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rir : mais ces premieres fleurs coulent ordinairement, & on ne doit guere espérer de fruit mûr avant trois ans, encore faut-il que ce soit en bonne terre ; à quatre ans la levée est médiocre, & à cinq elle est dans toute sa force. Pour lors les cacaoyers portent ordinairement pendant toute l’année des fleurs & des fruits de tout âge ; il est à la vérité des mois, où ils n’en ont presque point, & d’autres où ils en sont tout chargés ; vers les solstices les levées sont toûjours plus abondantes que dans les autres saisons.

Comme dans les ouragans le vent peut faire le tour du compas en très-peu d’heures, il est mal-aisé que perçant par l’endroit le plus foible, & le moins couvert des cacaoyers, il n’y fasse bien du desordre, & il est nécessaire d’y rémédier le plus promptement qu’il est possible. Si le vent n’a fait que renverser les arbres sans rompre leur pivot, en ce cas le meilleur parti qu’il y ait à prendre, sur-tout dans les bonnes terres, est de relever sur le champ ces arbres, & de les remettre en place ; les appuyant avec une fourche, & les rechaussant bien avec de la terre d’alentour : de cette maniere ils sont raffermis en moins de six mois, & rapportent comme s’ils n’avoient jamais eu de mal. Dans les mauvaises terres, il vaut mieux les laisser couchés, rechausser les racines, & cultiver à chaque pié le rejetton de plus belle venue, & le plus proche des racines qu’il poussera, en retranchant avec soin tous les autres : l’arbre en cet état ne laisse pas de fleurir & de porter du fruit ; & quand dans deux ans le rejetton conservé est devenu un arbre nouveau, on étronçonne le vieux arbre à un demi pié du rejetton.

De la cueillette du cacao, & de la maniere de le faire ressuer & sécher, pour pouvoir être conservé & transporté en Europe. Le cacao est bon à cueillir lorsque toute la cosse a changé de couleur, & qu’il n’y a que le petit bouton d’en-bas qui soit demeuré verd. On va d’arbre en arbre, & de rang en rang, & avec des gaulettes fourchues, on fait tomber les cosses mûres, prenant garde de ne point toucher à celles qui ne le sont pas, non plus qu’aux fleurs : on employe à cela les Negres les plus adroits ; & d’autres qui les suivent avec des paniers, ramassent les cosses à terre, & en font à droit & à gauche dans la cacaoyere des piles qu’on laisse là quatre jours sans y toucher.

Dans les mois d’un grand rapport, on cueille tous les quinze jours : dans les saisons moins abondantes, on cueille de mois en mois.

Si les graines restoient dans les cosses plus de quatre jours, elles ne manqueroient pas de germer & de se gâter ; c’est pourquoi, lorsque de la Martinique, on a voulu envoyer aux îles voisines des cosses de cacao pour avoir de la graine à planter, on a eu un soin extrème de ne cueillir que lorsque le bâtiment de transport alloit mettre à la voile, & de les employer d’abord en arrivant : il n’est donc pas possible que les Espagnols voulant avoir de la semence pour produire ces arbres, laissent parfaitement mûrir & sécher les gousses qui la contiennent, qu’après ils ôtent la semence de ces gousses, & qu’ils les fassent soigneusement sécher à l’ombre, pour les planter enfin en pépiniere, comme le rapporte Œxmelin, Histoire des aventuriers, tom. I. pag. 424. Il est nécessaire de les écaler dès le matin du cinquieme jour au plus tard ; pour cela on frappe sur le milieu des cosses, avec un morceau de bois pour les fendre, & avec les mains on acheve de les ouvrir en travers, & d’en tirer les amandes qu’on met dans des paniers, jettant dans la cacaoyere les cosses vuides pour lui servir d’amandement & d’engrais, quand elles sont pourries, à peu près comme les feuilles de la dépouille des arbres leur servent de fumier continuel.

On porte ensuite dans une case tout le cacao écalé, & on le met en pile, sur une espece de plancher vo-

lant couvert de feuilles de balisier, qui ont environ

quatre piés de long sur vingt pouces de large ; puis entourant le cacao de planches recouvertes des mêmes feuilles, & faisant une espece de grenier qui puisse contenir toute la pile de cacao étendue, on couvre le tout de semblables feuilles, qu’on affermit avec quelques planches : le cacao ainsi entassé, couvert, & enveloppé de toutes parts, ne manque pas de s’échauffer par la fermentation de ses parties insensibles, & c’est ce qu’on appelle sur les lieux ressuer.

On découvre ce cacao soir & matin, & l’on fait entrer dans le lieu où il est des Negres qui travaillant à force des piés & des mains, le remuent bien & le renversent sens-dessus-dessous, après quoi on le recouvre comme auparavant avec les mêmes feuilles & les mêmes planches. On continue cette opération chaque jour jusqu’au cinquieme, auquel il est ordinairement assez ressué ; ce qu’on connoît à la couleur qui est beaucoup plus foncée, & tout-à-fait rousse.

Plus le cacao ressue, & plus il perd de sa pesanteur & de son amertume : mais s’il ne ressue pas assez, il est plus amer, sent le verd, & germe quelquefois ; il y a donc pour bien faire, un certain milieu à garder, ce qui s’apprend par l’usage.

Dès que le cacao a assez ressué, on le met à l’air, & on l’expose au soleil pour le faire sécher en la maniere suivante.

On a déja dressé d’avance plusieurs établis à deux piés ou environ, au-dessus du plan d’une cour destinée à cela ; (ce sont deux especes de sablieres paralleles, à deux piés l’un de l’autre, affermies sur de petits poteaux enfoncés dans la terre). On étend sur ces établis plusieurs nattes faites de brins de roseaux refendus, assemblés avec des liens d’écorce de mahot ; (le mahot est un arbrisseau dont les feuilles sont rondes & douces au maniement, comme celle de la guimauve ; son écorce qui se leve facilement, & qu’on divise en longs rubans, sert de ficelle & de corde aux habitans & aux sauvages) & sur ces nattes on met du cacao ressué environ à la hauteur de deux pouces, on le remue & on le retourne fort souvent avec un rabot de bois, sur-tout les deux premiers jours : le soir on plie le cacao dans ses nattes, qu’on recouvre de quelques feuilles de balisier, crainte de la pluie ; on en fait autant le jour quand il va pleuvoir. Ceux qui craignent qu’on ne le vole la nuit, l’enferment dans une case.

Il y a des habitans qui se servent de caisses d’environ cinq piés de long sur deux de large, & trois à quatre pouces de rebord, pour faire sécher leur cacao : elles ont cette commodité, que dans les grandes pluies ou qui surviennent tout-à-coup, lorsque le cacao commence à sécher, on peut vîte mettre toutes ces caisses en pile l’une sur l’autre, ensorte qu’il ne reste que la derniere à couvrir, ce qui est bientôt fait avec des feuilles de balisier, recouvertes d’une caisse vuide renversée. Mais ce qui rend l’usage des nattes préférable, est que l’air qui passe par-dessous à travers les vuides des roseaux, fait mieux sécher le cacao. Des caisses dont le fond seroit en réseau fort serré de fil de laiton, seroient excellentes ; mais il faudroit les faire faire en Europe, ce qui seroit une dépense considérable.

Quand le cacao est assez ressué, il faut l’exposer sur les nattes quelque tems qu’il fasse : si l’on prévoyoit même une pluie abondante & de durée, il seroit bon de le laisser moins ressuer d’un demi-jour ou environ ; on remarque que quelques heures de pluie dans le commencement, bien loin de lui nuire, ne servent qu’à le rendre plus beau & mieux conditionné. Dans la belle saison au lieu de cette pluie, il n’est pas mal de l’exposer les premieres nuits au serein & à la rosée. La pluie même d’un jour ou deux ne lui sera pas