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seins impénétrables, lisez l’ode XII. de ses Olympiques : « Conservatrice des états, dit-il, fille de Jupiter, Fortune, je vous invoque ; c’est vous qui sur mer guidez le cours des vaisseaux, qui sur terre présidez dans les combats & dans les conseils. A votre gré, les espérances des hommes, tantôt élevées & tantôt rampantes, roulent sans cesse, & passent rapidement de chimeres en chimeres. Aucun mortel n’a jamais découvert vos démarches. Des ténebres impénétrables cachent le sort que vous préparez ; & les événemens que vous méditez tournent toujours au rebours de nos opinions, &c. »

Il étoit difficile que des morceaux de poésie semblables à ceux que nous avons cités de Pindare & d’Horace, morceaux que les Grecs, les Romains chantoient avec enthousiasme, n’entretinssent dans les esprits une vénération singuliere pour la Fortune, indépendamment des temples sans nombre, des médailles, des statues, des inscriptions publiques perpétuellement renouvellées en l’honneur de cette déesse. Aussi, comme tout publioit sa grandeur & sa puissance, tous les peuples encensoient avidement ses autels pour se la rendre favorable. Les seuls Lacédémoniens l’invoquoient rarement, & ce n’étoit encore qu’en approchant la main de sa statue, en gens qui cherchoient ses faveurs avec assez d’indifférence, qui se défioient, avec raison, de son instabilité, & qui tâchoient, à tout événement, de se consoler de ses outrages, & de se mettre à l’abri de ses revers.

S’ils n’étoient pas toujours heureux,
Ils savoient au-moins être sages.

FOURBISSURE, s. f. (Art. méch.) la fourbissure en latin furvus, ou furvor, selon M. Huet, de l’anglois to furbish, fourbir ; selon Kinner, de l’allemand farb, couleur, & farben, mettre en couleur ; & selon Ignez, de furben, qui dans la langue des francs signifie nettoyer, polir, est en effet non-seulement l’art de polir & rendre luisant toute espece d’armes, telles que les lances, dagues, haches, masses, épieux, pertuisannes, hallebardes, couteaux, poignards, épées, &c. & quantité d’autres armes blanches offensives & défensives, mais encore celui de les fabriquer, vendre & débiter.

L’art de fourbir, selon plusieurs auteurs, paroît fort ancien ; quoi qu’on ne puisse déterminer exactement le tems de son origine, on pourroit vraissemblablement la faire remonter à la nécessité que les hommes avoient de se défendre d’abord contre la férocité des animaux, & ensuite contre leurs semblables ; l’intérêt & l’ambition des nations n’en ont été que trop sans doute le principal motif ; les historiens sacrés & profanes parlent beaucoup des armes des héros de l’antiquité la plus reculée, & s’accordent assez sur leur beauté & leur poli, preuve que l’on s’appliquoit beaucoup à leur perfection.

Anciennement on appelloit indifféremment fourbisseurs tous ceux qui travailloient aux armes qui ne formoient alors qu’une profession ; mais depuis l’invention des nouvelles armes, en quantité, & de différente espece, cet art prit plusieurs branches ; on le divise maintenant en quatre parties, la premiere est la fourbissure, qui consiste dans la fabrique des armes blanches offensives & défensives, comme épées, sabres, hallebardes, lances, &c. la deuxieme est l’armurerie, qui consiste dans la fabrique des armures, especes d’armes blanches défensives, comme casques, cuirasses, boucliers & autres ; la troisieme est l’arquebuserie, qui consiste dans la fabrique de toute sorte d’arquebuses espece d’armes à feu inventées depuis ces derniers siecles, tels que les fusils, pistolets, mousquets & autres ; la quatrieme enfin est l’art de faire des canons d’arquebuse, & l’autre dans

la fonte des gros canons, mortiers, bombes, & autre grosse artillerie.

On divise la fourbissure en deux parties : l’une est la connoissance des différens métaux, & l’art de les travailler ; l’autre est la maniere d’en fabriquer toutes sortes d’ouvrages propres à cet art.

Des métaux. Les métaux que l’on emploie le plus communément dans la fourbissure sont l’acier, le fer, le cuivre, l’argent & l’or, l’acier quelquefois seul, & quelquefois mêlé avec le fer qu’on appelle alors étoffe, s’emploie le plus communément aux lames, les autres métaux, comme plus rares & moins propres aux lames, sont réservés pour les gardes, soit en partie, soit par incrustement, selon leur rareté, quelquefois enrichis de brillans & autres pierres précieuses.

Les lames faites pour trancher, couper, piquer ou percer, sont de deux sortes : les unes sont élastiques, & les autres non élastiques ; les unes servent ordinairement aux épées, sabres, fleurets, &c. les autres aux couteaux, lances, piques, hallebardes & autres ; leur bonté en général dépend non-seulement de la qualité du fer & de l’acier que l’on emploie pour les composer, mais encore de la maniere de les mélanger, selon les différentes especes de lames que l’on veut faire ; ce mélange est d’autant plus nécessaires pour les rendre bonnes, que premierement le fer étant mou & pliant, n’auroit pas seul assez de roideur pour donner aux unes de l’élasticité, & en même tems de la fermeté, & aux autres une fléxibilité jointe à une force capable de résister aux efforts auxquels elles sont sujettes ; deuxiemement, que l’acier étant dur & cassant, seroit seul trop roide & trop sujet à casser pour les unes & pour les autres ; c’est pourquoi ces deux métaux joints ensemble, procurent en même tems, & comme de concert, la perfection convenable aux lames.

Ce mélange se fait de deux manieres, la premiere en mêlant indifféremment l’un & l’autre ensemble, moitié par moitié ce qu’on appelle étoffe, ce qui se fait en les corroyant tous deux ensemble, à différentes reprises ; cette dose doit cependant varier selon la qualité des métaux, & la roideur que l’on veut donner aux lames, car un acier trop fier & trop roide a besoin d’un peu plus de fer pour l’amolir, lui donner du ressort, & l’empêcher de casser ; un fer mou & filandreux, a besoin d’un peu plus d’acier pour lui donner du corps ; la deuxieme se fait ainsi, on commence d’abord par forger la lame en fer, voyez la fig. 1. & lui donner à-peu-près la forme qu’elle doit avoir ; étant faite, on fend ensuite le fer sur son champ, en formant sur la longueur une entaille ou fente AA capable de contenir environ le tiers ou la moitié de la largeur d’une lame d’acier A A, fig. 2. en forme de couteau que l’on y insinue à froid, lorsque le fer est chaud, comme le représente la fig. 3. je dis à froid, parce que la masse d’acier étant plus petite que celle du fer, & recevant aussi par la nature plus promptement la chaleur, il est nécessaire que l’un soit froid & l’autre chaud, sans quoi l’acier se brûleroit, lorsque le fer ne seroit pas encore assez chaud pour souder ; il faut observer d’ailleurs en les faisant chauffer tous deux à la forge, de les y disposer de maniere qu’ils ne prennent pas plus de chaleur l’un que l’autre, surtout l’acier qui auroit alors beaucoup plus de difficulté que le fer à reprendre fermeté ; on corroie ensuite le tout ensemble d’un bout à l’autre, & de cette maniere le taillant de cette lame se trouve en acier, & le dos en fer qui lui donne tout le corps & la fermeté qu’elle exige.

Des ouvrages. Les ouvrages de fourbissure étoient déja fort en usage chez les anciens, la nécessité qu’ils ayoient de se préserver des irruptions de leurs enne-