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l’ébranler, je jugeai que je pouvois la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la Philosophie que je cherchois.

» Puis examinant avec attention ce que j’étois, & voyant que je pouvois feindre que je n’avois aucun corps, & qu’il n’y avoit aucun monde, ni aucun lieu où je fusse ; mais que je ne pouvois pas feindre pour cela que je n’étois point, & qu’au contraire de cela même, que je pensois à douter de la vérité des autres choses, il suivoit très-évidemment & très-certainement que j’étois ; au lieu que si j’eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j’avois jamais imaginé eût été vrai, je n’avois aucune raison de croire que j’eusse été : je connus de-là que j’étois une substance, dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, & qui pour être n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle ; ensorte que ce moi, c’est-à-dire, l’ame par laquelle je suis ce que je suis, est entierement distincte du corps, & même qu’elle est plus aisée à connoître que lui, & qu’encore qu’il ne fût point, elle ne laisseroit pas d’être tout ce qu’elle est.

» Après cela je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie & certaine : car puisque je venois d’en trouver une que je savois être telle, je pensai que je devois aussi savoir en quoi consiste cette certitude ; & ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en ceci, je pense, donc je suis, qui m’assûre que je dis la vérité, sinon que je vois très-clairement que pour penser il faut être, je jugeai que je pouvois prendre pour regle générale, que les choses que nous concevons fort clairement & fort distinctement sont toutes vraies ».

5. Descartes s’étend plus au long dans ses méditations, que dans le discours sur la méthode, pour prouver qu’il ne peut penser sans être : & de peur qu’on ne lui conteste ce premier point, il va au-devant de tout ce qu’on pouvoit lui opposer, & trouve toûjours qu’il pense, & que s’il pense, il est, soit qu’il veille, soit qu’il sommeille, soit qu’un esprit supérieur ou une divinité puissante s’applique à le tromper. Il se procure ainsi une premiere certitude ; ne s’en trouvant redevable qu’à la clarté de l’idée qui le touche, il fonde là-dessus cette regle célebre, de tenir pour vrai ce qui est clairement contenu dans l’idée qu’on a d’une chose ; & l’on voit par toute la suite de ses raisonnemens, qu’il sous-entend & ajoûte une autre partie à sa regle, savoir, de ne tenir pour vrai que ce qui est clair.

6. Le premier usage qu’il fait de sa regle, c’est de l’appliquer aux idées qu’il trouve en lui-même. Il remarque qu’il cherche, qu’il doute, qu’il est incertain, d’où il infere qu’il est imparfait. Mais il sait en même tems qu’il est plus beau de savoir, d’être sans foiblesse, d’être parfait. Cette idée d’un être parfait lui paroît ensuite avoir une réalité qu’il ne peut tirer du fonds de son imperfection : & il trouve cela si clair, qu’il en conclut qu’il y a un être souverainement parfait, qu’il appelle Dieu, de qui seul il a pû recevoir une telle idée. Voyez Cosmologie.

7. Il se fortifie dans cette découverte en considérant que l’existence étant une perfection, est renfermée dans l’idée d’un être souverainement parfait. Il se croit donc aussi autorisé par sa regle à affirmer que Dieu existe, qu’à prononcer que lui Descartes existe puisqu’il pense.

8. Il continue de cette sorte à réunir par plusieurs conséquences immédiates, une premiere suite de connoissances qu’il croit parfaitement évidentes, sur la nature de l’ame, sur celle de Dieu, & sur la nature du corps.

Il fait une remarque importante sur sa méthode,

savoir que « ces longues chaînes de raisons toutes simples & faciles, dont les Géometres ont coûtume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, lui avoient donné occasion de s’imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connoissance des hommes, s’entresuivent en même façon ; & que pourvû seulement qu’on s’abstienne d’en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, & qu’on garde toûjours l’ordre qu’il faut pour les déduire les unes des autres, il n’y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées, qu’on ne decouvre ».

10. C’est dans cette espérance que notre illustre Philosophe commença ensuite à faire la liaison de ses premieres découvertes avec trois ou quatre regles de mouvement ou de méchanique, qu’il crut voir clairement dans la nature, & qui lui parurent suffisantes pour rendre raison de tout, ou pour former une chaîne de connoissances, qui embrassât l’univers & ses parties, sans y rien excepter.

« Je me résolus, dit-il, de laisser tout ce monde-ci aux disputes des Philosophes, & de parler seulement de ce qui arriveroit dans un nouveau monde, si Dieu créoit maintenant quelque part dans les espaces imaginaires assez de matiere pour le composer, & qu’il agitât diversement & sans ordre les diverses parties de cette matiere, en sorte qu’il en composât un chaos aussi confus que les Poëtes en puissent feindre, & que par après il ne fît que prêter son concours ordinaire à la nature, & la laisser agir selon les lois qu’il a établies.

» De plus je fis voir quelles étoient les lois de la nature..... Après cela je montrai comment la plus grande partie de la matiere de ce chaos devoit, ensuite de ces lois, se disposer & s’arranger d’une certaine façon qui la rendroit toute semblable à nos cieux ; comment cependant quelques-unes de ces parties devoient composer une terre ; & quelques-unes, des planetes & des cometes ; & quelques autres, un soleil & des étoiles fixes..... De-là je vins à parler particulierement de la terre ; comment les montagnes, les mers, les fontaines & les rivieres pouvoient naturellement s’y former, & les métaux y venir dans les mines ; & les plantes y croître dans les campagnes ; & généralement tous les corps qu’on nomme mélés ou composés, s’y engendrer..... On peut croire, sans faire tort au miracle de la création, que par les seules lois de la méchanique établies dans la nature, toutes les choses qui sont purement matérielles, auroient pû s’y rendre telles que nous les voyons à présent.

» De la description de cette génération des corps animés & des plantes, je passai à celle des animaux, & particulierement à celle des hommes ».

11. Descartes finit son discours sur la méthode, en nous montrant les fruits de la sienne. « J’ai cru, dit-il, après avoir remarqué jusqu’où ces notions générales, touchant la Physique, peuvent conduire, que je ne pouvois les tenir cachées, sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu’il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connoissances qui sont fort utiles à la vie, & qu’au lieu de cette Philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle connoissant la force & les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des lieux, & de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connoissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, & ainsi nous rendre maîtres & possesseurs de la nature ».

Descartes se félicite en dernier lieu des avanta-