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rangera en partie dans les interstices des globules de la lumiere, & en partie vers le centre du tourbillon. Cette partie de la matiere subtile, c’est-à-dire de la plus fine poussiere qui s’est rangée au centre, est ce que Descartes appelle un soleil. Il y a de pareils amas de menue poussiere dans d’autres tourbillons comme dans celui-ci ; & ces amas de poussieres sont autant d’autres soleils que nous nommons étoiles, & qui brillent peu à notre égard, vû l’éloignement.

L’élement globuleux étant composé de globules inégaux, les plus forts s’écartent le plus vers les extrémités du tourbillon ; les plus foibles se tiennent plus près du soleil. L’action de la fine poussiere qui compose le soleil, communique son agitation aux globules voisins, & c’est en quoi consiste la lumiere. Cette agitation communiquée à la matiere globuleuse, accélere le mouvement de celle-ci : mais cette accélération diminue en raison de l’éloignement, & finit à une certaine distance.

On peut donc diviser la lumiere depuis le soleil jusqu’à cette distance, en différentes couches, dont la vitesse est inégale, & va diminuant de couche en couche. Après quoi la matiere globuleuse qui remplit le reste immense du tourbillon solaire, ne reçoit plus d’accélération du soleil : & comme ce grand reste de matiere globuleuse est composé des globules les plus gros & les plus forts, l’activité y va toûjours en augmentant, depuis le terme où l’accélération causée par le soleil, expire, jusqu’à la rencontre des tourbillons voisins. Si donc il tombe quelques corps massifs dans l’élement globuleux, depuis le soleil, jusqu’au terme où finit l’action de cet astre, ces corps seront mûs plus vîte auprès du soleil, & moins vîte à mesure qu’ils s’en éloigneront. Mais si quelques corps massifs sont amenés dans le reste de la matiere globuleuse, entre le terme de l’action solaire & la rencontre des tourbillons voisins, ils iront avec une accélération toûjours nouvelle, jusqu’à s’enfoncer dans ces tourbillons voisins ; & d’autres qui s’échaperoient des tourbillons voisins, & entreroient dans l’erement globuleux du nôtre, y pourroient descendre ou tomber, & s’avancer vers le soleil.

Or il y a de petits tourbillons de matiere qui peuvent rouler dans les grands tourbillons ; & ces petits tourbillons peuvent non-seulement être composés d’une matiere globuleuse & d’une poussiere fine, qui rangée au centre, en fasse de petits soleils : mais ils peuvent encore contenir ou rencontrer bien des parcelles de cette grosse poussiere, de ces grands éclats d’angles brisés que nous avons nommés le troisieme élément. Ces petits tourbillons ne manqueront pas d’écarter vers leurs bords toute la grosse poussiere ; c’est-à-dire, si vous l’aimez mieux, que les grands éclats, formant des pelotons épais & de gros corps, gagneront toûjours les bords du petit tourbillon par la supériorité de leur force centrifuge : Descartes les arrête-là, & la chose est fort commode. Au lieu de les laisser courir plus loin par la force centrifuge, ou d’être emportés par l’impulsion de la matiere du grand tourbillon, ils obscurcissent le soleil du petit, & ils encroûtent peu-à-peu le petit tourbillon : & de ces croûtes épaissies sur tout le dehors, il se forme un corps opaque, une planete, une terre habitable. Comme les amas de la fine poussiere sont autant de soleils, les amas de la grosse poussiere sont autant de planetes & de cometes. Ces planetes amenées dans la premiere moitié de la matiere globuleuse, roulent d’une vîtesse qui va toûjours en diminuant depuis la premiere qu’on nomme Mercure, jusqu’à la derniere qu’on nomme Saturne. Les corps opaques qui sont jettés dans la seconde moitié, s’en vont jusques dans les tourbillons voisins, & d’autres passent des tourbillons voisins, puis descendent dans le nôtre vers le soleil. La même poussiere massive qui nous a fourni

une terre, des planetes & des cometes, s’arrange, en vertu du mouvement, en d’autres formes, & nous donne l’eau, l’atmosphere, l’air, les métaux, les pierres, les animaux & les plantes ; en un mot toutes les choses, tant générales que particulieres, que nous voyons dans notre monde, organisées, & autres :

Il y a encore bien d’autres parties à détailler dans l’édifice de Descartes : mais ce que nous avons déjà vû est regardé de tout le monde comme un assortiment de pieces qui s’écroulent ; & sans en voir davantage, il n’y a personne qui ne puisse sentir qu’un tel systême n’est nullement recevable.

1°. Il est d’abord fort singulier d’entendre dire que Dieu ne peut pas créer & rapprocher quelques corps anguleux, sans avoir de quoi remplir exactement les interstices des angles. De quel droit ose-t-on resserrer ainsi la souveraine puissance ?

2°. Mais je veux que Descartes sache précisément pourquoi Dieu doit avoir tant d’horreur du vuide : je veux qu’il puisse très-bien accorder la liberté des mouvemens avec le plein parfait ; qu’il prouve même la nécessité actuelle du plein : à la bonne heure. L’endroit où je l’arrête, est cette prétention que le vuide soit impossible. Il ne l’est pas même dans sa supposition. Car pour remplir tous les interstices, il faut avoir des poussieres de toute taille, qui viennent au besoin se glisser à propos dans les intervalles entre-ouverts. Ces poussieres ne se forment qu’à la longue. Les globules ne s’arrondissent pas en un instant. Les coins les plus gros se rompent d’abord, puis les plus petits ; & à force de frottemens, nous pourrons recueillir de nos pieces pulvérisées de quoi remplir tout ce qu’il nous plaira : mais cette pulvérisation est successive. Ainsi au premier moment que Dieu mettra les parcelles de la matiere primordiale en mouvement ; la poussiere n’est pas encore formée : Dieu soulere les angles ; ils vont commence à se briser : mais avant que la chose soit faite, voilà entre ces angles des vuides sans fin, & nulle matiere pour les remplir.

3°. Selon Descartes, la lumiere est une masse de petits globes qui se touchent immédiatement, en sorte qu’une file de ces globes ne sauroit être poussée par un bout, que l’impulsion ne se fasse sentir en même tems à l’autre bout, comme il arrive dans un bâton, ou dans une file de boulets de canon qui se touchent. M. Roemer & M. Picard ont observé, que quand la terre étoit entre le soleil & jupiter, les éclipses de ses satellites arrivoient alors plûtôt qu’il n’est marqué dans les tables ; mais que quand la terre s’en alloit du côté opposé, & que le soleil étoit entre jupiter & la terre, alors les éclipses des satellites arrivoient plusieurs minutes plus tard, parce que la lumiere avoit tout le grand orbe annuel de la terre à traverser de plus dans cette derniere situation que dans la précédente : d’où ils sont parvenus à pouvoir assûrer que la lumiere du soleil mettoit sept à huit minutes à franchir les trente-trois millions de lieues qu’il y a du soleil à la terre. Quoi qu’il en soit au reste sur la durée précise de ce trajet de la lumiere, il est certain que la communication ne s’en fait pas en un instant ; mais que le mouvement ou la pression de la lumiere parvient plus vîte sur les corps plus voisins, & plus tard sur les corps plus éloignés : au lieu qu’une file de douze globes, & une file de cent globes, s’ils se touchent, communiquent leur mouvement aussi vîte l’une que l’autre. La lumiere de Descartes n’est donc pas la lumiere du monde. Voy. Aberration.

En voilà assez, ce me semble, pour faire sentir les inconvéniens de ce système. On peut, avec M. de Fontenelle, féliciter le siecle, qui, en sous donnant Descartes, a mis en honneur un nouvel art de raisonner, & communiqué aux autres sciences l’exactitude de la Géométrie. Mais on doit, selon sa judi-