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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 2.djvu/137

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grand desordre dans sa cavalerie, lorsqu’elle vient au coup de main. Si l’infanterie reste dans la même disposition, elle favorise toûjours le retour de la cavalerie, ou elle marche pour attaquer en flanc l’infanterie ennemie de la premiere ligne qu’elle déborderoit.

Il faut observer, en mettant en bataille la premiere ligne, de laisser aux deux ailes de cavalerie des intervalles assez spacieux pour ne rien déplacer devant l’ennemi, lorsque l’infanterie de la réserve vient s’y porter. Le général doit faire reconnoître de fort près les flancs de l’armée ennemie pour les déborder, les entamer, & les replier sur le centre, rien n’est plus avantageux, & ne décide plus promptement de la victoire ; l’ennemi ne peut plus s’étendre, ni disposer du terrein dont il étoit le maître, il s’y voit resserré : les troupes n’y combattent plus qu’avec contrainte, ne se reconnoissant plus dans la mêlée, & ne cherchent qu’à se faire jour pour se sauver.

Lorsqu’on a pénétré la ligne par quelque endroit, il est très à propos de faire avancer dans le même moment des troupes de la seconde ligne, s’il n’y en a pas du corps de réserve qui soient à portée pour partager l’ennemi, & profiter de cet avantage par la supériorité, sans quoi on lui donne le tems de se rallier & de réparer les desordres où il se trouve. Il faut absolument conserver un grand ordre dans tous les avantages que l’on remporte, afin d’être plus en état de jetter la terreur dans les troupes ennemies, & empêcher leur ralliement ; la disposition doit être faite de maniere, que si la premiere ligne étoit pénétrée, la seconde puisse la secourir, observant toûjours les intervalles nécessaires pour faire agir les troupes, & les former derriere celles qui seront en ordre : on doit attaquer la bayonnette au bout du fusil, les troupes qui ont pénétré la premiere ligne, les prendre de front, & par leurs flancs, afin de les renverser, & remplir à l’instant le même terrein qu’elles occupoient ; c’est dans des coups si importans, que les officiers généraux les plus proches doivent animer par leur présence cette action, & faire couler des troupes de ce côté-là, pour les former sur plusieurs lignes, & rendre inutile l’entreprise de l’ennemi. Un général a bien lieu d’être content des officiers qui ont prévenu & arrêté ce premier desordre par leur diligence & leur valeur.

Il faut que le corps de réserve soit à portée de remplacer les troupes aux endroits où elles auront été prises, afin que l’ennemi ne voie rien de dérangé, & qu’il trouve par-tout le bon ordre & la même résistance.

Les commandans des régimens doivent avoir des officiers sur les ailes & au centre, pour contenir les soldats, & les avertir, que le premier qui se dérangera de sa troupe pour fuir ou autrement, sera tué sur le champ, afin que personne ne puisse sortir de son rang : avec cette précaution, on se présente toûjours à l’ennemi avec beaucoup d’ordre.

Dans un jour de bataille, le poste du général ne doit pas être fixé ; il est obligé de se porter dans les endroits où sa présence est utile, soit pour surprendre l’ennemi par quelques attaques, soit pour secourir une droite, une gauche ou le centre, qui commenceroient à s’ébranler ; ou faire avancer des troupes pour réparer ce qui seroit dérangé, parcourir la premiere ligne, y animer les troupes, & en même tems jetter le coup d’œil sur les forces & la situation de l’ennemi, pour en découvrir le foible, & en profiter par des détachemens que l’on fait marcher.

Tous les lieutenans généraux & maréchaux de

camp doivent être aux postes marqués par l’ordre de bataille, pour conduire les troupes des ailes & du centre de l’armée ; les brigadiers à la tête de leurs brigades pour les faire mouvoir suivant les ordres qu’ils en reçoivent, ou l’occasion ; & lorsque dans l’action ils sont partagés par un mouvement brusque de l’ennemi, ils doivent prendre sur le champ le parti de se faire jour, rejoindre leurs troupes, ou de se jetter dans quelque poste, pour empêcher l’ennemi de pénétrer plus loin : par ces démarches hardies & faites à propos, on répare le desordre qui peut être arrivé.

Le major général de l’infanterie, ses aides-majors, le maréchal-de-logis de l’armée, de la cavalerie, des dragons, & le major de l’artillerie, doivent tous suivre le général pour porter ses ordres, & les faire exécuter promptement ; le capitaine des guides doit aussi l’accompagner pour conduire les troupes, & lui expliquer la situation du pays. Les colonels, lieutenans-colonels, majors de brigades, aides-majors des régimens, doivent tous avoir une grande attention de se tenir à leur troupe, & de faire observer un grand silence pour bien entendre le commandement, & le faire exécuter dans l’instant même. C’est une chose essentielle pour bien combattre l’ennemi & le prévenir dans ses démarches.

Dans le tems même que l’on fait une disposition pour combattre, tout le canon de l’armée doit se placer par brigade devant la premiere ligne, & autant qu’il est possible devant l’infanterie aux endroits les plus élevés, pour faire feu sur tout le front de l’armée ennemie. Lorsque toutes les lignes s’ébranlent pour charger, l’on peut se servir de petites pieces dans les intervalles de l’infanterie, pour faire des décharges à portée de l’ennemi, & rompre son premier rang ; après cette décharge, les officiers d’artillerie les font rentrer aussi-tôt dans l’intervalle des deux lignes, pour les faire recharger, & les avancer lorsqu’on leur ordonne.

Il est très-important que les officiers généraux expliquent à ceux qui commandent les troupes sous eux, ce qu’ils doivent faire pour attaquer l’ennemi, suivant la disposition que le général a réglée, afin que dans une affaire de cette conséquence, tout agisse & soit animé du même esprit, & qu’au cas que quelques officiers généraux fussent tués ou blessés, on fût toûjours en état de suivre le même ordre pour combattre. Il faut aussi que l’on sache, en cas de besoin, le lieu de la retraite, & l’ordre pour se rallier de nuit ; ce sont des choses trop importantes pour les oublier.

On doit observer, lorsque les troupes vont au combat, de ne pas permettre que les officiers des régimens détachent des soldats des compagnies pour la garde de leurs équipages ; on y laisse au plus les éclopés, & les valets pour en avoir soin, avec un détachement de l’armée : mais lorsqu’on prévoit une action, il faut absolument renvoyer au moins les gros bagages sous une place, pour ne pas s’affoiblir inutilement ». Observations sur l’Art de faire la guerre suivant les maximes des plus grands généraux.

Le succès des batailles ne dépend pas toûjours de l’habilité du général, & il lui est difficile de se trouver par-tout pour donner les ordres qui peuvent être nécessaires.

« Lorsque deux armées s’ébranlent pour se charger, dit M. le maréchal de Puységur, dans son livre de l’Art de la guerre, que peut faire le général ? courra-t-il le long de la ligne, ou restera-t-il en place ? il n’a pour lors d’autre avantage sur les officiers généraux inférieurs, que celui de commander par préférence les troupes qui sont sous sa