle, par opposition au titre peu judicieux de Géométrie, que Descartes a donné au traité dans lequel il enseigne comment le géometre peut s’aider de cette sorte de calculs, pour pousser ses découvertes. Il louoit Slusius, Barrow & Huyghens, de ne se laisser point aller au faux goût qui commençoit alors à prévaloir, Il donnoit aussi des éloges au dessein qu’avoit formé Hugues d’Omérique, de remettre l’ancienne analyse en vigueur ; & il estimoit beaucoup le livre d’Apollonius, De sectione rationis, parce qu’il y donne une idée plus claire de cette analyse qu’on ne l’avoit auparavant.

M. Newton faisoit un cas particulier du génie de Barrow pour les découvertes, & du style d’Huyghens, qu’il regardoit comme le plus élégant écrivain parmi les mathématiciens modernes. Il fut toujours grand admirateur de leur goût, & de leur maniere de démontrer. Il témoigna souvent son regret d’avoir commencé ses études mathématiques par les ouvrages de Descartes & d’autres algébristes, avant que d’avoir lu les écrits d’Euclide avec toute l’attention que cet auteur méritoit.

M. Leibnitz ayant proposé aux Anglois comme un défi, la solution du fameux problème des trajectoires, cette solution ne fut presque qu’un jeu pour M. Newton. Il reçut ce problème à quatre heures du soir, & le résolut dans la même journée.

Au retour de la paix stipulée par le traité d’Utrecht, le parlement se proposa d’encourager la navigation par des récompenses, & M. Newton ayant été consulté sur la détermination des longitudes, il remit à ce sujet, à un commité de la chambre des communes, le mercredi 2 Juin 1714, le petit mémoire dont voici la traduction.

« On fait divers projets pour déterminer la longitude sur mer, qui sont vrais dans la théorie, mais très-difficiles dans la pratique.

« Un de ces projets a été d’observer le tems exactement, par le moyen d’une horloge ; mais jusqu’à présent on n’a pu faire encore d’horloge qui ne se dérangeât point par l’agitation du vaisseau, la variation du froid & du chaud, de l’humidité & de la sécheresse, & par la différence de la pesanteur en différentes latitudes.

« D’autres ont essayé de trouver la longitude, par l’observation des éclipses des satellites de Jupiter ; mais jusqu’à présent on n’a pu réussir à les observer sur mer, tant à cause de la longueur des télescopes dont on a besoin, qu’à cause du mouvement du vaisseau.

« Une troisieme méthode a été de découvrir la longitude par le lieu de la lune ; mais on ne connoît pas encore assez la théorie de cette planete pour cela. On peut bien s’en servir pour déterminer la longitude à deux ou trois degrés près, mais non à un degré.

La quatrieme méthode est le projet de M. Ditton ; cette méthode est plutôt bonne pour tenir registre de la longitude sur mer, que pour la trouver lorsqu’on l’auroit une fois perdue, ce qui peut arriver aisément dans un tems couvert. Ceux qui entendent la marine, sont le mieux en état de ju-