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appelle aussi compas de mer, nécessaire aux pilotes pour diriger la route de leur vaisseau. Sa propriété de se tourner toûjours vers les poles du monde, en fait le mérite, & la rend précieuse aux navigateurs. On en attribue l’invention à Flavio de Gioia, Napolitain, qui vivoit dans le xiii. siécle : néanmoins on voit par les ouvrages de Guyot de Provins, vieux poëte François du douziéme siecle, qu’on connoissoit déjà la boussole. Ce poëte parle expressément de l’usage de l’aimant pour la navigation.

* Les anciens qui ne connoissoient point la boussole, étoient obligés de naviger le long des côtes ; & leur navigation étoit par là très-imparfaite. On prétend pourtant que des Phéniciens, envoyés par Néchao roi d’Egypte, firent autrefois le tour de l’Afrique, en partant de la mer Rouge ; & qu’ils furent trois ans à ce voyage : mais ce fait est-il bien vrai ? Les anciens, dit l’illustre auteur de l’esprit des Lois, pourroient avoir fait des voyages de met assez longs, sans le secours de la boussole : par exemple, si un pilote dans quelque voyage particulier avoit vû toutes les nuits l’étoile polaire, ou le lever & le coucher du soleil, cela auroit suppléé à la boussole : mais c’est-là un cas particulier & fortuit.

* Les François prétendent que si l’on met par-tout une fleur-de-lis pour marquer le nord, soit dans le carton mobile dont les mariniers chargent l’aiguille, soit dans la rose des vents qu’on attache sous le pivot de l’aiguille, au fond des boussoles sédentaires, c’est parce que toutes les nations ont copié les premieres boussoles, qui sont sorties des mains d’un ouvrier François. Les Anglois s’attribuent, sinon la découverte même, au moins la gloire de l’avoir perfectionnée par la façon de suspendre la boîte où est l’aigaille aimantée. Ils disent, en leur faveur, que tous les peuples ont reçû d’eux les noms que porte la boussole, en recevant d’eux la boussole même amenée à une forme commode ; qu’on la nomme compas de mer, des deux mots Anglois mariners compass ; & que de leur mot boxel, petite boîte, les Italiens ont fait leur bossola, comme d’Alexandre ils font Alessandro. (Les Italiens disent bossolo au masculin, suivant le dictionnaire de Trevoux.) Mais la vérité est que le mot boussole vient du Latin buxus, d’où l’on a fait buxolus, buxola, bussola, & enfin boussole. Les Espagnols & les Portugais disent bruxula, qui semble venir de bruxa, sorciere. Il y a apparence que c’est une corruption de bussola. Quant au nom de mariners compass, les François pourroient également prétendre que les Anglois l’ont pris d’eux, en traduisant le nom François, compas de mer.

* Il ne tient pas à d’autres qu’on n’en fasse honneur aux Chinois. Mais comme encore aujourd’hui l’on n’employe l’aiguille aimantée à la Chine qu’en la faisant nager sur un support de liége, comme on faisoit autrefois en Europe, on peut croire que Marco Paolo, ou d’autres Vénitiens, qui alloient aux Indes & à la Chine par la mer Rouge, ont fait connoître cette expérience importante, dont différens pilotes ont ensuite perfectionné l’usage parmi nous.

* La véritable cause de cette dispute, c’est qu’il en est de l’invention de la boussole, comme de celle des Moulins, de l’Horloge, & de l’Imprimerie. Plusieurs personnes y ont eu part. Ces choses n’ont été découvertes que par parties, & amenées peu-à-peu à une plus grande perfection. De tout tems on a connu la propriété qu’a l’aimant d’attirer le fer. Mais aucun ancien, ni même aucun auteur antérieur au commencement du douzieme siecle, n’a sçû que l’aimant suspendu, ou nageant sur l’eau par le moyen d’un liége, tourne toûjours un de ses côtés, & toûjours le même côté vers le nord. Celui qui fit le premier cette remarque, en demeura là : il ne comprit ni l’importance, ni l’usage de son admirable décou-

verte. Les curieux, en réitérant l’expérience, en vinrent

jusqu’à coucher une aiguille aimantée sur deux brins de paille posés sur l’eau, & à remarquer que cette aiguille tournoit invariablement la pointe vers le nord. Ils prenoient la route de la grande découverte : mais ce n’étoit pas encore là la boussole. Le premier usage que l’on fit de cette découverte, fut d’en imposer aux simples par des apparences de magie, en exécutant divers petits jeux physiques, étonnans pour ceux qui n’avoient pas la clé. Des esprits plus sérieux appliquerent enfin cette découverte aux besoins de la navigation ; & Guyot de Provins, dont nous avons parlé, qui se trouva à la cour de l’empereur Frédéric à Mayence en 1181, nous apprend, dans le roman de la Rose, que nos pilotes François faisoient usage d’une aiguille aimantée ou fiottée à une pierre d’aimant, qu’ils nommoient la marinette, & qui régloit les mariniers dans les tems nébuleux.

Icelle étoile ne se muet,
Un art sont qui mentir ne puet,
Par vertu de la marinette,
Une pierre laide, noirette,
Ou li fer volentiers se joint, &c.

* Bientôt après, au lieu d’étendre les aiguilles comme on faisoit, sur de la paille ou sur du liége, à la surface de l’eau, que le mouvement du vaisseau tourmentoit trop, un ouvrier intelligent s’avisa de suspendre sur un pivot ou sur une pointe immobile, le milieu d’une aiguille aimantée, afin que se balançant en liberté, elle suivît la tendance qui la ramene vers le pole. Un autre enfin, dans le xiv. siecle, conçut le dessein de charger cette aiguille d’une petit cercle de carton fort léger, où il avoit tracé les quatre points cardinaux, accompagnés des traits des principaux vents ; le tout divisé par les 360 degrés de l’horison. Cette petite machine légerement suspendue dans une boîte, qui étoit suspendue elle-même, à-peu-près comme la lampe des mariniers, répondit parfaitement aux espérances de l’inventeur. M. Formey.

La boussole, Pl. de navigation, fig. 12. est composée d’une aiguille ou losange, ordinairement faite avec une lame d’acier trempée & aimantée sur l’aimant le plus vigoureux : cette aiguille est fixée à une rose de carton ou de talc, sur laquelle on a tracé un cercle divisé en trente-deux parties égales ; savoir d’abord en quatre par deux diametres qui se coupent à angles droits, & qui marquent les quatre points cardinaux de l’horison, le nord, le sud, l’est, & l’ouest ; chacun de ces quarts de cercle est divisé en deux, ce qui constitue avec les précédens les huit rumbs de vent de la boussole : chaque partie est encore divisée & subdivisée en deux, pour avoir les huit demi-rumbs & les seize quarts. On peut voir sur la figure ces trente-deux airs, avec leurs noms usités dans les mers du Levant & du Ponent.

On désigne ordinairement le rumb du nord par une fleur de lis, & quelquefois celui de l’est par une croix ; les autres par les premieres lettres de leurs noms : chacun de ces airs de vent ou rumbs est indiqué par une des pointes de l’étoile tracée au centre de la rose. Voyez la figure.

Il y a un autre cercle concentrique à celui de la rose, & qui est fixé à la boîte : il est divisé en 360 degrés, & sert à mesurer les angles & les écarts de la boussole : le centre de la rose qui est évidé ; est recouvert d’un petit cône creux de cuivre ou de quelqu’autre matiere dure qui sert de chape, au moyen de laquelle l’aiguille peut être posée sur un pivot bien pointu & bien poli, & s’y mouvoir avec liberté. On suspend le tout à la maniere de la lampe de Cardan, par le moyen de deux anneaux ou cercles concentriques, chacun mobiles sur deux pivots aux