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nité des personnes divines ; & quand il n’y auroit que ce seul article dont ils s’entêtent, ils n’entreroient jamais dans le sentiment des Cabalistes. Ils nous apprennent seulement par leur idée de la Trinité, qu’on peut trouver tout ce qu’on veut dans la Cabale. Cohen Irira, dans son livre intitulé, Philos. Cab. dissert. V. chap. viij. nous fait mieux comprendre la pensée des Cabalistes, en soûtenant, 1o. que la lumiere qui remplissoit toutes choses étoit trop subtile pour former des corps ni même des esprits. Il falloit condenser cette lumiere qui émanoit de Dieu. Voilà une premiere erreur, que le monde est sorti de la divinité par voie d’émanation, & que les esprits sont sortis de la lumiere. 2o. Il remarque que Dieu ne voulant pas créer immédiatement lui-même, produisit un être qu’il revêtit d’un pouvoir suffisant pour cela, & c’est ce qu’ils appellent Adam premier, ou Adam kadmon. Ce n’est pas que Dieu ne pût créer immédiatement : mais il eut la bonté de ne le pas faire, afin que son pouvoir parût avec plus d’éclat, & que les créatures devinssent plus parfaites. 3o. Ce premier principe que Dieu produisit, afin de s’en servir pour la création de l’Univers, étoit fini & borné : Dieu lui donna les perfections qu’il a, & lui laissa les défauts qu’il n’a pas. Dieu est indépendant, & ce premier principe dépendoit de lui ; Dieu est infini, & le premier principe est borné ; il est immuable, & la premiere cause étoit sujette au changement.

Il faut donc avoüer que ces théologiens s’éloignent des idées ordinaires, & de celles que Moyse nous a données sur la création. Ils ne parlent pas seulement un langage barbare ; ils enfantent des erreurs, & les cachent sous je ne sais quelles figures. On voit évidemment par Isaac Loriia, commentateur Juif, qui suit pas à pas son maître, qu’ils ne donnent pas immédiatement la création à Dieu ; ils font même consister sa bonté à avoir fait un principe inférieur à lui qui pût agir. Trouver J. C. dans ce principe, c’est non seulement s’éloigner de leur idée, mais en donner une très-fausse du Fils de Dieu, qui est infini, immuable, & indépendant.

Si on descend dans un plus grand détail, on aura bien de la peine à ne se scandaliser pas du Seir Anpin, qui est homme & femme ; de cette mere, ce pere, cette femme, ou Nucha, qu’on fait intervenir ; de cette lumiere qu’on fait sortir par le crane, par les yeux & par les oreilles du grand Anpin. Ces métaphores sont-elles bien propres à donner une juste idée des perfections de Dieu, & de la maniere dont il a créé le monde ? Il y a quelque chose de bas & de rampant dans ces figures, qui bien loin de nous faire distinguer ce qu’on doit craindre & ce qu’on doit aimer, ou de nous unir à la divinité, l’avilissent, & la rendent méprisable aux hommes.

Voilà les principes généraux de la Cabale, que nous avons tâché d’expliquer avec clarté, quoique nous ne nous flattions pas d’y avoir réussi. Il faut avoüer qu’il y a beaucoup d’extravagance, & même de péril dans cette méthode ; car si on ne dit que ce que les autres ont enseigné sur les opérations & sur les attributs de Dieu, il est inutile d’employer des allégories perpétuelles, & des métaphores outrées, qui, bien loin de rendre les vérités sensibles, ne servent qu’à les obscurcir. C’est répandre un voile sur un objet qui étoit déjà caché, & dont on ne découvroit qu’avec peine quelques traits. D’ailleurs, on renverse toute l’Ecriture, on en change le sens, & jusqu’aux mots, afin de pouvoir trouver quelque fondement & quelque appui à ses conjectures. On jette même souvent les hommes dans l’erreur, parce qu’il est impossible de suivre ces théologiens, qui entassent figures sur figures, & qui ne les choisissent pas toûjours avec jugement. Ce mêlange d’hom-

mes & de femmes qu’on trouve associés dans les

splendeurs, leur union conjugale, & la maniere dont elle se fait, sont des emblêmes trop puérils & trop ridicules pour représenter les opérations de Dieu, & sa fécondité. D’ailleurs, il y a souvent une profondeur si obscure dans les écrits des Cabalistes, qu’elle devient impénétrable : la raison ne dicte rien qui puisse s’accorder avec les termes, dont leurs écrits sont pleins. Après avoir cherché long-tems inutilement, on se lasse, on ferme le livre ; on y revient une heure après ; on croit appercevoir une petite lueur ; mais elle disparoît aussitôt. Leurs principes paroissent d’abord avoir quelque liaison : mais la diversité des interpretes qui les expliquent est si grande, qu’on ne sait où se fixer. Les termes qu’on employe sont si étrangers, ou si éloignés de l’objet, qu’on ne peut les y ramener ; & il y a lieu d’être étonné qu’il y ait encore des personnes entêtées, qui croyent que l’on peut découvrir, ou éclaircir, des vérités importantes, en se servant du secours de la Cabale. Il seroit difficile de les guérir : d’ailleurs, si en exposant aux yeux cette science dans son état naturel, on ne s’apperçoit pas qu’elle est creuse & vuide ; & que sous des paroles obscures, souvent inintelligibles à ceux mêmes qui s’en servent, on cache peu de chose, tous les raisonnemens du monde ne convaincroient pas. En effet, un homme de bon sens qui aura étudié à fond les séphirots, la couronne qui marque la perfection, la sagesse, ou la magnificence, en comprendra-t-il mieux que Dieu est un être infiniment parfait, & qu’il a créé le monde ? Au-contraire, il faut qu’il fasse de longues spéculations avant que de parvenir là. Il faut lire les Cabalistes ; écouter les différentes explications qu’ils donnent à leurs splendeurs, les suivre dans les conséquences qu’ils en tirent ; peser si elles sont justes. Après tout, il faudra en revenir à Moyse ; & pourquoi n’aller pas droit à lui, puisque c’est le maître qu’il faut suivre, & que le Cabaliste s’égare dès le moment qu’il l’abandonne ? Les séphirots sont, comme les distinctions des scholastiques, autant de remparts, derriere lesquels un homme qui raisonne juste ne peut jamais percer un ignorant qui sait son jargon. Les écrivains sacrés ont parlé comme des hommes sages & judicieux, qui voulant faire comprendre des vérités sublimes, se servent de termes clairs. Ils ont dû nécessairement fixer leur pensée & celle des Lecteurs, n’ayant pas eu dessein de les jetter dans un embarras perpétuel & dans des erreurs dangereuses. S’il est permis de faire dire à Dieu tout ce qu’il a pû dire, sans que ni le terme qu’il a employé, ni la liaison du discours détermine à un sens précis, on ne peut jamais convenir de rien. Les systèmes de religion varieront à proportion de la fécondité de l’imagination de ceux qui liront l’Ecriture ; & pendant que l’un s’occupera à chercher les évenemens futurs, & le sort de l’Eglise dans les expressions les plus simples, un autre y trouvera sans peine les erreurs les plus grossieres.

Mais, nous dira-t-on, puisque les Juifs sont entêtés de cette science, ne seroit-il pas avantageux de s’en servir pour les combattre plus facilement ? Quel avantage ! quelle gloire pour nous, lorsqu’on trouve, par la Cabale, la Trinité des personnes, qui est le grand épouvantail des Juifs, & le phantôme qui les trouble ! quelle consolation, lorsqu’on découvre tous les mysteres dans une science qui semble n’être faite que pour les obscurcir !

Je réponds 1.o que c’est agir de mauvaise foi que de vouloir que le Christianisme soit enfermé dans les sephirots ; car ce n’étoit point l’intention de ceux qui les ont inventés. Si on y découvre nos mysteres, afin de faire sentir le ridicule & le foible de cette méthode, à la bonne heure : mais Morus & les autres