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ouvrages de Mentius, de Confucius surnommé le Socrate de la Chine, & de plusieurs autres, dont elle colla les feuilles contre le mur de sa maison, où elles resterent jusqu’à la mort du tyran.

C’est par cette raison que ces ouvrages passent pour être les plus anciens de la Chine, & sur-tout ceux de Confucius pour qui ce peuple a une extrème vénération. Ce philosophe laissa neuf livres qui sont, pour ainsi dire, la source de la plûpart des ouvrages qui ont paru depuis son tems à la Chine, & qui sont si nombreux, qu’un seigneur de ce pays (au rapport du P. Trigault) s’étant fait Chrétien, employa quatre jours à brûler ses livres, afin de ne rien garder qui sentît les superstitions des Chinois. Spizellius dans son livre de re litteraria Sinensium, dit qu’il y a une bibliotheque sur le mont Lingumen de plus de 30 mille volumes, tous composés par des auteurs Chinois, & qu’il n’y en a guere moins dans le temple de Venchung, proche l’Ecole royale.

Il y a plusieurs belles bibliotheques au Japon ; car les voyageurs assûrent qu’il y a dans la ville de Narad un temple magnifique qui est dédié à Xaca, le sage, le prophete, & le législateur du pays ; & qu’auprès de ce temple les bonzes ou prêtres ont leurs appartemens, dont un est soûtenu par 24 colonnes, & contient une bibliotheque remplie de livres du haut en bas.

Tout ce que nous avons dit est peu de chose en comparaison de la bibliotheque qu’on dit être dans le monastere de la Sainte-Croix, sur le mont Amara en Ethiopie. L’histoire nous dit qu’Antoine Brieus & Laurent de Crémone furent envoyés dans ce pays par Grégoire XIII. pour voir cette fameuse bibliotheque, qui est divisée en trois parties, & contient en tout dix millions cent mille volumes, tous écrits sur de beau parchemin, & gardés dans des étuis de soie. On ajoûte que cette bibliotheque doit son origine à la reine de Saba, qui visita Salomon, & reçut de lui un grand nombre de livres, particulierement ceux d’Enoch sur les élémens, & sur d’autres sujets philosophiques, avec ceux de Noé sur les sujets de Mathématique & sur le Rit sacré ; & ceux qu’Abraham composa dans la vallée de Mambré, où il enseigna la Philosophie à ceux qui l’aiderent à vaincre les rois qui avoient fait prisonnier son neveu Lot, avec les livres de Job, & d’autres que quelques-uns nous assûrent être dans cette bibliotheque, aussi bien que les livres d’Esdras, des Sibylles, des Prophetes & des grands prêtres des Juifs, outre ceux qu’on suppose avoir été écrits par cette reine & par son fils Mémilech, qu’on prétend qu’elle eut de Salomon. Nous rapportons ces opinions moins pour les adopter, que pour montrer que de très-habiles gens y ont donné leur créance, tels que le P. Kircher. Tout ce qu’on peut dire des Ethiopiens, c’est qu’ils ne se soucient guere de la littérature profane, & par conséquent qu’ils n’ont guere de livres Grecs ni Latins sur des sujets historiques ou philosophiques ; car ils ne s’appliquent qu’à la littérature sacrée, qui fut d’abord extraite de livres Grecs, & ensuite traduite dans leur langue. Ils sont schismatiques & sectateurs d’Eutychès & de Nestorius. Voyez Eutychiens, Nestoriens.

Les Arabes d’aujourd’hui ne connoissent nullement les lettres : mais vers le dixieme siecle, & sur-tout sous le regne d’Almanzor, aucun peuple ne les cultivoit avec plus de succès qu’eux.

Après l’ignorance qui régnoit en Arabie avant le tems de Mahomet, le calife Almamon fut le premier qui fit revivre les sciences chez les Arabes : il fit traduire en leur langue un grand nombre des livres qu’il avoit forcé Michel III. empereur de Constantinople, de lui laisser choisir de sa bibliotheque & par tout l’empire, après l’avoir vaincu dans une bataille.

Le roi Manzor ne fut pas moins assidu à cultiver les lettres. Ce grand prince fonda plusieurs écoles & bibliotheques publiques à Maroc, où les Arabes se vantent d’avoir la premiere copie du code de Justinien.

Eupennas dit que la bibliotheque de Fez est composée de 32 mille volumes ; & quelques-uns prétendent que toutes les décades de Tite-Live y sont, avec les ouvrages de Pappus d’Alexandrie, fameux Mathématicien ; ceux d’Hippocrate, de Galien, & de plusieurs autres bons auteurs, dont les écrits ou ne sont pas parvenus jusqu’à nous, ou n’y sont parvenus que très-imparfaits.

Selon quelques voyageurs il y a à Gaza une autre belle bibliotheque d’anciens livres, dans la plûpart desquels on voit des figures d’animaux & des chiffres, à la maniere des Egyptiens ; ce qui fait présumer que c’est quelque reste de la bibliotheque d’Alexandrie.

Il y a une bibliotheque à Damas, où François Rosa de Ravenne trouva la philosophie mystique d’Aristote en Arabe, qu’il publia dans la suite.

On a vû par ce que nom avons dejà dit, que la bibliotheque des empereurs Grecs n’a point été conservée, & que celle des sultans est très-peu de chose ; ainsi ce qu’on trouve à cet égard dans Baudier, & d’autres auteurs qui en racontent des merveilles, ne doit point prévaloir sur le récit simple & sincere qu’ont fait sur le même sujet les savans judicieux qu’on avoit envoyés à Constantinople, pour tenter s’il ne seroit pas possible de recueillir quelques lambeaux de ces précieuses bibliotheques. D’ailleurs, le mépris que les Turcs en général ont toûjours témoigné pour les sciences des Européens, prouve assez le peu de cas qu’ils feroient des auteurs Grecs & Latins : mais s’ils les avoient eus en leur possession, on ne voit pas pourquoi ils auroient refusé de les communiquer à la requisition du premier prince de l’Europe.

Il y avoit anciennement une très-belle bibliotheque dans la ville d’Ardwil en Perse, où résiderent les Mages, au rapport d’Oléarius dans son Itinéraire. La Boulaye le Goux dit que les habitans de Sabea ne se servent que de trois livres, qui sont le livre d’Adam, celui du Divan, & l’Alcoran. Un écrivain Jésuite assûre aussi avoir vû une bibliotheque superbe à Alger.

L’ignorance des Turcs n’est pas plus grande que n’est aujourd’hui celle des Chrétiens Grecs, qui ont oublié jusqu’à la langue de leurs peres, l’ancien Grec. Leurs évéques leur défendent la lecture des auteurs Payens, comme si c’étoit un crime d’être savant ; de sorte que toute leur étude est bornée à la lecture des actes des sept synodes de la Grece, & des œuvres de saint Basile, de saint Chrysostome, & de saint Jean de Damas. Ils ont cependant nombre de bibliotheques, mais qui ne contiennent que des manuscrits, l’impression n’étant point en usage chez eux. Ils ont une bibliotheque sur le mont Athos, & plusieurs autres où il y a quantité de manuscrits, mais très-peu de livres imprimés. Ceux qui voudront savoir quels sont les manuscrits qu’on a apportés de chez les Grecs en France, en Italie, & en Allemagne, & ceux qui restent encore à Constantinople entre les mains de particuliers, & dans l’île de Pathmos, & les autres îles de l’Archipel. dans le monastere de sainte Basile à Caffa, anciennement Théodosia, dans la Tartarie Crimée, & dans les autres états du grand-Turc, peuvent s’instruire à fond dans l’excellent traité du pere Possevin, intitulé apparatus sacer, & dans la relation du voyage que fit M. l’abbé Sevin à Constantinople en 1729 : elle est insérée dans les Mémoires de l’Académie des Belles-Lettres, tome VII.

Le grand nombre des bibliotheques, tant publiques que particulieres, qui font aujourd’hui un des principaux ornemens de l’Europe, nous entraîneroit dans un dé-