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desagréable, jaune comme du miel, onctueuse comme de la graisse fondue, & combustible comme de la térébenthine : en comprimant la poche il ne se fit aucun reflux de cette liqueur dans les poches supérieures, ni dans l’ouverture commune des excrémens. Après avoir vuidé la liqueur de cette seconde poche, on apperçut dans sa partie inférieure une troisieme poche longue d’environ quatorze lignes, & large de six ; elle étoit tellement attachée à la membrane de la seconde, qu’on ne put pas l’en séparer : elle aboutissoit en pointe à la partie latérale de l’ouverture commune ; mais on ne découvrit aucune issue dans les cavités que l’on avoit observées dans cette ouverture. Il y avoit sur la surface extérieure de ces troisiemes poches, des éminences semblables à celles des secondes poches, & on trouva dans leur cavité un suc plus jaune & plus liquide que dans les autres ; il avoit aussi une autre odeur & une couleur plus pâle ; enfin toutes ces poches sont très-différentes des testicules. Ainsi il est bien prouvé que ce ne sont pas les testicules qui contiennent le castoreum ; & par conséquent on ne sera plus tenté de croire que le castor arrache ses testicules lorsqu’il est poursuivi par des chasseurs, afin de s’en délivrer en leur donnant le castoreum qui fait l’objet de leur poursuite. Cette sable n’a jamais eu aucun fondement, puisque les testicules sont cachés dans les aines, un peu plus haut que les poches du castoreum, aux parties externes & latérales des os pubis.

M. Sarrasin a remarqué trois membranes dans la tissure des premieres bourses du castoreum, qu’il appelle bourses supérieures. La premiere de ces membranes est simple, mais très-ferme. La seconde est plus épaisse, moelleuse, & garnie de vaisseaux. La troisieme est particuliere au castor ; elle est seche comme un vieux parchemin, elle en a l’épaisseur, & se déchire de même. Cette membrane forme des replis dans lesquels la seconde membrane s’insere : ces replis sont en si grand nombre, que la troisieme membrane devient trois fois plus étendue lorsqu’elle est développée : elle est inégale au-dedans, & garnie de petits filets, auxquels il adhere une matiere résineuse qui est le castoreum, & qui s’épaissit peu-à-peu dans les bourses, & y acquiert la consistance d’une résine échauffée entre les doigts. Elle conserve sa mollesse plus d’un mois après avoir été séparée de l’animal ; elle sent mauvais dans ce tems-là, & elle est de couleur grisâtre en-dehors & jaunâtre en dedans ; ensuite elle perd son odeur, se durcit, & devient friable comme les autres résines, & en tout tems elle est combustible. Lorsqu’on a découvert la membrane qui enveloppe les bourses inférieures, on trouve de chaque côté, quelquefois deux, quelquefois trois bourses ensemble. Chacun de ces paquets est long de deux pouces & demi sur environ quatorze ou quinze lignes de diametre ; les bourses sont arrondies par le fond, & diminuent insensiblement de grosseur en approchant de l’ouverture commune, que M. Sarrasin nomme cloaque. La plus grande de ces bourses occupe toute la longueur du paquet, & n’a qu’environ huit ou dix lignes de diametre ; la seconde n’a ordinairement pas la moitié du volume de la premiere ; elle n’est pas toûjours plus grande que la troisieme, qui cependant est le plus souvent la plus petite de toutes. Les bourses, tant supérieures qu’inférieures, n’ont point de communication les unes avec les autres, leurs conduits aboutissent dans le cloaque.

On ne sait pas encore, ajoûte M. Sarrasin, à quoi servent pour le castor les liqueurs contenues dans les bourses. Il n’est pas vrai, selon cet auteur, qu’ils en prennent pour exciter leur appétit lorsqu’il est languissant, ni que les chasseurs l’employent, comme on l’a dit, pour attirer les castors : mais on

frotte avec la liqueur huileuse les piéges que l’on dresse aux animaux carnassiers qui font la guerre aux castors, comme les martes, les renards, les ours, & sur-tout les carcajoux, qui brisent souvent pendant l’hyver les loges des castors pour les y surprendre. Voyez Carcajou. Les femmes des sauvages graissent leurs cheveux avec cette même huile, quoiqu’elle ait une mauvaise odeur.

Les castors ne vivent dans les pays froids, & pendant l’hyver, que de bois d’aune & de platane, d’orme, de frêne, & de différentes especes de peuplier. Pendant l’été ils mangent de toutes sortes d’herbes, de fruits, de racines, sur-tout de celles de différentes especes de nymphæa. On ne croit pas qu’ils vivent plus de quinze ou vingt ans.

M. Sarrasin ne s’en est pas tenu à la description du castor ; il a aussi rapporté plusieurs faits qui concernent l’histoire de cet animal.

Les castors choisissent pour établir leur demeure un lieu qui soit abondant en vivres, arrosé par une petite riviere, & propre à faire un réservoir d’eau : ils commencent par construire une sorte de chaussée, assez haute pour retenir l’eau à la hauteur du premier étage des cabanes qu’ils doivent faire. Ces chaussées ont dix ou douze piés d’épaisseur dans les fondemens, & deux piés seulement dans le haut ; elles sont construites avec des morceaux de bois gros comme le bras ou comme la cuisse, & longs de 2, 4, 5 ou 6 piés, que les castors coupent & taillent très-facilement avec leurs dents incisives ; ils les plantent fort avant dans la terre & fort près les uns des autres ; ils entrelacent d’autres bois plus petits & plus souples, & ils remplissent les vuides avec de la terre glaise qu’ils amollissent & qu’ils gachent avec leurs piés, & qu’ils transportent sur leur queue, qui leur sert aussi comme une sorte de truelle pour la mettre en place & pour l’appliquer. Ils élevent la digue à mesure que la riviere grossit, & par ce moyen le transport des matériaux est plus facile ; enfin cet ouvrage est assez solide pour soûtenir les personnes qui montent dessus. Les castors ont grand soin d’entretenir ces chaussées en bon état, & pour cela ils appliquent de la terre glaise dans la moindre ouverture qu’ils y apperçoivent.

Après avoir fait la chaussée, ils fondent leurs cabanes sur le bord de l’eau, sur quelque petite île, ou sur des pilotis ; elles sont rondes ou ovales, & débordent des deux tiers hors de l’eau : les murs sont perpendiculaires, & ont ordinairement deux piés d’épaisseur. La cabane est terminée en maniere de dome au-dehors, & en anse de panier en-dedans : elle est bâtie à plusieurs étages, que les castors habitent successivement à mesure que l’eau s’éleve ou s’abaisse : ils ne manquent pas d’y faire une porte que la glace ne puisse pas boucher ; ils ont aussi une ouverture séparée de leur porte & de l’endroit où ils se baignent ; c’est par cette ouverture qu’ils vont à l’eau rendre leurs excrémens. Quelquefois ils établissent la cabane entiere sur la terre, & creusent autour des fossés de cinq ou six piés de profondeur, qu’ils conduisent jusqu’à l’eau : les matériaux sont les mêmes pour les cabanes que pour les chaussées. Lorsque la construction est faite, ils perfectionnent leur ouvrage en coupant avec leurs dents, qui valent des scies, tous les morceaux de bois qui excedent les murailles, & ils appliquent avec leur queue au-dedans & au-dehors de la cabane une sorte de torchis fait avec de la terre glaise & des herbes seches. Une cabane dans laquelle il y a huit ou dix castors, a huit ou dix piés de largeur hors d’œuvre & dix à douze de longueur, supposé qu’elle soit ovale ; dans œuvre elle a quatre ou cinq piés de largeur, & cinq ou six piés de longueur. Lorsqu’il y a quinze, vingt, ou même trente castors qui habitent la même cabane,