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tage réel à l’église, & à la religion chrétienne. 3°. L’imposition du célibat à quelqu’ordre de personnes que ce soit, est injuste & contraire à la loi de Dieu. 4°. Il n’a jamais été prescrit ni pratiqué universellement dans l’ancienne église.

Une des principales raisons alléguées par les partisans du célibat des prêtres, est qu’il y a une sorte d’indécence & d’impureté dans l’acte du mariage, qui fait qu’il est peu convenable à un prêtre de passer des bras de sa femme à l’administration des choses saintes ; desorte que comme le clergé de l’église chrétienne en administre journellement les sacremens, & offre à Dieu les sacrifices de louanges & d’actions de graces au nom de tout le peuple, ou du moins qu’il doit être toujours prêt & en état de le faire, ceux qui le composent doivent par pureté s’abstenir toujours des devoirs du mariage. Tel a été le grand argument en faveur du célibat, & celui que les papes & les conciles ont employé depuis le tems d’Origene jusqu’à nos jours ; mais le bon sens dissipera bientôt les lueurs trompeuses d’un raisonnement qui n’est fondé que sur les écarts de l’imagination échauffée.

En effet, si par cette indécence & cette impureté qu’on trouve dans l’usage du mariage, l’on entend une indécence & une impureté morale, l’on s’abuse certainement, & l’on adopte alors l’opinion ridicule des Marcionites & des Encratites condamnée par les conciles même. Que si l’on veut parler d’une impureté physique, celle là ne rend pas un homme moins propre au service de Dieu, ni ne doit l’exclure davantage de l’exercice des fonctions sacrées, qu’aucune autre de la nature humaine. Enfin, quand l’on supposeroit contre la raison qu’une impureté physique de cette espece auroit quelque chose d’indécent pour un ecclésiastique ; elle seroit infiniment moins à craindre qu’une turpitude morale à laquelle les prêtres sont nécessairement exposés par un célibat forcé, que la nature désavoue.

M. Wharton établit dans la partie historique de son traité, que l’on regarda le célibat des prêtres comme une chose indifférente dans les deux premiers siecles, qu’on le proposa dans le troisieme, qu’or le releva dans le quatrieme, qu’on l’ordonna en quelques endroits dans le cinquieme, d’une maniere néanmoins infiniment différente de la doctrine & de la discipline présente de l’Eglise romaine ; que quoiqu’il fut prescrit dans quelques provinces de l’occident, on ne l’observoit pas généralement partout. Qu’au bout de quelques siecles, cet usage s’abolit, ce joug parut insupportable, & que le mariage prévalut universellement, jusqu’à ce qu’il fut condamne & défendu par les papes du onzieme siecle ; que leurs décrets & leurs canons demeurerent néanmoins sans effet par l’opposition générale de toute l’église, & que dans la suite plusieurs papes & un concile universel de l’église Romaine permirent le mariage aux ecclésiastiques ; que durant tout ce tems là, le célibat n’a jamais été ordonné ni pratiqué dans l’église orientale depuis le siecle des apôtres ; qu’au contraire, la loi à cet égard a été rejettée par un concile de l’église universelle, condamnée par un autre, & n’a même eu lieu dans l’occident, que lorsque l’ambition des papes & leurs usurpations les ayant rendus maîtres de la disposition de tous les grands bénéfices, la pauvreté devint l’apanage des ecclésiastiques mariés, ce qui les engagea à renoncer volontairement à l’union conjugale, environ deux cens ans avant la réformation.

Voici maintenant les faits qui composent la partie historique de l’ouvrage de M. Wharton ; il les déduit avec beaucoup d’ordre & de recherches.

On voit d’abord, dit-il, en remontant aux apôtres, que plusieurs d’entr’eux ont été mariés. Le fait

n’est pas contesté par rapport à S. Pierre ; & Clément d’Alexandrie, Strom. l. III. p. 448. assure que Philippe & S. Paul l’ont été pareillement. « Condamneront-ils aussi les apôtres, dit-il ? car Pierre & Philippe ont eu des enfans, & ce dernier a marié ses filles. Paul, dans une de ses épîtres, ne fait point difficulté de parler de sa femme, qu’il ne menoit pas avec lui, parce qu’il n’avoit pas besoin de beaucoup de service ». Divers martyrologes du ixe siecle nomment une sainte Pétronille vierge, fille de S. Pierre.

L’histoire ecclésiastique des trois premiers siecles, parle souvent d’évêques & d’autres prélats mariés. Denys d’Alexandrie, cité par Eusebe, hist. eccles. l. VI. c. xlij. parle d’un évêque d’Egypte nommé Cheremont, qui pendant la persécution de Decius, fut obligé de s’enfuir en Arabie avec sa femme. Eusebe, l. VIII. c. ix. fait encore mention d’un évêque nommé Philée, qui souffrit le martyre sous Dioclétien, & que le juge exhortoit à avoir pitié de sa femme & de ses enfans. S. Cyprien devoit être marié, puisque Pontius, qui a écrit sa vie, dit que sa femme ne put jamais le détourner d’embrasser le Christianisme. Il est vrai qu’en même tems on vit des évêques & des docteurs donner au célibat les eloges les plus outrés : éloges qui firent une vive impression sur un grand nombre d’ecclésiastiques ; de-là vient que le concile d’Elvire en Espagne, tenu vers l’an 305, ordonne généralement aux évêques, aux prêtres & aux diacres qui sont dans le service, de s’abstenir de leurs femmes.

Le concile de Nicée, assemblé en 325, justifie la nouveauté du célibat des ecclésiastiques. Socrate rapporte que les évêques ayant résolu de faire une nouvelle loi, νόμον νεαρον, par laquelle il seroit ordonné que les évêques, les prêtres & les diacres se sépareroient des femmes qu’ils avoient épousées lorsqu’ils n’étoient que laïcs ; comme l’on prenoit les opinions, Paphnuce, évêque d’une ville de la haute-Thébaïde, se leva au milieu des autres évêques, & élevant sa voix, dit qu’il ne falloit point imposer un si pesant joug aux clercs & aux prêtres, que le mariage est honorable, & que le lit nuptial est sans tache ; qu’une trop grande sévérité pourroit être nuisible à l’église ; que tout le monde n’est pas capable d’une continence si parfaite, & que les femmes ne garderoient peut-être pas la chasteté (il appelloit chasteté, dit l’historien, l’usage du mariage contracté selon les lois) ; qu’il suffisoit que ceux qui avoient été admis dans le clergé ne se mariassent plus, sans que l’on obligeât ceux qui s’étoient mariés étant laïcs à quitter leurs femmes. Paphnuce soutint cet avis sans aucune partialité ; car non-seulement il n’avoit jamais été marié, & même il n’avoit jamais eu connoissance d’aucune femme, ayant été élevé dès son enfance dans un monastere, & s’y étant fait admirer par sa singuliere chasteté. Tous les évêques se rendirent à son sentiment, & sans délibérer davantage, laisserent l’affaire en la liberté de ceux qui étoient mariés.

Il est encore certain que dans le même concile de Nicée, se trouvoit Spiridion, évêque de Trimite en Chypre, qui avoit femme & enfans. Sozomene, l. I. c. xj. & Socrate, l. I. c. xij. le disent. Un concile arien tenu à Arles en 353, défendit d’admettre aux ordres sacrés un homme marié, à moins qu’il ne promît la conversion de sa femme : ce qui fait voir qu’il s’agit d’une femme païenne. Le concile de Gangres en Paphlagonie, assemblé vers l’an 370, condamna Eustatbe, évêque, lequel soutenoit qu’on ne devoit pas communier de la main des prêtres mariés.

On trouve encore vers la fin du quatrieme siecle, d’illustres évêques mariés, entr’autres Grégoire, évêque