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les forces de dix-sept hommes pour tirer du corps de l’animal le gros intestin, dont la capacité étoit si grande, qu’un homme à cheval auroit pû y entrer. L’épine du dos étoit composée de trente deux vertebres. Cette baleine étoit femelle & pleine. On retira de la matrice un fœtus qui avoit trente piés de longueur, & qui pesoit quinze cents livres.

On dit qu’on a vû des baleines qui avoient jusqu’à deux cents piés de longueur. Quelqu’énorme que cet animal soit par lui-même, je crois qu’on auroit voulu l’aggrandir encore davantage par l’amour du merveilleux. On prétend à la Chine qu’on y a vû des baleines longues de neuf cents soixante piés ; d’autres ont comparé ces grands poissons à des écueils, à des îles flottantes, &c. Quoi qu’il en soit de ces relations, on assûre que les premieres baleines qu’on a pêchées dans le Nord, étoient beaucoup plus grandes que celles qu’on y trouve à présent ; sans doute parce qu’elles étoient plus vieilles. On ne sait pas quelle est la durée de la vie de ces animaux ; il y a apparence qu’ils vivent très-long-tems.

L’estomac de la baleine est d’une grande étendue ; cependant on n’y a pas vû des choses d’un grand volume. Rondelet dit qu’on n’y trouve que de la boue, de l’eau, de l’algue puante, & qu’on en a tiré quelquefois des morceaux d’ambre. Il soupçonnoit que la baleine n’avaloit point de poissons, parce qu’on n’en avoit pas vû dans son estomac : mais Willugby fait mention d’une baleine qui avoit avalé plus de quarante merlus, dont quelques-uns étoient encore tout frais dans son estomac ; d’autres disent que ces grands poissons vivent en partie d’insectes de mer, qui sont en assez grand nombre dans les mers du Nord pour les nourrir, & qu’on a trouvé dans leur estomac dix ou douze poignées d’araignées noires, des anchois, & d’autres petits poissons blancs, mais jamais de gros. Les baleines mangent une très-grande quantité de harengs.

On dit que ces poissons s’élevent perpendiculairement sur leur queue pour s’accoupler ; que le mâle & la femelle s’approchent l’un de l’autre dans cette situation ; qu’ils s’embrassent avec leurs nageoires, & qu’ils restent accouplés pendant une demi-heure ou une heure. On prétend qu’ils vivent en société dans la suite, & qu’ils ne se quittent jamais. La femelle met bas dans l’automne. On assûre qu’il n’y a qu’un baleinon par chaque portée ; mais il est aussi gros qu’un taureau ; d’autres disent qu’il y en a quelquefois deux ; la mere l’alaite en le tenant avec ses nageoires, dont elle se sert aussi pour le conduire & pour le défendre.

M. Anderson est entré dans un détail très-satisfaisant sur les différentes especes de baleines, dans son Histoire naturelle d’Islande & du Groenland, &c. Selon cet auteur, la véritable baleine de Groenland, pour laquelle se font les expéditions de la pêche, a des barbes & le dos uni. C’est celle que Ray distingue par cette phrase : balœna vulgaris edentula, dorso non pinnato. La grosseur énorme de ce poisson fait qu’il n’approche guere des côtes d’Islande, & le retient dans des abysmes inaccessibles vers Spitzberg, & sous le pol du Nord. Il a jusqu’à soixante ou soixante & dix piés de longueur. La tête seule fait un tiers de cette masse. Les nageoires des côtés ont depuis cinq jusqu’à huit piés de long ; la gueule est horisontale, la queue un peu recourbée vers le haut aux deux extrémités : elle forme à peu-près deux demi-lunes ; elle a trois ou quatre brasses de largeur ; ses coups sont très violens, sur-tout lorsque ce poisson est couché sur le côté : c’est par le moyen de sa queue que la baleine se porte en avant ; & on est étonné de voir avec quelle vîtesse cette masse énoime se meut dans la mer. Les nageoires ne lui servent que pour aller de côté. L’épiderme de ce poisson n’est pas plus épais

que du gros papier ou du parchemin. La peau est de l’épaisseur du doigt, & couvre immédiatement la graisse, qui est épaisse de huit pouces ou d’un pié ; elle est d’un beau jaune, lorsque le poisson se porte bien. La chair qui se trouve au-dessous est maigre & rouge. La mâchoire supérieure est garnie des deux côtés de barbes qui s’ajustent obliquement dans la mâchoire inférieure comme dans un fourreau, & qui embrassent, pour ainsi-dire, la langue des deux côtés. Ces barbes sont garnies du côté de leur tranchant de plusieurs appendices, & sont rangées dans la mâchoire comme des tuyaux d’orgue, les plus petites devant & derriere, & les plus grandes dans le milieu : celles-ci ont six ou huit piés & plus de longueur. La langue est adhérente presqu’en entier ; ce n’est, pour ainsi dire, qu’un morceau de graisse : mais il est si gros, qu’il suffit pour remplir plusieurs tonneaux. Les yeux ne sont pas plus grands que ceux d’un bœuf, & leur crystallin desséché n’excede pas la grosseur d’un gros pois ; ils sont placés sur le derriere de la tête, à l’endroit où elle est le plus large. Les baleines ont des paupieres & des sourcils. On ne voit dans ces poissons aucune apparence d’oreilles au dehors, cependant ils ont l’ouie très-bonne ; & si on enleve l’épiderme, on apperçoit derriere l’œil, & un peu plus bas, une tache noire, & dans ce même endroit un conduit, qui est sans doute celui de l’oreille. Les excrémens de la baleine ressemblent assez au vermillon un peu humecté ; ils n’ont aucune mauvaise odeur. Il y a des gens qui les recherchent, parce qu’ils teignent d’un joli rouge, & cette couleur est assez durable sur la toile. La baleine mâle a une verge d’environ six piés de longueur ; son diametre est de sept à huit pouces à sa racine, & l’extrémité n’a qu’environ un pouce d’épaisseur : cette verge est ordinairement renfermée dans un fourreau. Les parties naturelles de la femelle ressemblent à celles des quadrupedes : l’orifice extérieur paroît fermé pour l’ordinaire ; il y a de chaque côté une mammelle qui s’allonge de la longueur de six ou huit pouces, & qui a dix ou douze pouces de diametre, lorsque la baleine alaite ses petits. Tous les pécheurs du Groenland assûrent que l’accouplement de ces poissons se fait comme il a été dit plus haut. M. Dudley rapporte dans les Transactions philosophiques, n°. 387. article 2. que la femelle se jette sur le dos & replie sa queue, & que le mâle se pose sur elle & l’embrasse avec ses nageoires. Ce sont peut-être, dit M. Anderson, des baleines d’une autre espece que celle du Groenland, qui s’accouplent ainsi. Selon M. Dudley, l’accouplement ne se fait que tous les deux ans ; la femelle porte pendant neuf ou dix mois, & pendant ce tems elle est plus grasse, sur-tout lorsqu’elle est près de son terme. On prétend qu’un embryon de dix-sept pouces est déjà tout-à-fait formé & blanc : mais étant parvenu au terme, il est noir & a environ vingt piés de longueur. La baleine ne porte ordinairement qu’un fœtus, & rarement deux. Lorsqu’elle donne à téter à son petit, elle se jette de côté sur la surface de la mer, & le petit s’attache à la mammelle. Son lait est comme le lait de vache. Lorsqu’elle craint pour son petit, elle l’emporte entre ses nageoires.

M. Anderson décrit plusieurs autres especes de baleines, qu’il appelle le nord-caper, le gibbar, le poisson de Jupiter, le pslock-sisch, & le knoten ou knobbelfisch ; & il rapporte aussi au genre des baleines la licorne de mer ou nerwal, le cachalot, le marsouin-souffleur ou tunin, le dauphin, & l’épée de mer. Voyez Cetacée, Poisson. (I)

* Pêche de la baleine. De toutes les pêches qui se font dans l’Océan & dans la Méditerranée, la plus difficile sans contredit & la plus périlleuse est la pêche des baleines. Les Basques, & sur-tout ceux qui habi-