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Deux capucins succéderent à l’avanturier d’Italie ; ils firent publier qu’ils apportoient des pays étrangers des secrets inconnus aux autres hommes. Ils furent logés au Louvre ; on leur donna 1500 liv. par an. Tout Paris accourut vers eux ; ils distribuerent beaucoup de remedes qui ne guérirent personne ; on les abandonna, & ils se jetterent dans l’ordre de Clugni. L’un, qui se fit appeller l’abbé Rousseau, fut martyr de la charlatannerie, & aima mieux mourir que de se laisser saigner. L’autre, qui fut connu sous le nom de l’abbé Aignan, ne se réserva qu’un remede contre la petite vérole, mais ce remede étoit infaillible. Deux personnes de la premiere qualité s’en servirent : l’un étoit M. le duc de Roquelaure, qui en réchappa, parce que sa petite vérole se trouva d’une bonne qualité : l’autre, M. le prince d’Epinoi, qui en mourut.

En voici un pour les urines ; on l’appelloit le medecin des bœufs. Il étoit établi à Seignelai, bourg du comté d’Auxerre : il prétendoit connoître toutes sortes de maladies par l’inspection des urines ; charlatannerie facile, usée, & de tout pays. Il passa pendant quelque tems pour un oracle ; mais on l’instruisit mal, il se trompa tant de fois que les urines oublierent le chemin de Seignelai.

Le pere Guiton, cordelier, ayant lû dans un livre de Chimie la préparation de quelques médicamens, obtint de ses supérieurs la liberté de les vendre, & d’en garder le profit, à condition d’en fournir gratis à ceux du couvent qui en auroient besoin. M. le prince d’Isenghien & plusieurs autres personnes éprouverent ses remedes, mais avec un si mauvais succès, que le nouveau chimiste en perdit son crédit.

Un apoticaire du comtat d’Avignon se mit sur les rangs avec une pastille, telle qu’il n’étoit point de maladie qui ne dût céder à sa vertu. Ce remede merveilleux, qui n’étoit qu’un peu de sucre incorporé avec de l’arsenic, produisit les effets les plus funestes. Ce charlatan étoit si stupide, que prenant pour mille pastilles, mille grains d’arsenic, qu’il mêloit, sans aucune précaution, avec autant de sucre qu’il en falloit pour former les mille pastilles, la distribution de l’arsenic n’étoit point exacte ; ensorte qu’il y avoit telle pastille chargée de très-peu d’arsenic, & telle autre de deux grains & plus de ce minéral.

Le frere Ange, capucin du couvent du faubourg S. Jacques, avoit été garçon apoticaire ; toute la science consistoit dans la composition d’un sel végétal, & d’un syrop qu’il appelloit mésentérique, & qu’il donnoit à tout le monde, attribuant à ce syrop la propriété de purger avec choix les humeurs qu’il falloit évacuer. C’étoit, dit-on, un bon-homme, qui le croyoit de bonne foi. Madame la Dauphine, qui étoit indisposée, usa de son sel & de son syrop pendant quinze jours, & n’en recevant aucun soulagement, le frere Ange fut congédié.

L’abbé de Belzé lui succéda à Versailles. C’étoit un prêtre Normand qui s’avisa de se dire medecin ; il purgea Madame la Dauphine vingt-deux fois en deux mois, & dans le tems où il est imprudent de faire des remedes aux femmes ; la princesse s’en trouva fort mal, & Mesdemoiselles Besola & Patrocle, deux de ses femmes-de-chambre, qui avoient aussi fait usage de la medecine de l’abbé, en contracterent un dévoyement continuel, dont elles moururent l’une après l’autre.

Le sieur du Cerf vint ensuite avec une huile de gayac qui rendoit les gens immortels. Un des aumôniers de Madame la Dauphine, au lieu de se mêler de son ministere, s’avisa de proposer le sieur du Cerf ; le charlatan vit la princesse, assûra qu’il en avoit guéri de plus malades qu’elle ; courut préparer son remede ; revint, & trouva la princesse morte :

& cet homme, qui avoit le secret de l’immortalité, mourut trois mois après.

Qui est-ce qui a fait autant de bruit, qui est-ce qui a été plus à la mode que le medecin de Chaudrais ? Chaudrais est un petit hameau composé de cinq ou six maisons, auprès de Mantes ; là il se trouva un paysan d’assez bon sens, qui conseilloit aux autres de se servir tantôt d’une herbe, tantôt d’une racine ; ils l’honorerent du titre de medecin. Sa réputation se répandit dans sa province, & vola jusqu’à Paris, d’où les malades accoururent en foule à Chaudrais. On fut obligé d’y faire bâtir des maisons pour les y loger ; ceux qui n’avoient que des maladies légeres, guérissoient par l’usage de ses plantes pulvérisées, ou racines dessechées : les autres s’en revenoient comme ils étoient allés. Le torrent de malades dura cependant trois à quatre années.

C’est un phénomene singulier que l’attrait que la cour a pour les charlatans ; c’est-là qu’ils tendent tous. Le sieur Bouret y débarqua avec des pillules merveilleuses dans les coliques inflammatoires ; mais, malheureusement pour la fortune de celui-ci, il fut attaqué lui-même, tout en débarquant, de cette maladie, que son remede augmenta tellement qu’il en mourut en quatre jours.

Voilà l’abregé historique des plus fameux charlatans. Ce furent, comme on voit, un marquis étranger, des moines, des prêtres, des abbés, des paysans, tous gens d’autant plus assûrés du succès, que leur condition étoit plus étrangere à la Medecine.

La charlatannerie médicinale n’est ni moins commune ni moins accréditée en Angleterre ; il est vrai qu’elle ne se montre guere que sur les places publiques, où elle sait bien étaler à son avantage la manie du patriotisme. Tout charlatan est le premier patriote de la nation, & le premier medecin du monde. Il guérit toutes les maladies, quelles qu’elles soient, avec ses spécifiques, & la bénédiction de Dieu ; c’est toûjours une des conditions de l’affiche.

Je me souviens, dit M. Addisson, d’avoir vû à Hammersmith un de ces patriotes, qui disoit un jour à son auditoire : « Je dois ma naissance & mon éducation à cet endroit, je l’aime tendrement ; & en reconnoissance des bienfaits que j’y ai reçûs, je fais présent d’un écu à tous ceux qui voudront l’accepter ». Chacun s’attendoit, la bouche béante, à recevoir la piece de cinq schelins ; M. le docteur met la main dans un long sac, en tire une poignée de petits paquets, & dit à l’assemblée : « Messieurs, je les vends d’ordinaire cinq schelins six sols ; mais en faveur des habitans de cet endroit, que j’aime tendrement, j’en rabbattrai cinq schelins ». On accepte son offre généreuse ; ses paquets sont enlevés, les assistans ayant répondu les uns pour les autres, qu’il n’y avoit point d’étrangers parmi eux, & qu’ils étoient tous ou natifs, ou du moins habitans d’Hammersmith.

Comme rien n’est plus propre pour en imposer au vulgaire, que d’étonner son imagination & entretenir sa surprise, les charlatans des îles Britanniques se font annoncer sous le titre de docteurs nouvellement arrivés de leurs voyages, dans lesquels ils ont exercé la Medecine & la Chirurgie par terre & par mer, en Europe & en Amérique, où ils ont appris des secrets surprenans, & d’où ils apportent des drogues d’une valeur inestimable pour toutes les maladies qui peuvent se présenter.

Les uns suspendent à leurs portes des monstres marins farcis de paille, des os monstrueux d’animaux, &c. ceux-ci instruisent le public qu’ils ont eû des accidens extraordinaires à leur naissance, & qu’il leur est arrivé des desastres surprenans pendant leur vie ; ceux-là donnent avis qu’ils guérissent la cataracte mieux que personne, ayant eu le malheur