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tés de celui au sort de qui ils tomberent lors du pillage de la bibliotheque de Muley Cydam, roi de Fez & de Maroc, quand les Espagnols prirent la forteresse de Carache où étoit cette bibliotheque. C’est du moins ce qu’assûre Pierre Daviti, dans sa généalogie des rois de Maroc, où il dit que cette bibliotheque contenoit plus de quatre mille volumes Arabes sur différens sujets, & qu’ils furent portés à Paris pour y être vendus : mais que les Parisiens n’ayant pas de goût pour cette langue, ils furent ensuite portés à Madrid, où Philippe II. les acheta pour sa bibliotheque de l’Escurial.

Il y a dans cette bibliotheque près de trois mille manuscrits Arabes, dont Hottinger a donné le catalogue. Il y a aussi nombre de manuscrits Grecs & Latins : en un mot c’est une des plus belles bibliotheques du monde.

Quelques-uns prétendent qu’elle a été augmentée par les livres du cardinal Sirlet, archevêque de Sarragosse, & d’un ambassadeur Espagnol ; ce qui l’a rendu beaucoup plus parfaite : mais la plus grande partie fut brûlée par le tonnerre en 1670.

Il y avoit anciennement une très-magnifique bibliotheque dans la ville de Cordoue, fondée par les Maures, avec une célebre académie où l’on enseignoit toutes les sciences en Arabe. Elle fut pillée par les Espagnols lorsque Ferdinand chassa les Maures d’Espagne, où ils avoient régné plus de 600 ans.

Ferdinand Colomb, fils de Christophe Colomb, qui découvrit le premier l’Amérique, fonda une très belle bibliotheque, en quoi il fut aidé par le célebre Clénard.

Ferdinand Nonius, qu’on prétend avoir le premier enseigné le Grec en Espagne, fonda une grande & curieuse bibliotheque, dans laquelle il y avoit beaucoup de manuscrits Grecs qu’il acheta fort cher en Italie. D’Italie il alla en Espagne, où il enseigna le Grec & le Latin à Alcala de Henares, & ensuite à Salamanque, & laissa sa bibliotheque à l’université de cette ville.

L’Espagne fut encore enrichie de la magnifique bibliotheque du cardinal Ximenès à Alcala, où il fonda aussi une université qui est devenue très-célebre. C’est au même cardinal qu’on a l’obligation de la version de la Bible connue sous le nom de la Complutensienne.

Il y a aussi en Espagne plusieurs particuliers qui ont de belles bibliotheques ; telles étoient celles d’Arias Montanus, d’Antonius Augustinus, savant archevêque de Tarragone, de Michel Tomasius, & autres.

Le grand nombre de savans & d’hommes versés dans les différens genres de littérature, qui ont de tout tems fait regarder la France comme une des nations les plus éclairées, ne laisse aucun lieu de douter qu’elle ait été aussi la plus riche en bibliotheques : on ne s’y est pas contenté d’entasser des livres, on les a choisis avec goût & discernement. Les auteurs les plus accrédités ont rendu ce témoignage honorable aux bibliotheques de nos premiers Gaulois : ceux qui voudroient en douter, en trouveront des preuves incontestables dans l’Histoire littéraire de la France par les RR. PP. Bénédictins, ouvrage où regne la plus profonde érudition. Nous pourrions faire ici une longue énumération de ces anciennes bibliotheques : mais nous nous contenterons d’en nommer quelques-unes, pour ne pas entrer dans un détail peu intéressant pour le plus grand nombre de nos lecteurs. La plus riche & la plus considérable de ces anciennes bibliotheques, étoit celle qu’avoit Tonance Ferréol dans sa belle maison de Prusiane, sur les bords de la riviere du Gardon, entre Nismes & Clermont en Auvergne. Le choix & l’arrangement de cette bibliotheque faisoient voir le bon goût de ce seigneur, & son amour

pour le bel ordre : elle étoit partagée en trois classes avec beaucoup d’art ; la premiere étoit composée des livres de piété à l’usage du sexe dévot, rangés aux côtés des siéges destinés aux dames ; la seconde contenoit des livres de littérature, & servoit aux hommes ; enfin dans la troisieme classe étoient les livres communs aux deux sexes. Il ne faut pas s’imaginer que cette bibliotheque fût seulement pour une vaine parade ; les personnes qui se trouvoient dans la maison en faisoient un usage réel & journalier : on y employoit à la lecture une partie de la matinée, & on s’entretenoit pendant le repas de ce qu’on voit lû, en joignant ainsi dans le discours l’érudition à la gaieté de la conversation.

Chaque monastere avoit aussi dans son établissement une bibliotheque, & un moine préposé pour en prendre soin. C’est ce que portoit la regle de Tarnat & celle de S. Benoît. Rien dans la suite des tems ne devint plus célebre que les bibliotheques des moines : on y conservoit les livres de plusieurs siecles, dont on avoit soin de renouveller les exemplaires ; & sans ces bibliotheques il ne nous resteroit guere d’ouvrages des anciens. C’est de-là en effet que sont sortis presque tous ces excellens manuscrits qu’on voit aujourd’hui en Europe, & d’après lesquels on a donné au public, depuis l’invention de l’Imprimerie, tant d’excellens ouvrages en tout genre de littérature.

Dès le vie siecle on commença dans quelques monasteres à substituer au travail pénible de l’agriculture, l’occupation de copier les anciens livres, & d’en composer de nouveaux. C’étoit l’emploi le plus ordinaire, & même l’unique, des premiers cénobites de Marmoutier. On regardoit alors un monastere qui n’auroit pas eu de bibliotheque, comme un fort ou un camp dépourvû de ce qui lui étoit le plus nécessaire pour sa défense : claustrum sine armario, quasi castrum sine armamentario. Il nous reste encore de précieux monumens de cette sage & utile occupation dans les abbayes de Cîteaux & de Clairvaux, ainsi que dans la plus grande partie des abbayes de l’ordre de S. Benoit.

Les plus célebres bibliotheques des derniers tems ont été celles de M. de Thou ; de M. le Tellier, archevêque de Reims ; de M. Butteau, fort riche en livres sur l’histoire de France ; de M. de Coislin, abondante en manuscrits Grecs ; de M. Baluse, dont il sera parlé tout-à-l’heure à l’occasion de celle du Roy ; de M. Dufay, du cardinal Dubois, de M. Colbert, du comte d’Hoym, de M. le maréchal d’Etrées, de messieurs Bigot, de M. Danty d’Isnard, de M. Turgot de S. Clair, de M. Burette, & de M. l’abbé de Rothelin. Nous n’entrons dans aucun détail sur le mérite de ces différentes bibliotheques, parce que les catalogues en existent, & qu’ils ont été faits par de fort savans hommes. Nous avons encore aujourd’hui des bibliotheques qui ne le cedent point à celles que nous venons de nommer : les unes sont publiques, les autres sont particulieres.

Les bibliotheques publiques sont celle du Roi, dont nous allons donner l’histoire, celles de S. Victor, du collége Mazarin, de la Doctrine-chrétienne, des Avocats, & de S. Germain des prés : celle-ci est une des plus considérables, par le nombre & par le mérite des anciens manuscrits qu’elle possede : elle a été augmentée en 1718 des livres de M. L. d’Etrées, & en 1720 de ceux de M. l’abbé Renaudot. M. le cardinal de Gesvres légua sa bibliotheque à cette abbaye en 1744, sous la condition que le public en joüiroit une fois la semaine. M. l’évêque de Mets, duc de Coislin, lui a aussi légué un nombre considérable de manuscrits, qui avoient appartenu ci-devant au chancelier Seguier.

Les bibliotheques particulieres qui joüissent de quelque réputation, soit pour le nombre soit pour la qua-