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En France, dans le commencement de la monarchie, la chasse étoit libre de même que chez les Romains.

La loi salique contenoit cependant plusieurs réglemens pour la chasse ; elle défendoit de voler ou de tuer un cerf élevé & dressé pour la chasse, comme cela se pratiquoit alors ; elle ordonnoit que si ce cerf avoit déja été chassé, & que son maître pût prouver d’avoir tué par son moyen deux ou trois bêtes, le délit seroit puni de quarante sols d’amende ; que si le cerf n’avoit point encore servi à la chasse, l’amende ne seroit que de trente-cinq sols.

Cette même loi prononçoit aussi des peines contre ceux qui tueroient un cerf ou un sanglier qu’un autre chasseur poursuivoit, ou qui voleroient le gibier des autres, ou les chiens & oiseaux qu’ils auroient élevés pour la chasse.

Mais on ne trouve aucune loi qui restraignît alors la liberté naturelle de la chasse. La loi salique semble plûtôt supposer qu’elle étoit encore permise à toutes sortes de personnes indistinctement.

On ne voit pas précisément en quel tems la liberté de la chasse commença à être restrainte à certaines personnes & à certaines formes. Il paroît seulement que dès le commencement de la monarchie de nos rois, les princes & la noblesse en faisoient leur amusement, lorsqu’ils n’étoient pas occupés à la guerre ; que nos rois donnoient dès-lors une attention particuliere à la conservation de la chasse ; que pour cet effet, ils établirent un maître veneur (appellé depuis grand-veneur) qui étoit l’un des quatre grands officiers de leur maison ; & que sous ce premier officier, ils établirent des forestiers pour la conservation de leurs forêts, des bêtes fauves, & du gibier.

Dès le tems de la premiere race de nos rois, le fait de la chasse dans les forêts du roi étoit un crime capital, témoin ce chambellan que Gontran roi de Bourgogne fit lapider pour avoir tué un buffle dans la forêt de Vassac, autrement de Vangenne.

Sous la seconde race, les forêts étoient défensables ; Charlemagne enjoint aux forestiers de les bien garder ; les capitulaires de Charles-le-Chauve désignent les forêts où ses commensaux ni même son fils ne pourroient pas chasser ; mais ces défenses ne concernoient que les forêts, & non pas la chasse en général.

Un concile de Tours convoqué de l’autorité de Charlemagne en 813, défend aux ecclésiastiques d’aller à la chasse, de même que d’aller au bal & à la comédie. Cette défense particuliere aux ecclésiastiques, sembleroit prouver que la chasse étoit encore permise aux autres particuliers, du moins hors les forêts du roi.

Vers la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme, les gouverneurs des provinces & villes qui n’étoient que de simples officiers, s’étant attribué la propriété de leur gouvernement à la charge de l’hommage, il y a apparence que ces nouveaux seigneurs & autres auxquels ils sous-inféoderent quelque portion de leur territoire, continuerent de tenir les forêts & autres terres de leur seigneurie en défense par rapport à la chasse, comme elles l’étoient lorsqu’elles appartenoient au roi.

Il étoit défendu alors aux roturiers, sous peine d’amende, de chasser dans les garennes du seigneur : c’est ainsi que s’expliquent les etablissemens de S. Loüis, faits en 1270. On appelloit garenne toute terre en défense : il y avoit alors des garennes de lievres aussi bien que de lapins, & des garennes d’eau.

Les anciennes coûtumes de Beauvaisis, rédigées en 1283, portent que ceux qui dérobent des lapins, ou autres grosses bêtes sauvages, dans la garenne

d’autrui, s’ils sont pris de nuit, seront pendus ; & si c’est de jour, ils seront punis par amende d’argent ; sçavoir, si c’est un gentilhomme, 60 liv. & si c’est un homme de poste, 60 sols.

Les priviléges que Charles V. accorda en 1371 aux habitans de Mailly-le-Château, portent que celui qui seroit accusé d’avoir chassé en plaine dans la garenne du seigneur, sera cru sur son serment, s’il jure qu’il n’a point chassé ; que s’il ne veut pas faire ce serment, il payera l’amende. Il est singulier que l’on s’en rapportât ainsi à la bonne foi de l’accusé ; car s’il n’y avoit pas alors la formalité des rapports, on auroit pû recourir à la preuve par témoins.

Il étoit donc défendu dès-lors, soit aux nobles ou roturiers, de chasser dans les forêts du roi & sur les terres d’autrui en général ; mais on ne voit pas qu’il fût encore défendu, soit aux nobles ou roturiers, de chasser sur leurs propres terres.

Il paroît même que la chasse étoit permise aux nobles, du moins dans certaines provinces, comme en Dauphiné, où ils joüissent encore de ce droit, suivant des lettres de Charles V. de 1367.

A l’égard des roturiers, on voit que les habitans de certaines villes & provinces obtinrent aussi la permission de chasse.

On en trouve un exemple dans des lettres de 1357, suivant lesquelles les habitans du bailliage de Revel & la sénéchaussée de Toulouse, étant incommodés des bêtes sauvages, obtinrent du maître général des eaux & forêts, la permission d’aller à la chasse jour & nuit avec des chiens & des domestiques, etiam cum ramerio seu rameriis. Ce qui paroît signifier des branches d’arbre dont on se servoit pour faire des battues. On leur permit de chasser aux sangliers, chevreuils, loups, renards, lievres & lapins, & autres bêtes, soit dans les bois qui leur appartenoient, soit dans la forêt de Vaur, à condition que, quand ils chasseroient dans les forêts du roi, ils seroient accompagnés d’un ou deux forestiers, à moins que ceux-ci ne refusassent d’y venir ; que si en chassant, leurs chiens entroient dans les forêts royales, autres que celles de Vaur, ils ne seroient point condamnés en l’amende, à moins qu’ils n’eussent suivi leurs chiens ; qu’en allant visiter leurs terres, & étant sur les chemins pour d’autres raisons, ils pourroient chasser, lorsque l’occasion s’en présenteroit sans appeller les forestiers. On sent aisément combien il étoit facile d’abuser de cette derniere faculté ; ils s’obligerent de donner au roi pour cette permission cent cinquante florins d’or une fois payés, & au maître des eaux & forêts de Toulouse, la tête avec trois doigts au-dessus du col, au-dessous des oreilles, de tous les sangliers qu’ils prendroient, & la moitié du quartier de derriere avec le pié des cerfs & des chevreuils : & par les lettres de 1357, le roi Jean confirma cette permission.

Charles V. en 1369 confirma des lettres de deux comtes de Joigny, de 1324 & 1368, portant permission aux habitans de cette ville, de chasser dans l’étendue de leur justice.

Dans les priviléges qu’il accorda en 1370, à la ville de Saint-Antonin en Rouergue, il déclara que quoique par les anciennes ordonnances il fût défendu à quelque personne que ce fût, de chasser sans la permission du roi, aux bêtes sauvages (lesquelles néanmoins, dit-il, gâtent les blés & vignes) que les habitans de Saint-Antonin pourroient chasser à ces bêtes hors les forêts du roi.

Les priviléges qu’il accorda en la même année aux habitans de Montauban, leur donnent pareillement la permission, en tant que cela regarde le roi, d’aller à la chasse des sangliers & autres bêtes sauvages.

Dans des lettres qu’il accorda en 1374 aux habi-