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des pierres & des feuilles ; tout cela augmente le poids, & ce sont des matieres inutiles.

Ainsi quand on trouve des ballots fourrés, il faut ôter soigneusement toutes les matieres étrangeres.

Nous avons parlé de ce qu’on appelle queue de chanvre ; mais il importe ici de savoir comment ces queues sont faites, puisque leur forme aide à faire mieux connoître si le chanvre est bon, ou s’il ne l’est pas.

Il faut pour cela distinguer deux bouts dans un brin de chanvre ; l’un fort délié qui aboutissoit au haut de la tige de la plante, & l’autre assez épais qui se terminoit à la racine : on appelle ce bout la patte du chanvre.

Lorsqu’on forme une queue de chanvre, on met toutes les pattes d’un côté ; & cette extrémité s’appelle la tête : l’autre extrémité, qu’on appelle le petit bout ou la pointe, n’étant composée que de brins déliés, ne peut être aussi grosse que la tête.

Or il faut pour qu’une queue de chanvre soit bien conditionnée, qu’elle aille en diminuant uniformément de la tête à la pointe, & qu’elle soit encore bien garnie aux trois quarts de sa longueur ; car quand le chanvre est bien nourri, quand la plante qui l’a fourni, étoit vigoureuse, il diminue insensiblement & uniformément depuis la racine jusqu’au petit bout : au contraire quand la plante a pâti, le chanvre perd tout d’un coup sa grosseur un peu au-dessus des racines ; & alors les pattes qu’on sera obligé de retrancher, sont grosses, & le reste, qui est la partie utile, est maigre. Outre cela quand les paysans ont beaucoup de chanvre court, au lieu d’en faire des queues séparées, ils mêlent ce chanvre court avec le long ; & alors les queues ne suivent pas non plus une diminution uniforme depuis la tête jusqu’à la pointe : mais il faut sur-tout être en garde contre une autre supercherie des paysans qui, pour faire croire que leurs queues de chanvre sont bien fournies dans toute leur longueur, ont soin de les fourrer vers le milieu avec de l’étoupe. On reconnoîtra néanmoins cette fourberie en prenant les queues de chanvre par la tête & en les secouant, pour voir si tous les brins se prolongent dans toute la longueur de la queue.

J’ai déjà fait remarquer que comme les pattes sont inutiles & qu’elles doivent être retranchées par les peigneurs, il est très-avantageux que les queues de chanvre n’ayent point trop de pattes ; ce qui est le défaut principal de toutes les queues de chanvre qui ne suivent pas une diminution uniforme dans toute leur longueur.

D’ailleurs, tous les brins de chanvre que les paysans mettent pour nourrir les queues, restent sur le peigne, & ne fournissent que du second brin ou de l’étoupe.

Il faut de plus remarquer que quand les pattes sont très-grosses relativement aux brins de chanvre qui y répondent, ces brins foibles se rompent sur le peigne à cause de la trop grande résistance des pattes ; & alors ils fournissent beaucoup de brin court, ou de second brin, ou d’étoupe, & fort peu de brin long ou de premier brin. On verra dans la suite combien il est avantageux d’avoir beaucoup de premier brin, qui est presque la seule partie utile.

Il est aisé de conclure que quand le chanvre a ainsi beaucoup de pattes, ou quand les queues se trouvent fourrées ou nourries de chanvre court, il faudra augmenter la tare de sept, huit, ou dix livres par quintal, en un mot proportionnellement au déchet que ces circonstances doivent produire. Cependant quand ces défauts sont communs à tous les chanvres d’une année, il seroit injuste de s’en pren-

dre au fournisseur, puisqu’il lui auroit été impossible

d’en trouver de meilleur.

Nous avons expliqué comment on broyoit & comment on tilloit le chanvre ; mais nous avons remis à expliquer les avantages & les desavantages de ces différentes pratiques.

Le chanvre broyé est plus doux & plus affiné que le tillé : il a aussi moins de pattes ; & une partie des pointes les plus tendres & qui n’auroient pas manqué de fournir des étoupes, sont restées dans la broye : ainsi il paroîtroit que ce chanvre devroit moins fournir de déchet que le chanvre tillé ; cependant il en fournit ordinairement davantage, non seulement parce qu’il n’est jamais si net de chenevottes, mais principalement parce que les brins étant mêlés les uns dans les autres, il s’en rompt un plus grand nombre quand on les passe sur le peigne ; d’où il suit nécessairement que ce chanvre au sortir du peigne est plus doux & plus affiné que le chanvre tillé. Néanmoins l’inconvénient du déchet & celui d’avoir un peu plus de chenevottes que n’en a le chanvre tillé, a déterminé à contraindre les fournisseurs à ne fournir que du chanvre tillé. M. Duhamel croit cependant que les chanvres fort durs en vaudroient mieux s’ils étoient broyés ; car, dit-il, quand nous parlerons dans la suite, des préparations qu’on donne au chanvre, on connoîtra que la broye est bien capable de l’affiner & de l’adoucir.

On s’attache quelquefois trop dans les recettes à la couleur du chanvre ; celui qui est de couleur argentine & comme gris-de-perle, est estimé le meilleur ; celui qui tire sur le verd est encore réputé bon ; on fait moins de cas de celui qui est jaunâtre, mais on rebute celui qui est brun.

Nous avons fait voir que la couleur des chanvres dépend principalement des eaux où on les fait roüir ; & que celui qui l’a été dans une eau dormante, est d’une autre couleur que celui qui l’auroit été dans une eau courante, sans que pour cela la qualité du chanvre en soit différente : ainsi nous croyons qu’il ne faut pas beaucoup s’attacher à la couleur des chanvres ; pourvû qu’ils ne soient pas noirs, ils sont recevables : mais la couleur noire ou fort brune indique ou que les chanvres auroient été trop roüis, ou qu’ils auroient été mouillés étant en balles, & qu’ils se seroient échauffés.

On doit sur-tout examiner si les queues de chanvre sont de différente couleur ; car si elles étoient marquées de taches brunes, ce seroit un indice certain qu’elles auroient été mouillées en balles : & dans ce cas les endroits plus bruns sont ordinairement pourris.

Il vaut mieux s’attacher à l’odeur du chanvre qu’à sa couleur ; car il faut rebuter séverement celui qui sent le pourri, le moisi, ou simplement l’échauffé, & choisir par préférence celui qui a une odeur forte, parce que cette odeur indique qu’il est de la derniere récolte ; condition que l’on regarde comme importante dans les corderies, parce que le chanvre nouveau produit moins de déchet que le vieux : il est vrai aussi qu’il ne s’affine pas si parfaitement ; & si l’on y réfléchissoit bien, peut-être mépriseroit-on un peu de déchet pour avoir un chanvre plus affiné.

Il y a des queues de chanvre dont tous les brins depuis la racine jusqu’à la pointe, sont plats comme des rubans, & d’autres ont ces brins ronds comme des cordons : il est certain que les premiers sont plus aisés à affiner, parce qu’il se refendent plus aisément sur le peigne, & c’est la seule raison de préférence qu’on y trouve ; aussi ne rebutera-t-on jamais une queue de chanvre, par la seule raison que les brins qui la composent sont ronds.

Il y a des chanvres beaucoup plus longs les uns que les autres, & on donne toûjours la préférence