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chanvre diminue toûjours à mesure qu’on le garde ; & quand on vient à le préparer, on y trouve plus de déchet que quand il est nouveau : il est vrai que le chanvre gardé s’affine mieux, mais il est difficile que cet avantage puisse compenser le déchet.

Il s’agit maintenant de continuer la préparation du chanvre.

Le premier soin de ceux qui occupent l’attelier où nous entrons, celui des espadeurs, est de le débarrasser des petites parcelles de chenevottes qui y restent, ou des corps étrangers, feuilles, herbes, poussiere, &c. & de séparer du principal brin l’étoupe la plus grossiere, c’est-à-dire les brins de chanvre qui ont été rompus en petites parties, ou très bouchonnés.

Le second avantage qu’on doit avoir en vûe, est de séparer les unes des autres les fibres longitudinales, qui par leur union forment des especes de rubans.

La force des fibres du chanvre, selon leur longueur, est sans contredit fort supérieure à celle des petites fibres qui unissent entr’elles les fibres longitudinales, c’est-à-dire qu’il faut infiniment plus de force pour rompre deux fibres que pour les séparer l’une de l’autre : ainsi en frottant le chanvre, en le pilant, en le fatiguant beaucoup, on contraindra les fibres longitudinales à se séparer les unes des autres, & c’est cette séparation plus ou moins grande qui fait que le chanvre est plus ou moins fin, plus ou moins élastique, & plus ou moins doux au toucher.

Rien n’est si propre à détacher les chenevottes du chanvre, à en ôter la terre, à en séparer les corps étrangers, que de le secouer & le battre comme nous venons de le dire.

Pour donner au chanvre les préparations dont nous venons de parler, il y a différentes pratiques.

Tous les ouvriers qui préparent le chanvre destiné à faire du fil pour de la toile, & la plûpart des Cordiers de l’intérieur du royaume, pilent leur chanvre, c’est-à-dire qu’ils le mettent dans des especes de mortiers de bois, & qu’ils le battent avec de gros maillets : on pourroit abréger cette opération en employant des moulins à-peu-près semblables à ceux des papeteries ou des poudrieres ; cette pratique, quoique très-bonne, n’est point en usage dans les corderies de la marine, peut-être a-t-on appréhendé qu’elle n’occasionnât trop de déchet ; car dans quelques épreuves que M. Duhamel en a faites, il lui a paru effectivement que le déchet étoit considérable.

La seule pratique qui soit en usage dans les ports, encore ne l’est-elle pas par-tout, c’est celle qu’on appelle espader, & que nous allons décrire, en commençant par donner une idée de l’attelier des espadeurs, & des instrumens dont ils se servent.

L’attelier des espadeurs, qu’on voit, Pl. I. seconde division, est une salle plus ou moins grande, suivant le nombre des ouvriers qu’on y veut mettre ; mais il est essentiel que le plancher en soit élevé, & que les fenêtres en soient grandes, pour que la poussiere qui sort du chanvre, & qui fatigue beaucoup la poitrine des ouvriers, se puisse dissiper.

Tout autour de cette salle il y a des chevalets simples X, & quelquefois dans le milieu il y en a une rangée de doubles Y ; nous allons expliquer quelle est la forme de ces chevalets, & quelle différence il y a entre les chevalets simples & les doubles.

Pour cela il faut se représenter une piece de bois de quinze à dix-huit pouces de largeur, & de huit à neuf d’épaisseur ; si le chevalet doit être simple, on ne donne à cette piece que trois piés & demi ou quatre piés de longueur ; mais si le chevalet est double, elle doit avoir quatre piés & demi à cinq piés : à un de ses bouts, si le chevalet est simple, ou à chacun de ses bouts, s’il est double, on doit assembler ou clouer

solidement une planche qui aura douze à quatorze lignes d’épaisseur, dix à douze pouces de largeur, & trois piés & demi de hauteur ; ces planches doivent être dans une situation verticale, & assemblées perpendiculairement à la piece de bois qui sert de pié ; enfin elles doivent avoir en-haut une entaille demi-circulaire Y, de quatre à cinq pouces d’ouverture, & de trois & demi à quatre pouces de profondeur.

Un chevalet simple ne peut servir qu’à un seul ouvrier, & deux peuvent travailler ensemble sur un chevalet double.

L’attelier des espadeurs n’est pas embarrassé de beaucoup d’instrumens ; avec les chevalets dont nous venons de parler, il faut seulement des espades ou espadons Z, qui ne sont autre chose que des palettes de deux piés de longueur, de quatre ou cinq pouces de largeur, & de six à sept lignes d’épaisseur, qui forment des couteaux à deux tranchans mousses, & qui ont à un de leurs bouts une poignée pour les tenir commodément.

L’espadeur prend de sa main gauche, & vers le milieu de sa longueur, une poignée de chanvre pesant environ une demi-livre, il serre fortement la main ; & ayant appuyé le milieu de cette poignée de chanvre sur l’entaille de la planche perpendiculaire du chevalet, il frappe du tranchant de l’espade sur la portion du chanvre qui pend le long de cette planche M. Quand il a frappé plusieurs coups, il secoue sa poignée de chanvre N, il la retourne sur l’entaille, & il continue de frapper jusqu’à ce que son chanvre soit bien net, & que les brins paroissent bien droits ; alors il change le chanvre bout pour bout, & il travaille la pointe comme il a fait les pattes, car on commence toûjours à espader le côté des pattes le premier : mais on ne sauroit trop recommander aux espadeurs de donner toute leur attention à ce que le milieu du chanvre soit bien espadé, sans se contenter d’espader les deux extrémités, ce qui est un grand défaut où ils tombent communément.

Quand une poignée est bien espadée dans toute sa longueur, l’ouvrier la pose de travers sur la piece de bois qui forme le pié de son chevalet O, & il en prend une autre à laquelle il donne la même préparation ; enfin quand il y en a une trentaine de livres d’espadées, on en fait des ballots qu’on porte aux peigneurs. Voyez ces ballots en P.

Il faut observer que si le chanvre n’étoit pas bien arrangé dans la main des espadeurs, il s’en détacheroit beaucoup de brins qui se bouchonneroient ; c’est pourquoi les ouvriers attentifs ont soin de bien arranger le chanvre avant que de l’espader ; malgré cela il ne laisse pas de s’en détacher plusieurs brins qui tombent à terre, mais ils ne sont pas perdus pour cela ; car quand il y en a une certaine quantité, les espadeurs les ramassent, les arrangent le mieux qu’ils peuvent en poignées, & les espadent à part ; en prenant cette précaution, il ne reste plus qu’une mauvaise étoupe dont on faisoit autrefois des matelats pour les équipages ; mais les ayant trouvé trop mauvais, on n’employe plus à présent ces grosses étoupes qu’à faire des flambeaux, des tampons pour les mines, des torchons pour l’étuve, &c.

Le chanvre est plus ou moins long à espader, selon qu’il est plus ou moins net, sur-tout de chenevottes, & le déchet que cette préparation occasionne dépend aussi des mêmes circonstances ; cependant un bon espadeur peut préparer soixante à quatre-vingt livres de chanvre dans sa journée, & le déchet se peut évaluer à cinq, six ou sept livres par quintal.

M. Duhamel regarde cette préparation comme importante, & croit qu’il faut espader tous les chanvres avec le plus grand soin ; si nous n’appréhen-