Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/729

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la fleur de la beauté, & lui donne une couleur sombre & des traits grossiers ; ce qui est pis encore, les actions cruelles de ces peuples, leurs jalousies furieuses, leur aveugle rage, & leur vengeance barbare, allument sans cesse leurs esprits ardens. L’amour, les doux regards, la tendresse, les charmes de la vie, les larmes du cœur, l’ineffable délire de la douce humanité n’habitent point dans ce séjour ; toutes ces choses sont des fruits de plus doux climats. Là tout est confondu dans le desir brutal & dans la fureur sauvage des sens ; les animaux mêmes brûlent d’un horrible feu.

Le serpent d’un verd effrayant, sortant à midi de son repaire sombre, que l’imagination craint de parcourir, déploie tout son corps dans les orbes immenses ; s’élançant alors de nouveau, il cherche la fontaine rafraichissante auprès de laquelle il quitte ses plis, & tandis qu’il s’éleve avec une langue menaçante & des machoires mortelles, ce monstre dresse sa crête enflammée. Tous les autres animaux, malgré leur soif, fuient effrayés & tremblans, ou s’arrêtent à quelque distance, n’osant approcher.

Aussi-tôt que le jour pur a fermé son œil sacré, le tigre s’élance avec fureur, & fixe ses regards sur sa proie ; l’ornement du désert, le vif & brillant léopard, tacheté de différentes couleurs, méprise aussi tous les artifices que l’homme invente pour l’apprivoiser. Tous ces animaux indomptables sortent des bois inhabités de la Mauritanie ou des îles qui s’élevent au milieu de la sauvage Libye. Ils admirent leur roi hérissé, qui marchant avec des rugissemens impérieux, laisse sur le sable la trace de ses pas. Les troupeaux domestiques sont saisis de frayeur à l’approche de ces monstres. Le village éveillé tressaillit, & la mere presse son enfant sur son sein palpitant. Le captif échappé de l’antre du pirate & des fers du fier tyran de Maroc, regrette ses chaînes, pendant que les cris font retentir les déserts depuis le mont Atlas jusqu’au Nil effrayé.

Malheureux celui qui séparé des plaisirs de la société, est laissé seul au milieu de cette région d’horreur & de mort. Tous les jours il s’assied tristement sur la pointe de quelque rocher, & regarde la mer agitée, espérant que de quelque rivage éloigné où la vague forme un tourbillon, il découvrira des vaisseaux qu’il se trace dans les nuages. Le soir il tourne un œil triste au coucher du soleil, & son cœur mourant sans secours, se plonge dans la tristesse, quand le rugissement accoutumé vient se joindre au sifflement continuel, pendant la nuit, si longue & si terrible.

Souvent les élémens furieux semblent porter dans cette aride zone, le démon de la vengeance. Un vent suffoquant souffle une chaleur insupportable de la fournaise immense du firmament, & de la vaste & brillante étendue du sable brûlant. Le voyageur est frappé d’une atteinte mortelle. Le chameau, fils du désert, accoutumé à la soif & à la fatigue, lent son cœur percé & desseché par ce souffle de feu.

Mais c’est principalement sur la mer & sur ses vagues flexibles que l’orage exerce son cruel empire. Dans le redoutable Océan, dont les ondes flottent sous la ligne qui entoure le globe, le typhon tournoie d’un tropique à l’autre, & le terrible ecnéphia regne ; des vents rugissans, des flammes & des flots combattant, se précipitent & se confondent en masse. Tout l’art du navigateur est inutile. Opprimé par le destin rapide, son vaisseau boit la vague, s’enfonce, & se perd dans le sein du sombre abysme. Gama combattit contre une semblable tempête pendant plusieurs jours & plusieurs nuits, voguant sans cesse autour du cap orageux, conduit par une ambition hardie, & par la soif encore plus hardie de l’or.

Le requin, antropophage, accroît la terreur

de cette tempête ; il paroît avec ses mâchoires armées d’une triple défense ; attiré par l’odeur des morts & des mourans, il fend les vagues irritées aussi promptement que le vent porte le vaisseau ; il demande sa part de la proie aux associés de ce cruel voyage, qui va priver de ses enfans la malheureuse Guinée : le destin orageux obéit, la mort enveloppe les tyrans & les esclaves ; à l’instant leurs membres déchirés lui servent de pâture ; il teint la mer de sang, & se livre à ce repas vengeur.

Le soleil regarde tristement ce monde noyé par les pluies équinoxiales ; il en attire l’odeur infecte, & il naît un million d’animaux destructifs de ces marécages mal-sains où la putréfaction fermente. Dans l’ombre des bois, retraite affreuse, enveloppée de vapeurs & de corruption, & dent la sombre horreur ne fut jamais pénétrée par le plus téméraire voyageur ; la terrible puissance des maladies pestilencielles établit son empire. Des millions de démons hideux l’accompagnent, & flétrissent la nature affoiblie ; fléau terrible, qui souffle sur les projets des hommes, & change en une désolation complette les plus hautes espérances de leur orgueil. Tel fut dans ces derniers tems le désastre qui altéra la nation britannique, prête à réduire Carthagène.

Faut-il que je raconte la rigueur de ces climats, où la peste, cette cruelle fille de la déesse Némésis, descend sur les villes infortunées. Cette destructrice du monde est née des bois empoisonnés de l’Ethiopie, des matieres impures du grand Caire, & des champs infectés par des armées de sauterelles, entassées & putréfiées. Les animaux échappent à sa terrible rage ; l’homme intempéré, l’homme seul lui sert de proie. Elle attire un nuage de mort sur sa coupable demeure, que des vents tempérés & bienfaisans ont abandonnée : ce nuage est taché par le soleil d’un mélange empoisonné, & cet astre se montre lui-même sous un aspect irrité.

Tout alors n’est que désastre. La sagesse majestueuse détourne son œil vigilant ; l’épée & la balance tombent des mains de la justice, désormais sans fonctions ; on n’entend plus le bruit du travail ; les rues sont désertes & l’herbe y croît tristement. Les demeures agréables des hommes se changent en des lieux pires que des déserts ; rien ne se montre, hormis peut-être quelque malheureux, qui frappé de frénésie, brise ses liens, & s’échappe de la maison fatale, séjour funeste de l’horreur, & fermée par la crainte barbare : cet infortuné pousse des cris au ciel & l’accuse d’inhumanité. La triste porte qui n’est pas encore infectée craint de tourner sur ses gonds ; elle abhorre la société, les enfans, les amis, les parens ; l’amour lui-même, éteint par le malheur, oublie le tendre lien & les doux engagemens du cœur sensible. Mais sa tendresse même est inutile ; le firmament & l’air qui anime tout, sont semés des traits de la mort ; chacun à son tour frappé, tombe dans des tourmens solitaires, sans secours, sans derniers adieux, & sans que personne le pleure. Ainsi le noir desespoir étend son aîle funèbre sur la ville terrassée, tandis que pour achever la scène de désolation, les gardes inéxorables dispersés tout-au-tour, refusent toute retraite, & donnent une mort plus douce au malheureux qui fuit.

Ce ne sont pas là tous les désastres de l’intempérie des élémens brûlans. La fureur d’un ciel d’airain, les champs de fer, la sécheresse, n’offrent pour moisson que la faim & la soif. La montagne en convulsion, pousse des colonnes de flamme, allumées par la triple rage de la torche du midi, qui produit le tremblement de terre. Ce dernier fléau se forme dans le monde souterrein ; il frappe, ébranle, renverse sans effort les villes les plus célebres, & fait sortir du fond des mers de nouvelles îles couvertes de