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ne ; on a une plaque de cuivre plus grande que la base du cone, qui sert d’entrée au fourneau ; on couvre cette entrée avec cette plaque qu’on tient élevée sur un cerceau qui borde l’ouverture, ou sur quatre morceaux de brique ; on étend sur cette plaque plusieurs doubles de grosse toile d’emballage ; on arrose cette toile d’eau avec un goupillon ; on prend son chapeau dont le bord est apprêté ; on trempe une brosse 6 dans de l’eau ; on frotte avec cette brosse à longs poils la circonférence du chapeau ; on lui fait faire un peu le chapiteau ; & on le pose sur la toile, le côté apprêté tourné vers elle. On l’y laisse un instant. Pendant cet instant, il y a un autre chapeau sur l’autre bassin ; on va de l’un à l’autre, les retournant à mesure que la vapeur s’éleve de la toile mouillée & les pénetre : cette buée transpire à-travers l’étoffe, emporte avec elle l’apprêt, & le répand uniformément dans le corps de l’étoffe, excepté peut-être aux endroits foibles où l’apprêt est un peu plus fort.

Ceux qui menent les bassins, ont aussi des blocs 4 dans le voisinage de leurs fourneaux ; à mesure qu’un chapeau a reçu assez de buée, & que l’apprêt a suffisamment transpiré, ils en mettent la forme dans le trou de ce bloc, & frottent rapidement avec un torchon le bord qui est encore tout chaud. Pour s’assûrer si l’apprêt est bien rentré, ils passent leur ongle sur la surface qui a été apprêtée ; si ce qu’ils en enlevent est humide & aqueux, l’apprêt est bien rentré ; il ne l’est pas assez, si ce qu’ils enlevent est épais & gluant : alors ils le remettent aux bassins & le font suer une seconde fois. Les apprêts sont plus ou moins ingrats, & donnent plus ou moins de peine à l’ouvrier. Quand la buée a été trop forte, l’apprêt a été emporté à-travers l’étoffe avec tant de violence, qu’il paroît quelquefois plus du côté où il n’a pas été donné, que de celui où l’on l’a mis avec le pinceau. Nous observerons en passant que cette méchanique est assez délicate, & que ce n’étoit pas-là une des conditions les moins embarrassantes du problème que nous nous étions proposé.

Lorsque le chapeau est apprêté des bords, un autre ouvrier apprête le dedans de la tête, en l’enduisant d’apprêt avec un pinceau ; mais on ne le porte plus au bassin : ce fond étant couvert, il n’est pas nécessaire de faire rentrer l’apprêt.

Quand ils sont entierement apprêtés, on les porte dans les étuves où on les fait sécher. Quand ils sont secs, on les abat avec un fer à repasser, qu’on voit Planc. III. figure 8. qui a environ deux pouces d’épaisseur, cinq de largeur, & huit de longueur, avec une poignée, comme celui des blanchisseuses. On fait chauffer ce fer sur un fourneau, fig. 9. le dessus de ce fourneau est traversé de verges de fer qui soûtiennent le fer : on a devant soi un établi, on met le chapeau en forme, on prend la brosse à lustrer, on la mouille d’eau froide, on la passe sur un endroit du bord, & sur le champ on repasse cet endroit avec le fer, & ainsi de suite sur toute la surface du bord ; ce qui forme une nouvelle buée qui acheve d’adoucir l’étoffe. Après avoir repassé, on détire, on abat, & on continue la buée, le repassage, le détirage, & l’abatage sur les bords jusqu’à ce qu’ils soient tout-à-fait plats.

Cela fait, on met la tête du chapeau dans un bloc, on arrose la face du bord qui se présente avec la brosse, & on la repasse comme l’autre ; on applique le fer très-fortement, on y employe toute la force du bras, & même le poids du corps. Quand le chapeau est abattu du bord, on abat la tête ; pour cet effet, on en humecte légerement le dessus avec la lustre, & on y applique fortement le fer qu’on fait glisser par tout ; on acheve la tête sur ses côtés de la même maniere. On prend ensuite le peloton, ou

avec le talon de la main on appuie sur la tête ; on fait tourner la forme, & on couche circulairement tous les poils. Toute cette manœuvre s’appelle passer en premier.

Le chapeau passé en premier est donné à une ouvriere qu’on appelle une éjarreuse : elle a une petite pince (fig. 10. Pl. III.) courbe, & large par le bout à-peu-près d’un pouce ; elle s’en sert pour arracher tous les poils qu’on appelle jarre. On éjarre quelquefois toute la surface du chapeau, plus ordinairement on n’éjarre que les côtés. Quand ils sont éjarrés, on les donne à garnir, c’est-à-dire à y mettre la coëffe, c’est une toile gommée ; elle est de deux parties, le tour & le fond ; le tour est le développement du cylindre de la forme, le fond est un morceau quarré ; on commence par bâtir ces deux morceaux ensemble, puis on l’ajuste dans le fond du chapeau ; on commence par ourler les bords de la coëffe, & les coudre aux bords de la tête du chapeau, de maniere que le point ne traverse pas l’étoffe du chapeau, mais soit pris dedans son épaisseur, puis on arrête le fond au fond de la tête par un bâti de fil. Quand il est garni, on finit de le repasser au fer : pour cet effet, on le mouille légerement avec la lustre ; on passe le fer chaud sur le bord ; on le brosse ensuite fortement ; on le repasse au fer ; on lui donne un coup de peloton. Il faut seulement observer qu’on ne mouille pas le dessus de l’aîle, l’humidité que le fer a fait transpirer du dessous est suffisante. C’est alors qu’on y met les portes, les agraffes, le bouton, & la gance. Après quoi on le repasse en second avec la brosse rude, le fer, & le peloton. On le met pour cela sur une forme haute ; on le brosse ; on le presse avec le fer ; on le lustre avec la lustre, & on y trace des façons avec le peloton mouillé. On l’ôte de dessus la forme ; on le brosse encore avec la lustre mouillée tout-au-tour ; on y pratique des façons avec le peloton, & on le pend au plancher où l’on a attaché des petites planches traversées de chevilles, qui peuvent par conséquent soûtenir des chapeaux de l’un & de l’autre côté.

Voilà comment on acheve un chapeau ordinaire après la teinture : il y a quelque différence s’il est à plumet. On le lustre au sortir de la teinture, & on le traite comme les chapeaux communs, excepté qu’on prend la brosse seche, & qu’on la conduit de la forme à l’arrête, ce qui commence à démêler le poil ; puis on le porte aux étuves. Au sortir des étuves, on l’apprête comme les autres, on observe seulement de tenir le bloc très-propre. Quand il est sec, on le passe au fer en-dessous & en tête ; puis avec un carrelet qu’on tire de la tête à l’arrête, on acheve de démêler le plumet. Quand le plumet est bien démêlé, on le finit comme nous l’avons dit plus haut pour ceux qui n’ont point de plumet.

Voilà la maniere dont on fait l’étoffe appellée chapeau, & celle dont on fabrique un chapeau superfin à plumet. C’est la solution du problême que nous nous étions proposé. Si l’on se rappelle la multitude prodigieuse de petites précautions qu’il a fallu prendre pour arracher les poils, les couper, les arçonner, les préparer, pour les lier ensemble lorsque le souffle auroit pû les disperser, & leur donner plus de consistance par le seul contact, que l’ourdissage n’en donne aux meilleures étoffes : si l’on se rappelle ce qui concerne l’arçonnage, les croisées, la foule, l’assemblage des grandes & petites capades, les travers, la teinture, l’apprêt, &c. on conviendra que ce problème méchanique n’étoit pas facile à résoudre. Aussi n’est-ce pas un seul homme qui l’a résolu ; ce sont les expériences d’une infinité d’hommes. Il y avoit, selon toute apparence, long-tems qu’on faisoit des chapeaux & du chapeau, lorsqu’on imagina d’en faire des dorés. L’expression do-