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anciens des édifices ou publics ou particuliers. Les bains publics ont été en usage en Grece & à Rome : mais les Orientaux s’en servirent auparavant. La Grece connoissoit les bains chauds dès le tems d’Homere, comme il paroît par divers endroits de l’Odyssée ; & ils étoient ordinairement joints aux gymnases ou palestres, parce qu’en sortant des exercices on prenoit le bain. Vitruve a donné une description fort détaillée de ces bains, par laquelle il paroît qu’ils étoient composés de sept pieces différentes, la plûpart détachées les unes des autres, & entremêlées de quelques pieces destinées aux exercices. Ces sept pieces étoient : 1°. le bain froid, frigida lavatio, en Grec λουτρὸν : 2°. l’elæothesium, c’est-à-dire, la chambre où l’on se frottoit d’huile ; 3°. le lieu de rafraîchissement, frigidarium ; 4°. le propnigeum, c’est-à-dire l’entrée ou le vestibule de l’hypocaustum ou du poelle ; 5°. l’étuve voutée pour faire suer, ou le bain de vapeur, appellé tepidarium ; 7°. le bain d’eau chaude, calida lavatio, auxquels il faudroit joindre l’apodyterion, ou garde-robe, si toutefois ce n’est pas la même chose que le tepidarium.

Quant aux bains détachés des palestres, il résulte de la description qu’en fait Vitruve : 1°. que ces bains étoient ordinairement doubles, les uns pour les hommes, les autres pour les femmes ; du moins chez les Romains, qui en ce point avoient plus consulté les bienséances, que les Lacédémoniens, chez qui les deux sexes se baignoient pêle-mêle : 2°. que les deux bains chauds se joignoient de fort près, afin qu’on pût échauffer par un même fourneau, les vases de l’un & de l’autre bain : 3°. que le milieu de ces bains étoit occupé par un grand bassin, qui recevoit l’eau par divers tuyaux, & dans lequel on descendoit par le moyen de quelques degrés ; ce bassin étoit environné d’une balustrade, derriere laquelle régnoit une espece de corridor, schola, assez large, pour contenir ceux qui attendoient que les premiers venus sortissent du bain : 5°. que les deux étuves, appellées laconicum & tepidarium, étoient jointes ensemble : 6°. que ces lieux étoient arrondis au compas, afin qu’ils reçussent également à leur centre la force de la vapeur chaude, qui tournoit & se répandoit dans toute leur cavité : 7°. qu’ils avoient autant de largeur que de hauteur jusqu’au commencement de la voûte, au milieu de laquelle on laissoit une ouverture pour donner du jour, & on y suspendoit avec des chaînes un bouclier d’airain, qu’on haussoit ou baissoit à volonté, pour augmenter ou diminuer la chaleur ; 8°. que le plancher de ces étuves étoit creux & suspendu pour recevoir la chaleur de l’hypocauste, qui étoit un grand fourneau maçonné dessous, que l’on avoit soin de remplir de bois & d’autres matieres combustibles, & dont l’ardeur se communiquoit aux étuves à la faveur du vuide qu’on laissoit sous leurs planchers : 9°. que ce fourneau servoit non-seulement à échauffer les deux étuves, mais aussi une autre chambre appellée vasarium, située proche de ces mêmes étuves & des bains chauds, & dans laquelle étoient trois grands vases d’airain, appellés milliaria à cause de leur capacité ; l’un pour l’eau chaude, l’autre pour la tiede, & le troisieme pour la froide. De ces vases partoient des tuyaux qui correspondant aux bains, y portoient par le moyen d’un robinet l’eau, suivant les besoins de ceux qui se baignoient.

A l’égard de l’arrangement ou disposition de ces divers appartemens des bains, voici ce qu’on en sait : on y voyoit d’abord un grand bassin ou vivier appellé en grec κολυμϐηθρὰ, en latin natatio & piscina, qui occupoit le côté du nord, & où l’on pouvoit non-seulement se baigner, mais même nager très-commodément. Les bains des particuliers avoient quelquefois de ces piscines, comme il paroît par ceux de Pline & de Ciceron. L’édifice des bains étoit ordinairement

exposé au midi, & avoit une face très-étendue, dont le milieu étoit occupé par l’hypocauste, qui avoit à droite & à gauche une suite de quatre pieces semblables des deux côtés, & disposées de maniere qu’on pouvoit passer facilement des unes dans les autres. Ces pieces nommées en général balnearia, étoient celles que nous avons décrites ci-dessus. La salle du bain chaud étoit une fois plus grande que les autres, à cause du grand concours du peuple qui y abordoit, & du long séjour qu’on y faisoit d’ordinaire.

Les anciens prenoient ordinairement le bain avant souper, & il n’y avoit que les voluptueux qui se baignassent à la suite de ce repas. Au sortir du bain, ils se faisoient frotter d’huiles ou d’onguens parfumés par des valets nommés alyptæ ou unctuarii. Les bains, si on en croit Pline, ne furent en usage à Rome que du tems de Pompée ; dès lors les édiles eurent soin d’en faire construire plusieurs. Dion, dans la vie d’Auguste, rapporte que Mecene fit bâtir le premier bain public : mais Agrippa, dans l’année de son édilité, en fit construire cent soixante & dix. A son exemple, Neron, Vespasien, Tite, Domitien, Severe, Gordien, Aurelien, Diocletien, & presque tous les empereurs, qui chercherent à se rendre agréables au peuple, firent bâtir des étuves & des bains avec le marbre le plus précieux, & dans les regles de la plus belle architecture, où ils prenoient plaisir à se baigner avec le peuple : on prétend qu’il y avoit jusqu’à 800 de ces édifices répandus dans tous les quartiers de Rome.

La principale regle des bains étoit d’abord de ne les ouvrir jamais avant deux ou trois heures après midi, ensuite ni avant le soleil levé, ni après le soleil couché. Alexandre Severe permit pourtant qu’on les tint ouverts la nuit dans les grandes chaleurs de l’été, & ajoûta même la libéralité à la complaisance, en fournissant l’huile qui brûloit dans les lampes. L’heure de l’ouverture des bains étoit annoncée au son d’une espece de cloche : le prix qu’il falloit payer pour entrer aux bains étoit très-modique, ne montant qu’à la quatrieme partie d’un as, nommée quadrans ; ce qui valoit à peu près un liard de notre monnoie. Le bain gratuit étoit au nombre des largesses que les empereurs faisoient au peuple à l’occasion de quelque réjoüissance publique : mais aussi dans les calamités on avoit soin de lui retrancher cette commodité, ainsi que le plaisir des spectacles. (G)

* Tout se passoit dans les bains avec modestie : les bains des femmes étoient entierement séparés de ceux des hommes ; & ç’auroit été un crime, si l’un des sexes avoit passé dans le bain de l’autre. La pudeur y étoit gardée jusqu’à ce scrupule, que même les enfans puberes ne se baignoient jamais avec leurs peres, ni les gendres avec leurs beaux-peres. Les gens qui servoient dans chaque bain, étoient du sexe auquel le bain étoit destiné. Mais quand le luxe & la vie voluptueuse eurent banni la modestie, & que la débauche se fut glissée dans toute la ville, les bains n’en furent pas exempts. Les femmes s’y mêlerent avec les hommes, & il n’y eut plus de distinction ; plusieurs personnes de l’un & l’autre sexe n’y alloient même que pour satisfaire leur vûe, ou cacher leurs intrigues : ils y menoient des esclaves ou servantes, pour garder les habits. Les maîtres des bains affectoient même d’en avoir de plus belles, les uns que les autres, pour s’attirer un plus grand nombre de chalans.

Tout ce que les magistrats purent faire d’abord, ce fut de défendre à toutes personnes de se servir de femmes ou de filles pour garder les habits, ou pour rendre les autres services aux bains, à peine d’être notées d’infamie. Mais l’empereur Adrien défendit absolument ce mêlange d’hommes & de femmes sous de rigoureuses peines. Marc Aurele & Alexandre Severe confirmerent cette même loi ; & sous leur regne,